« Pour la petite nation de natation que représente la Suisse, c’est juste extraordinaire »

Philippe Walter, directeur sportif de Swiss Swimming, salue le rendement de l'Équipe de Suisse aux Européens de Glasgow. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Glasgow]
Du Tollcross International Swimming Centre, Glasgow (Écosse)

Fini, les lumières des projecteurs du Tollcross International Swimming Center se sont définitivement éteintes et avec elles, les Championnats d’Europe de natation 2018 se sont clos. Pour l’équipe de Suisse de natation, ces championnats ont été une réussite sur tous les plans. Hormis la dernière journée de ces Européens, les nageurs helvétiques nous ont fait vibrer pendant six jours.

Six jours exceptionnels au cours desquels, la natation suisse a connu ses premières médailles européennes en grand bassin depuis plus de 10 ans. Avec un titre et une médaille de bronze, la Suisse se classe au neuvième rang au tableau des médailles. À Glasgow, la petite Suisse a eu le mérite de se faire une place parmi les grandes nations de la natation. En plus de leurs quatre finales et de leur douze demi-finales, les nageurs suisses ont battu pas moins de huit records suisses. Un succès qui n’est pas venu seul et qui vient couronner un travail de longue haleine entrepris par Swiss Swimming, dirigé d’une main de maître par Philippe Walter. Si les initiatives entreprises à tous les échelons de la fédération, que ce soit en club ou au centre national de Tenero, portent leurs fruits, la natation suisse et son directeur sportif à son bord préparent déjà l’avenir.

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Philippe Walter le sait très bien, le monde de la natation file à toute vitesse. Les Championnats d’Europe venant tout juste de se terminer qu’il faut déjà virer de bord pour aborder les prochains rendez-vous. Homme de l’ombre, le directeur sportif de Swiss Swimming, déambule au bord des bassins suisses depuis plus de 35 ans. Ancien entraîneur, le passionné a pris les reines de la fédération suisse de natation il y a cinq ans tout en maintenant ses activités dans son club de cœur, le Schwimmclub Uster Wallisellen. Si le “Schwimmclub” de la région zurichoise domine sans partages les compétitions nationales depuis plusieurs décennies, c’est en grande partie grâce au travail de Philippe Walter. Disponible et sur un nuage grâce aux prestations de ses nageurs en Écosse, le directeur sportif a pris le temps de nous expliquer entre deux relais le fonctionnement et l’avenir de la natation suisse.

« Je crois que c’est un des meilleurs championnats d’Europe que l’on ait eu depuis cinq ans »

Monsieur Walter, on imagine que vous êtes satisfaits de ces Championnats d’Europe ?

On ne peut que l’être. Je crois que c’est un des meilleurs championnats d’Europe que l’on ait eu depuis ces cinq dernières années. On cumule douze demi-finales, quatre finales, deux médailles mais également plus de 50% de meilleures performances personnelles. C’est bien la première fois depuis une quinzaine d’année que la Suisse ne comptait pas autant de demi-finalistes. C’est très important. Il faut également regarder les points par nation, nous sommes 13e, juste derrière des nations de natation comme l’Espagne. C’est extraordinaire. On a une très bonne équipe avec déjà beaucoup de jeunes dedans.

Imaginiez-vous un tel bilan avant le début de la compétition ?

Pas forcément pour être honnête. On imaginait avoir un bon bilan parce que l’on savait que Jérémy Desplanches avait des chances de médailles, tout comme Maria Ugolkova qui avait finit quatrième des derniers Championnats d’Europe en petit bassin à Copenhague (Danemark). De fait, on avait deux chances de médailles, elles sont heureusement arrivées. On avait planifié une médaille avec Jérémy et ce fût une médaille d’or donc on est comblé. Pour le reste, on ne savait pas trop. Nous avons sélectionné les nageurs qui ont réalisé les temps de qualifications que l’on a fixé dans un objectif de participation à des demi-finales. Notre stratégie a été d’amener des nageurs qui ont une réelle chance de top 16. Cela a vraiment joué un rôle majeur pour Glasgow parce que les nageurs qui ont nagés les temps demandés par la fédération sont rentrés en demi-finale. Les douze demi-finales en sont la preuve. Il ne faut pas uniquement se focaliser sur les médailles, elles sont super certes, mais il faut regarder la base qu’il y a derrière. Pour la petite nation de natation que représente la Suisse, c’est juste extraordinaire.

Outre les temps de qualifications demandés par la fédération, quels autres changements avez-vous effectués pour arriver à ce résultat mirobolant ?

Naturellement, ce n’est pas un travail que l’on a réalisé il y a un an mais plutôt il y a sept ou huit ans avec les centres régionaux et les entraîneurs professionnels du pays. La Fédération a également contribué à la création de centres juniors, il y en a désormais vingt-quatre qui aident les nageurs à progresser et à les amener à entrer aux centres régionaux. Nous avons également le centre national à Tenero. Toutes les initiatives entreprises depuis presque dix ans nous amènent aux résultats aujourd’hui. Nous récoltons simplement les fruits du travail entrepris il y a une dizaine d’année. Aujourd’hui nous devons continuer sur cette voie ainsi que préparer les prochaines années avec la relève. Jérémy vient d’avoir 24 ans [ndlr : le 7 août, un jour après son sacre européen] et Maria a 29 ans. Nos deux médaillés vont aller jusqu’à Tokyo en 2020 ce qui nous laisse encore deux ans mais après ce sont les jeunes qui doivent reprendre le flambeau et on en a. Ils sont bons et ils sont déjà ici. Par exemple, Thierry Bollin qui a déjà disputé une demi-finale et Noé Ponti. Nous avons encore Roman Mityukov qui n’est pas présent à Glasgow mais qui a déjà les temps de qualifications tout comme Antonio Djakovic qui n’a que 16 ans. On a donc quatre jeunes gaillards qui sont déjà là pour assurer la succession mais il faut toujours continuer à construire derrière. Il ne faut jamais se reposer.

Avec ces deux médailles, est-ce que la natation suisse va devenir gourmande et en viser désormais à tous les championnats notamment olympiques ou mondiaux ?

La Suisse peut avoir des médailles aux Championnats d’Europe mais pour des Championnats du Monde c’est différent et ce serait une réelle surprise. Nous avons Jérémy qui peut réellement faire un podium mondial sur 200 mètres quatre nages mais ce serait un peu anormal. Aux Championnats d’Europe ce n’est pas la même donne de nouveau et c’est plus réalisable. En Suisse, nous avons environ 5’500 licenciés mais comparativement, la ville de Rome en a plus. Nous restons une petite nation de ce sport alors il faut travailler avec ce que l’on a mais surtout bien œuvrer pour faire de la qualité. C’est ça qu’il faut rechercher dans le futur. Par exemple, aux États-Unis, les deux premiers nageurs des qualifications pour un grand championnat sont sûr d’y participer et l’année d’après il y en aura deux autres encore meilleurs. Pour nous c’est plus compliqué. Si notre nageur qualifié se blesse ou est malade, personne ne peut le remplacer. Nous cherchons donc à bien suivre les clubs, les entraîneurs, les nageurs afin de progresser. Nous avons véritablement développé une bonne base. C’est à nous, membres de la fédération, clubs, nageurs, entraîneurs et à tout notre entourage de continuer ce travail et si l’on ne fait pas trop de fautes, on aura toujours un nageur devant. Devant, mais aux Championnats d’Europe je le répète. Pour les Championnats du Monde ou les Jeux Olympiques notre objectif est d’avoir au moins un représentant en finale. On ne peut pas en demander trop mais si on en a encore deux finales ou une médaille on ne crache pas dessus [Rires].

Jérémy Desplanches nage à Nice, Nils Liess est parti en Suède ou encore Dominik Meichtry, 6e du 200m nage libre aux Jeux Olympiques de Beijing en 2008 nageait aux États-Unis. Est-ce que la clé pour les nageurs suisses est de partir s’entraîner à l’étranger pour performer à l’international ?

Non, je ne pense pas. Nous avons des bons entraîneurs mais on n’a pas partout de bonnes infrastructures en Suisse. C’est le problème, on a des petits bassins de 25m de six lignes et les clubs ne peuvent qu’en utiliser deux ou trois. Ce n’est pas assez pour faire du sport élite. Uster est le premier club suisse à bénéficier d’un bassin de 50m avec 10 lignes mais on aura dans quelques mois une nouvelle piscine de cette envergure à Lucerne ainsi qu’une nouvelle piscine olympique à Lausanne. Quand on a des infrastructures modernes, les clubs peuvent venir y travailler avec des entraîneurs professionnels qui poussent ainsi les bons nageurs du pays à rester. Avec de telles piscines, les nageurs auront également moins le sentiment de devoir partir à l’étranger pour progresser.

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On essaye naturellement de convaincre les nageurs à rester en Suisse mais on n’oblige personne à partir ou non. Ça dépend également où les nageurs partent s’entraîner. Par expérience, on sait que c’est plus compliqué de partir aux États-Unis car c’est plus loin. Les nageurs n’ont pas leur entourage à proximité et c’est plus difficile pour s’adapter. L’erreur est de croire qu’en partant aux États-Unis le succès viendra automatiquement. Bien trop souvent les gens font cette erreur. On préfère que nos nageurs qui partent à l’étranger restent en Europe. La France, l’Allemagne, l’Angleterre; dans ces pays, il y a plus de chance de réussite et le contrôle est plus facile. Si les nageurs prennent leurs décisions indépendamment de nous, nous cherchons néanmoins à les conseiller du mieux possible. Par exemple, pour Jérémy, on connaît Fabrice Pellerin, un producteur de champion, alors on ne lui a rien dit pour Nice. Cela aurait été différent s’il avait voulu partir dans une université américaine. On lui aurait conseillé de partir ailleurs. L’important est que le nageur puisse bénéficier d’une bonne infrastructure, d’un bon suivi et d’un bon entraîneur.