Chula Vista, là où la légende Alison Dos Santos a été forgée

Envoyé spécial à Hayward Field, Eugene (Oregon)

Le natif de São Paulo est devenu le nouveau roi du 400 mètres haies à Hayward Field. Invaincu en 2022, son triomphe n’a surpris personne. Et pourtant beaucoup connaissaient à peine son nom avant les Jeux Olympiques de Tokyo, il y a encore dix mois. Pour la première fois, un athlète brésilien remporte l’or sur une discipline longtemps acquise à la cause américaine. Le record du monde de Karsten Warholm, loin du compte à Eugene, reste à sa pleine portée.

Ils ne sont pas tout à fait nés au même endroit. L’un a vu le jour à Bom Jesus da Lapa, dans l’État de Bahia. Le second à 1’300 kilomètres plus au sud, dans la ville de São Joaquim da Barra, dans l’État de São Paulo. Les deux villes n’ont vraisemblablement rien de similaire. La première est située dans une région – somme toute assez pauvre – où les secteurs agraires, industriels et miniers sont les plus représentés. Bom Jesus da Lapa est d’ailleurs davantage connue pour son agriculture irriguée, là où elle dispose d’un véritable savoir-faire. São Joaquim da Barra, elle, possède sans doute une expertise plus variée, faisant d’elle un point de référence pour la région entière. On y vit par le traitement du fer, l’élaboration et le laminage de l’acier, la fabrication de pièces pour les machines agricoles, la fabrication de chaussures ou encore par le broyage du soja pour la production d’huile. Sans compter que l’économie locale se ressource également grâce aux moulins à sucre et à alcool.

Deux localités que tout sépare. Et pourtant les deux hommes en question, ne serait-ce que par leur passion pour l’athlétisme et leur nationalité brésilienne chevillée au corps, proviennent d’un même sérail. Les deux sont nés dans une famille pauvre, sortis de leur condition grâce à leur talent et leur détermination à pousser toujours plus loin leurs limites. Eronilde Nunes de Araújo, aujourd’hui âgé de 51 ans, était jusqu’à ce jour, l’athlète brésilien aux résultats les plus prometteurs sur 400 mètres haies. Arrivé en quatrième position lors des Mondiaux 1999 à Séville, il avait manqué le podium de très peu, battu au millième par le Suisse Marcel Schelbert en 48”13. Une marque qui reste, encore aujourd’hui, la référence de la discipline en Suisse.

« Croyez-moi, il faut que nous élevions tous notre niveau actuel car je sais que nous serons tous de retour encore plus forts lors de la prochaine finale »

Alison Dos Santos, champion du monde du 400 mètres haies

Elle est longtemps restée la référence au Brésil également, jusqu’à ce que n’émerge, lors d’une chaude soirée d’août à Tokyo, la nouvelle révélation du 400 mètres haies. En moins d’une année, Alison Dos Santos n’a non seulement marqué l’histoire de l’athlétisme brésilien, mais aussi celle de l’athlétisme mondial. Surprenant troisième lors de la finale des derniers Jeux Olympiques, le jeune athlète de “São” n’a cessé de grandir depuis cette nuit tokyoïte agitée. Aujourd’hui, il vient, à tout juste 22 ans, de remporter le titre aux championnats du monde à Hayward Field, en déposant la concurrence en 46”29, nouveau record du Brésil et d’Amérique du Sud. En cueillant son tout premier titre mondial, il est aussi devenu le premier athlète d’Amérique du Sud à régner sur le 400 mètres haies dans l’histoire. Il rejoint aussi au palmarès Fabiana Murer qui était jusqu’alors la seule Brésilienne médaillée d’or lors de championnats du monde d’athlétisme. Bref, à son très jeune âge, Alison semble déjà avoir réalisé la performance d’une carrière.

Deux secondes en quelques mois, comment est-ce possible ?

Les performances de Dos Santos ont fait un tel bond en une seule et même saison, en 2021, que personne ne pouvait être surpris du résultat. En quelques mois, avant la finale olympique en août 2021, le Brésilien avait amélioré sa meilleure marque en carrière de près de deux secondes. Un exploit qui le positionne aujourd’hui au-dessus de la mêlée. Mais, à ce niveau-là, tout n’est qu’éphémère: « Nous sommes tous en train de pousser nos limites, sans arrêt. Karsten, Rai et moi-même faisons partie de ces athlètes qui ne se contentent jamais de l’acquis. Et croyez-moi, il faut que nous élevions tous notre niveau actuel car je sais que nous serons tous de retour encore plus forts lors de la prochaine finale. »

Dans la discipline du 400 mètres haies, tous les concurrents proviennent d’ailleurs. Ils écrivent des histoires personnelles si différentes le unes des autres, qu’ils en reviennent finalement à être chauffés du même bois lorsqu’il s’agit de battre la concurrence sur les pistes. Son histoire personnelle dans l’athlétisme, Alison Dos Santos l’a d’ailleurs écrite sur le tard. On apprend qu’il a pratiqué le judo jusqu’à l’âge de 16 ans. Deux ans plus tard, en 2019, il participait déjà à ses tout premiers championnats du monde sur 400 mètres haies à Doha où il était déjà parvenu à s’assurer une place en finale. Trois ans plus tard, à Eugene, il réalise une progression folle qui le porte à dépasser au temps des athlètes qui s’entraînent sur la discipline depuis bien plus longtemps que lui. L’Américain Rai Benjamin et le Norvégien Karsten Warholm, champion du monde et champion olympique en titre et détenteur du record du monde en moins de 46 secondes, font partie de ces athlètes que personne n’imaginait jamais déboulonner des hautes marches du podium.

Alison, lui, n’a jamais eu peur de le faire. « Il est vraiment en train de monter à un niveau très haut et il est surtout en train de gagner beaucoup de confiance, raconte Karsten Warholm. Je sais ce que cela fait de courir à un tel rythme et avec un tel résultat. Nous connaissons tous deux le travail qu’il faut pour en arriver là. Il faut l’en féliciter. »

« Je peux casser les 46 secondes. La question n’a jamais été de savoir si on peut le faire, mais quand on pourra le faire. Et je sais que ce moment approche à grand pas »

Alison Dos Santos, champion du monde du 400 mètres haies

« Je me suis vraiment bien entraîné, reprend le Brésilien, grand sourire aux lèvres. J’ai vraiment tout fait pour arriver ici au meilleur de ma forme. Je n’étais pas surpris de gagner car je sais que je peux courir très vite. Aujourd’hui, je suis fier. Pas très surpris, mais très fier. » En deux ans, les performances d’Alison Dos Santos sont passées de 48”28, établis à Doha en septembre 2019, à 46”29 cet été à Hayward Field. Pour mieux situer l’exploit, 46”29 est un temps nettement plus rapide que l’ancien record du monde détenu pendant 29 ans par l’Américain Kevin Young en 46”78. Mais là n’est pas sa limite.

« Je peux casser les 46 secondes, comme l’a fait Karsten l’année dernière, explique-t-il. Je sais qu’au meilleur de ma forme, c’est possible. Aujourd’hui, j’ai juste envie de retourner m’entraîner et aller chercher plus. La question n’a jamais été de savoir si on peut le faire, mais quand on pourra le faire. Et je sais que ce moment approche à grand pas. »

Il parle peu de la concurrence

Ne cherchez pas en Alison des dons de voyance. Un athlète de sa trempe, constamment chauffé à blanc, connait très précisément où il en est dans sa préparation. Il vit comme s’il était trop facile de déployer toutes ses capacités en un seul et même coup. Il cueille d’abord un titre mondial avant de s’attaquer au record du monde. « J’en suis toujours plus proche et je sais qu’à force on arrivera à l’atteindre, assure-t-il. À l’entraînement cette année, je suis allé vraiment plus vite qu’à n’importe quelle autre saison auparavant. Je sais bien que quelque chose est en train de se passer. »

Avec les résultats conquis ces derniers mois, le Brésilien gagne aussi en visibilité. Dès la fin de l’année 2019, et sa finale mondiale courue à Doha, il avait aussitôt été invité à participer au meeting de Ligue de Diamant qui devait avoir lieu six mois plus tard toujours au Qatar. La pandémie n’avait alors fait que retarder sa participation d’une année. Depuis, il teste chaque nouveauté et met au point l’ensemble de ses réglages sur piste à l’occasion de chaque meeting de premier plan au sein duquel il est automatiquement convié; à Oslo, Stockholm, Bruxelles et Zürich. Ces mises en lumière fréquentes et la progression du jeune athlète sont ainsi, et par la force des choses, liées par une relation de cause à effet.

« J’ai rêvé depuis de nombreuses années de parvenir là où je suis arrivé aujourd’hui »

Alison Dos Santos, champion du monde du 400 mètres haies

Depuis Doha, le jeune homme a aussi beaucoup appris, notamment à ne plus regarder dans les rétroviseurs. Toujours plus concentré sur sa propre course, il en oublie presque qu’il court face aux plus grands athlètes de l’histoire de sa discipline sur les pistes. Cela fonctionne si bien que lorsque les journalistes lui demandent ce qu’il pense de la septième place de Karsten Warholm en finale à Eugene, il s’en sort avec une pirouette facile: « Je ne peux rien vous dire, je n’ai rien vu de la course. J’ai juste compris que Rai Benjamin et Trevor Bassitt n’étaient pas loin, tant le public a scandé leurs noms à l’arrivée. »

On sent néanmoins que le Brésilien n’aime pas beaucoup parler de la concurrence. Pas qu’il ne l’aime pas, bien au contraire. Il conjure simplement le sort en évitant de se projeter vis-à-vis d’elle. Ce qu’il préfère, en revanche, c’est de parler de sa propre réussite. La raconter, c’est aussi une manière pour lui de la rendre réelle. Et son récit commence comme dans une fable: « J’ai rêvé depuis de nombreuses années de parvenir là où je suis arrivé aujourd’hui. »

Courir pour sa famille et l’ensemble des Brésiliens

Les rêves du jeune Alison Dos Santos sont aussi ceux de nombreux Brésiliens qui rêvent de parvenir au plus haut niveau. Ce grand gaillard de deux mètres de hauteur a passé de grandes – et douloureuses – épreuves avant de parvenir à inscrire son nom dans le livre d’or de l’athlétisme mondial.

Victime d’un accident domestique alors qu’il avait moins d’un an, il porte les séquelles de lourdes brûlures à la tête, au bras et au dos. Longtemps resté alité à l’hôpital, Alison s’est relevé avec le courage remarquable qu’on n’attend pas nécessairement de la part d’un enfant pas encore entré dans la phase d’adolescence. Depuis peu, d’ailleurs, il ne porte même plus de couvre-chef pour cacher l’absence de cheveux. Depuis peu, il admet ainsi qui il est et, à travers son idole, le Brésil entier se sent grandir toujours un peu plus.

« Ce fut un jour historique pour l’athlétisme brésilien, a aussitôt affirmé le président de la Confédération brésilienne d’athlétisme Roberto Gesta de Melo. Il a montré qu’il aime son pays et qu’il se donne corps et âme pour lui. » Cet amour porté à l’étendard est d’ailleurs palpable surtout quand il se mêle à une demi-colère. « J’adore les Brésiliens, a-t-il lâché à haute voix au terme de sa finale à Hayward Field. Ils me donnent une très bonne énergie. J’ai désormais envie d’ouvrir la porte pour tous les jeunes athlètes du Brésil. Certains de chez nous pensent toujours que les exploits leur sont interdits, mais au nom de quoi ? »

« Ma famille n’est vraiment pas riche. C’est donc qu’avec de la rigueur et beaucoup d’entraînement qu’on peut arriver au plus haut niveau et gagner des médailles »

Alison Dos Santos, champion du monde du 400 mètres haies

« Ma famille n’est vraiment pas riche. C’est donc qu’avec de la rigueur et beaucoup d’entraînement qu’on peut arriver au plus haut niveau et gagner des médailles. Tout le monde peut le faire. Je souhaite montrer la voie. »

Deux jours après la cérémonie de remise des médailles, le Brésilien retournera d’ailleurs chez lui à São Joaquim da Barra. Il y retrouvera sa famille qu’il n’a pas vue depuis six mois. Il y retrouvera aussi pour la toute première fois sa nièce, née durant son absence. Il leur rapportera ainsi un présent des plus spéciaux. « Cette médaille représente aussi mon engagement en faveur de ma famille. Je ferai vraiment tout pour elle et en particulier pour mon neveu et ma nièce. J’ai envie de les aider dans la vie, pour qu’ils puissent grandir de la meilleure des façons. Je suis comme un père pour eux et je prends ce rôle très au sérieux », a-t-il assuré avant de conclure: « C’est un moment inoubliable, une situation merveilleuse pour atteindre le sommet du monde. »

Le Brésilien Alison Dos Santos lors des qualifications. À ses côtés, le Français Wilfried Happio a terminé à une surprenante quatrième place. © Ulf Schiller / athletix.ch [Eugene]

Ceux qui le connaissent savent la portée d’un tel résultat

« Alison a prouvé aujourd’hui qu’il pouvait obtenir toutes les médailles qu’il voulait. Il a une capacité de concentration impressionnante », assurait toujours le président de la Confédération brésilienne d’athlétisme Roberto Gesta de Melo. « J’ai parlé à Joaquim Cruz, à Zequinha Barbosa et à Alison lui-même peu après la finale. C’est important d’avoir cette synergie entre le passé et le futur, avec un champion olympique et un champion du monde. »

Joaquim Cruz est un ancien spécialiste du 800 mètres, sacré champion olympique aux Jeux de Los Angeles en 1984. Il avait d’ailleurs aussi remporté l’argent aux JO de Séoul en 1988 et le bronze aux Mondiaux d’Helsinki en 1983. Tout comme José Luis Barbosa, lui aussi spécialiste du 800 mètres, il était considéré comme l’un des athlètes les plus prolixes du pays. José Luis – que les indigènes ont rapidement surnommé Zequinha – avait remporté deux médailles aux championnats du monde; il avait conquis le bronze à Rome en 1987 et l’argent à Tokyo en 1991.

Ces deux grands anciens champions étaient au stade à l’heure où Alison Dos Santos a franchi la ligne d’arrivée en tête. Ce qui donnait l’impression particulière d’un sacre collectif. Ceci alors même qu’il n’existe sans doute pas une discipline où l’on est plus seul – face à soi-même – que dans le 400 mètres haies. En somme, Alison se savait traqué de partout. Dès son entrée en lice, il se savait devoir vivre avec l’attente collective; celle de sa famille, celle de son club de Pinheiros, de la Confédération brésilienne, de son cercle olympique et de tous ses admirateurs, au Brésil comme ailleurs. Une lourde charge sur les épaules pour un jeune homme de tout juste 22 ans. « Quand on est le favori, on part avec plus de pression, lâche le jeune athlète. Mais c’est une très bonne pression. Je vis très bien avec, c’est ce qui me pousse à aller plus loin et plus vite. Enlevez-moi cette pression et je redeviens un coureur lambda. Ma motivation vient du fait que je suis attendu, que je le suis toujours plus. Et je le serai encore plus maintenant. »

De São Paulo à Chula Vista, la relation unique avec son entraîneur Felipe de Siqueira

Ces six derniers mois où il n’était plus rentré au Brésil, Alison dos Santos les a passés, la plupart du temps, au centre d’entraînement olympique des États-Unis à Chula Vista dans le comté de San Diego, en Californie avec son entraîneur Felipe de Siqueira da Silva. Il y est arrivé en mars pour y préparer l’ensemble de ses compétitions de la saison.

Il est ensuite parti à Oslo et Stockholm pour honorer sa présence aux étapes de la Diamond League avant d’effectuer un stage d’entraînement intensif à Belek, en Turquie. Felipe de Siqueira était présent à chacune des étapes, soutenu, comme le veut la tradition au Brésil, par la Confédération brésilienne d’athlétisme et le comité olympique brésilien. L’entraîneur d’Alison gagne d’ailleurs la reconnaissance profonde de tous les officiels brésiliens pour l’ensemble de son travail en faveur du jeune garçon. Avec Ana Cláudia Fidélis, sa première coach, ils restent, aux yeux du Brésil entier, les deux grands artisans de la réussite du nouveau champion du monde. Ana Fidélis est la personne qui l’a accompagné dans sa transition entre le judo et la course d’obstacles. Puis Felipe de Siqueira l’a rendu populaire et puissant dans les périodes de croissance qui comptent, tirant parti du grand potentiel naturel que démontrait déjà le garçon à l’âge de 18 ans.

« Nous sommes devenus des amis très proches et nous avons toujours évoqué la possibilité d’écrire une page d’histoire ensemble »

Alison Dos Santos, champion du monde du 400 mètres haies

Alison et son entraîneur sont d’ailleurs devenus de très bons amis depuis le début de leur collaboration en 2018, ce qui permet sans doute d’expliquer aussi la grande qualité qui émane de ses séances de préparation. « Je crois que nous avons dépassé le stade de la simple relation entraîneur-athlète, explique Alison. Nous sommes devenus des amis très proches et nous avons toujours évoqué la possibilité d’écrire une page d’histoire ensemble. »

Felipe de Siqueira était, lui aussi et de son temps, un athlète. Un athlète peu brillant à en croire Alison. « Il faisait le triple saut. Mais il n’était vraiment pas bon, lâche-t-il hilare. La femme de mon coach, qui pratiquait également le triple saut, allait plus loin que mon coach lui-même. Croyez-moi. Il est très bon dans le coaching, mais moins sur la piste. » Pour ce qui est du coaching, on ne peut décemment pas le faire mentir. Alison Dos Santos – qui était encore à la recherche de victoires au plus haut niveau en 2021 – est proprement resté invaincu cette saison.

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