De Sierre à Eugene, la révélation Julien Bonvin expliquée simplement

Envoyé spécial à Hayward Field, Eugene (Oregon)

Julien Bonvin quitte Eugene avec un grand sourire. Éliminé en séries du 400 mètres haies en 50”40, il sait que les vrais bénéfices sont ailleurs. Voici les étapes qui ont mené le Valaisan jusqu’au cœur de l’Oregon pour y vivre ses premiers championnats du monde.

Les repères sont tous brouillés. Si bien qu’il est difficile de remonter avec précision à quel moment le Valaisan Julien Bonvin a véritablement éclos comme un athlète de classe internationale. Le temps est passé comme une bourrasque et a laissé derrière lui des souvenirs tout ébouriffés. Les raisons et ses multiples facteurs sont néanmoins retraçables. Passant par une large période d’incertitude, où toutes les cartes ont été remélangées durant la pandémie de coronavirus, puis par le déclin d’un maître en la personne de Kariem Hussein, ils ont été plusieurs jeunes à forcer l’admiration des plus fins observateurs, presque de façon inattendue.

Leur évolution était réelle, quoique bien mal balisée. Ce constat était apparu noir sur blanc lors des championnats suisses de Langenthal le 26 juin 2021. Sous une chape de chaleur irrespirable, une piste rapide et un air peu vicié, Kariem Hussein semblait y avoir fait un retour au plus haut niveau en brisant le seuil des 49 secondes pour la première fois depuis plusieurs années. Champion d’un pays resté sous le charme de sa médaille d’or portée au firmament lors des Championnats d’Europe à Zürich en 2014, il avait reconquis le public qui était alors le sien. Dans son ombre, peu relevèrent la performance majeure à titre personnel de Julien Bonvin. Le coureur du CA Sierre avait réussi à se maintenir dans le sillage de Kariem, fracassant ainsi sa meilleure marque en carrière, en 49”88, près d’une seconde et demi en dessous de son record personnel d’alors.

« Warholm est un modèle dans l’athlétisme qui s’est imposé de parcourir la distance entre toutes les haies en treize foulées »

Julien Bonvin, spécialiste du 400 mètres haies

Pour tout athlète investi dans les 400 mètres haies, passer sous la barre des 50 secondes est un moment chargé de symboles. « Plus que l’objectif d’une saison, c’était un accomplissement sérieux dans une carrière. J’avais, déjà à l’époque, pu tester un nouveau rythme de course qui n’a cessé d’évoluer jusqu’à aujourd’hui », évoque-t-il à Eugene. Reprenant la note de ses déclarations après sa course de Langenthal, il était alors revenu sur une période intense durant laquelle il jonglait entre les entraînements et les études. Il s’agissait, à cet instant-là, de ses tout premiers pas dans une carrière pleinement professionnelle.

50”40 à Eugene. C’est bien ou pas?

« Il y a certes une déception en termes de chrono mais je ne peux pas me considérer malchanceux d’avoir couru à Eugene, répond d’emblée Julien Bonvin au terme de sa course à Hayward Field. C’est d’ailleurs quand on fait des mauvais temps qu’on en apprend plus sur sa manière de courir. »

Avec cette réponse, le Sierrois se sent lui-même plus mature que par le passé. « Avec la maturité gagnée ces dernières années, j’ai appris à reconnaître le positif là où il y en a. Il y a deux ans, je n’aurais sans doute pas réussi à comprendre tous les enseignements que j’ai eus ici. C’est la première fois que je pars aussi loin pour une compétition avec neuf heures de décalage horaire », poursuit-il. « C’est un plateau contre lequel il faut rester humble et sur lequel il faut savoir tirer le positif là où il y en a. Je suis aujourd’hui déçu d’un chrono en 50”40, alors que j’en aurais été très heureux l’année passée. Allons de l’avant avec ce que j’ai pu retenir de bon en Oregon. »

De jeune talent prometteur à double champion suisse

Quelques jours après que Julien ait établi son meilleur temps en carrière à Langenthal, on avait appris la chute du chevalier fraîchement réadoubé. À peine revenu au meilleur niveau, Kariem Hussein fut barré par une suspension de neuf mois. Son titre, rapidement révoqué, était alors revenu à Julien. Le jeune homme n’avait guère prêté attention à son nouveau statut, ce qui n’a de loin pas été le cas chez les commentateurs sportifs, le considérant désormais comme le nouvel homme fort de la discipline en Suisse. Tout du moins était-il perçu comme un légataire crédible de Hussein. L’instant est décisif. Quelques mois plus tard, la finale du 400 mètres haies des Jeux olympiques de Tokyo en sera également un. 

Indéniablement, la lutte au faîte de la concurrence internationale entre Karsten Warholm, Rai Benjamin et le très jeune Brésilien Alison Dos Santos a aussi eu sa part d’influence sur le jeune Sierrois. « Cette finale olympique, avec le record du monde de Warholm semblait irréelle, raconte-t-il. Warholm est un modèle dans l’athlétisme qui s’est imposé de parcourir la distance entre toutes les haies en treize foulées. Parvenir à s’en accommoder avec une telle réussite est un exemple très puissant de persévérance. »

Karsten Warholm et le mur des 46 secondes

Stade Roi Baudoin, BruxellesHayward Field, Eugene (Oregon) 46”78 a été le temps de référence mondial du 400 mètres haies pendant près de 29 ans. Et quand un record du monde est, lui-même, plus vieux que l’athlète qui le dépose, c’est sans doute qu’il a marqué les esprits de bien plus d’une génération de coureurs. Karsten Warholm (26 ans) a non seulement battu le record que détenait Kevin Young depuis 1992, il est également devenu le premier homme à parcourir la distance en moins de 46 secondes lors de la finale des Jeux Olympiques de Tokyo début août. Sa septième place…

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Son envie de partir vite, pour tenter ensuite de terminer vite (dans la limite du possible), devient alors une religion dans le giron du 400 mètres haies. Avec son jeune âge – et donc son potentiel de croissance encore intact –, Julien Bonvin part, ici, sans doute avec un avantage sur ses adversaires plus âgés. Depuis l’automne dernier, le Valaisan s’entraîne pour tenter de maintenir un rythme en treize foulées jusqu’à la cinquième haie. À Eugene, il a même tenté d’aller plus loin en prolongeant le rythme en treize foulée jusqu’à la sixième, puis en complétant avec deux intervalles à 14 foulées, au lieu de quatre. Bref, en Oregon, le Sierrois a pris tous les risques qu’il jugeait utile de prendre.

« Je ne dis pas que c’est une recette miracle, parce que chacun a la sienne, tempère-t-il néanmoin. Kariem avait d’ailleurs prouvé, en 2014, qu’on peut courir en 14 foulées tout du long et parvenir à être plus rapide quand même. Mais à titre personnel, je sais que ce schéma de course peut vraiment me permettre de courir sous les 49”. Il va simplement falloir que j’apprenne à l’appréhender ces prochains mois. »

Cette remise à niveau personnelle a ainsi porté Julien Bonvin à battre à deux reprises son propre record personnel sur la distance en 2022. Il était d’abord parvenu à abaisser sa marque à 49”50 lors de son meeting de rentrée internationale à Eisenstadt le 2 juin, avant de l’améliorer à nouveau de deux dixièmes douze jours plus tard au meeting CITIUS de Berne. Sans compter qu’il est parvenu à conserver son titre de champion suisse quelques jours avant d’apprendre sa toute première convocation pour des championnats du monde élites.

Du sprint à la gestion de l’endurance

Bien avant de se lancer tête baissée sur le tour de piste, Julien Bonvin avait initialement choisi de défendre ses qualités sur 110 mètres haies, se jugeant trop rapide sur les départs du 400 mètres haies. Mais rapidement, il a senti qu’il était, cette fois, beaucoup trop lent sur le départ du sprint pour prétendre performer convenablement sur la ligne droite. Il a donc fallu trouver un compromis. Et la solution n’est, là aussi, pas sortie de nulle part.

Julien s’est aligné pour la toute première fois en compétition en 2014, année où la Suisse organisait fièrement les championnats d’Europe au Letzigrund de Zürich. En grand passionné, il avait alors assidûment suivi toutes les épreuves à la télévision depuis le Valais. « Je commençais à peine ma première saison d’athlétisme que je rêvais déjà de le rejoindre sur les pistes pour le concurrencer. » Lui, c’est – bien sûr – Kariem Hussein, l’homme qui a largement contribué à faire de Zürich 2014 le point zéro du renouveau de l’athlétisme suisse, d’ailleurs convenu par l’ensemble de la classe actuelle des athlètes suisses.

« Grâce à Kariem et Lea Sprunger, le 400 mètres haies a pris une dimension immense en Suisse »

Le Valaisan aime se considérer comme le membre naturel d’une véritable famille d’athlètes, au sein même de la très grande famille de l’athlétisme suisse. « En Suisse, les disciplines du 400 mètres et du 400 mètres haies permettent de tisser des liens uniques entre leurs athlètes, raconte Julien. La rivalité y est toujours saine. Quand on voit la densité des performances sous les 50 secondes lors des championnats de Suisse, ce n’est pas rien. »

Et cela est plutôt juste. Ils sont actuellement quatre à être parvenus à descendre en-dessous ces deux dernières années, dont les Zürichois Nahom Yirga et Dany Brand. « Cette richesse est aussi due au grand travail réalisé en amont, et sur tous les fronts, par Kariem Hussein et Lea Sprunger. Grâce à eux, la discipline a pris une dimension immense en Suisse. Beaucoup se sont intéressés au 400 mètres haies en les observant, moi le premier. C’est une réalité qu’on ne peut pas omettre. »

La fraternité entre athlètes dépasse ici même le cadre du 400 mètres haies. Parti en camp d’entraînement avec l’équipe de Suisse en préparation des Mondiaux, il a cueilli l’occasion de se rapprocher de ceux qui peuvent lui en apprendre davantage, à l’image de Loïc Gasch. « Loïc était comme un grand frère pour moi sur ce camp, explique Julien. Il a plus d’expérience et est plus mature. Il faisait déjà des compétitions internationales quand je commençais l’athlétisme. Je sais que je repars d’Eugene avec beaucoup d’apprentissages, sportivement comme humainement. »

En 2014, la magie opère donc à travers l’écran pour Julien Bonvin, alors âgé de 15 ans. Il délaisse dès l’année suivante le 110 mètres haies pour concentrer l’ensemble de ses efforts sur les distances un peu plus longues. Il opère une transition sur 300 mètres haies avant de s’aligner pleinement sur le tour de piste. « Le changement a pris du temps, précise-t-il aussitôt. Ce n’est que quand je suis entré dans la classe U18 que j’ai vraiment pu commencer à travailler sur le parfait schéma de course. Le travail que j’abats aujourd’hui avec mes coaches n’est que la suite d’un processus qui court sans interruption depuis 2018. » L’efficacité est telle qu’il peut désormais se permettre de rêver d’un temps en-dessous des 49 secondes, un seuil autrement plus symbolique.

Seuls quelques hommes triés sur le volet en Suisse sont parvenus à descendre en-dessous dans l’histoire. Le premier n’est autre que Marcel Schelbert. Le Zürichois était parvenu à battre six fois de suite son propre record de Suisse en l’abaissant à 48”13 en 1976. Une marque restée référence dans le pays depuis lors. Avec un record personnel en 48”45, Kariem Hussein est le seul à avoir réussi à s’en approcher d’aussi près ces 46 dernières années. Le Zürichois Dany Brand avait, quant à lui, réussi un temps en 48”96 en 2021. Une performance qu’il n’est pourtant plus parvenu à rééditer depuis.

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