80e Bol d’Or: Une édition 2018 moins rapide mais plus exaltante que la précédente ?

La 80e édition du Bol d’Or Mirabaud prendra ses quartiers sur le lac Léman ce week-end. Si la course s’annonce lente (mais non moins intéressante), elle marque aussi peut-être un tournant, tant sur le plan purement sportif que technologique. Depuis quelques temps, le monde de la voile sent un vent tourner, une petite bise caresser les joues, celle de l’évolution technologique. Si cette année, les D35 partent à nouveau favoris, malgré des conditions peu favorables aux Foilers, il est possible que ceux-ci vivent leurs derniers instants de tranquillité dans la lutte au meilleur voilier, au plus rapide et au plus affiné. Tour d’horizon sur les enjeux pluriels de cette nouvelle édition anniversaire du côté de la Société Nautique de Genève.

La 80e volée du Bol d’Or Mirabaud vaudra, comme chaque année, le détour au large de la SNG (Société Nautique de Genève) et de son pôle opposé, Le Bouveret. Et ce pour plusieurs raisons; d’abord car l’événement n’a pas perdu son statut prodigieux de plus grande régate mondiale en bassin fermé, puis parce que les enjeux sont relevés dans les trois catégories de prix décernés et enfin, car d’année en année, la popularité de la course est en constante phase ascendante. Cette année, pour son édition anniversaire, l’organisation du Bol d’Or a pu compter à nouveau sur une liste d’inscriptions bien fournie (554 bateaux concurrents, dont 122 Surprise et plus de 3’000 équipiers navigateurs, à l’heure de la conférence de presse de jeudi matin sur le bateau “Le Savoie”, accosté au Jardin Anglais à Genève). « Comme chaque année, je ne sais pas vraiment pourquoi, l’on juge la réussite du Bol d’Or Mirabaud à son nombre de concurrents; si l’on a plus de 500 bateaux navigants, c’est que l’édition est réussie. Donc nous avons réussi une nouvelle fois à satisfaire aux attentes », débute alors le président de la régate Rodolphe Gautier en ouverture à la presse. Par ailleurs, rien qu’au nombre – presque record; 122 contre 123 en 2017 – de monotypes Surprise (embarcations de 7,65 mètres de longueur, de propriété, pour la plupart, de plaisanciers), l’événement se révèle particulièrement fédérateur. Nombreux seront aussi les enjeux, donc: deux équipages sont en lice pour remporter définitivement les récompenses dans leur catégorie. Ladycat Powered by Spindrift Racing de la milliardaire Dona Bertarelli peut, en cas de victoire, enlever la distinction de la catégorie reine du Bol d’Or, promise à l’équipage qui glane le titre trois fois en cinq ans. Petite particularité: l’embarcation a été modifiée et ne fait formellement plus partie de la série des Décision 35 (D35) mais qu’importe, aussi rapide et première concurrente de poids à Alinghi, lauréat 2017, le Ladycat reste un sérieux prétendant au titre samedi soir. Un autre équipage est par ailleurs susceptible d’enlever définitivement un des trois prestigieux titres décernés par la régate; le monocoque – un Psaros 40 – de Jean Psarofaghis essuiera une concurrence d’autant plus large pour le gain du Challenge Bol de Vermeil, qu’il a remporté déjà deux fois dans les quatre derniers ans, dont la dernière fois en juin 2017. Mais comme chaque année, le Libera hongrois d’Implantcentre Raffica, vainqueur de l’édition 2016, se dressera en premier contradicteur de l’épreuve chez les monocoques. Seul (petite) ombre au tableau: les conditions météorologiques (trop) clémentes…

« Samedi, nous aurons affaire avec un régime de brise locale typique. Le système dépressionnaire sera présent [jeudi et vendredi] mais pour la régate, les débordements de pluie et orages seront limités »

Lionel Fontannaz, prévisionniste de MétéoSuisse

Rien n’y fait, si les dépressions orageuses auront évité les heures de régate sur le Léman, samedi et dimanche jusqu’au soir, elles seront bien présentes tout autour, dans la vallée mais pas en surface. Bien évidemment, d’un point de vue sécuritaire, cela est une nouvelle rassurante, mais un peu moins pour le régime de brise attendu sur le lac ce week-end. Nettement insuffisant, déjà, pour améliorer la marque record de Peter Leuenberger sur Triga IV datant de 1994. Les 123 kilomètres de régate Genève-Le Bouveret-Genève avait alors été parcouru en 5h11”06′. Alinghi s’y était approché à quelque 9 secondes en 2017, dans une course très rapide, ce qui sera déjà impossible de réitérer cette année. « Ce sera plus long cette année, nous allons avoir entre 10 et 12 heures de course. Il nous faudra être patients et ne pas craquer à un moment donné, ne rien concéder aux adversaires, car l’on sait bien à Alinghi que la course n’est jamais terminée tant que l’on a pas franchi la ligne d’arrivée », concédait alors en interview le barreur de l’équipage genevois, Arnaud Psarofaghis. Faudra-t-il être patient, en effet; les suiveurs de la course sur les diverses applications auront pleinement le temps de suivre leur favori, leur embarcation préférée. « Samedi, nous aurons affaire avec un régime de brise locale typique. Le système dépressionnaire sera présent [jeudi et vendredi] mais pour la régate, les débordements de pluie et orages seront limités », confirmait assez confiant le prévisionniste de MétéoSuisse Lionel Fontannaz. Mais l’homme de météo n’a pas livré que des nouvelles déconfortantes. « Samedi, les concurrents se retrouveront entre deux zones dépressionnaires. Puissent-elles provoquer un épisode de vaudaire modérée le soir et la nuit sur le Haut-lac ? cela n’est pas exclu mais la probabilité reste faible. De manière générale, le temps risque d’être bâché et donc très calme avec 13 heures d’ensoleillement samedi et entre 9 et 12h dimanche » Relativiste tout de même. Le passionné sera prévenu.

« Nous sommes les deux événements du bout du lac, les pieds dans l’eau »

Mathieu Jaton, Président/CEO du Montreux Jazz Festival

Pourtant, quand bien même par bise faible, voilà que le Bol d’Or Mirabaud sait habiller le temps et l’espace. Pour une édition anniversaire, le comité d’organisation a pensé aux festivités sur eau, mais aussi sur terre avec le concert du duo suisse The Two sur la barque “Neptune” vendredi soir aux alentours de 20h30. Le concert est organisé en partenariat avec le Montreux Jazz Festival qui fêtera ses 52 bougies dans quelques jours. Pour le CEO Mathieu Jaton, le rapprochement est un honneur, lui qui est sur le point de passer son permis bateau. « Je suis très honoré que vous nous invitiez au 80e Bol d’Or Mirabaud. Nous sommes les deux événements du bout du lac, les pieds dans l’eau. Sans nul doute, pour plus, en tant que Veveysan, je suis d’un œil très attentif cette régate sur le Léman. Peut-être qu’un jour, nous aurons un [Surprise] du Montreux Jazz qui participera à la course. À penser pour le futur. » Une réalité partagée, bien évidemment, par le Président Rodolphe Gautier: « Cet événement est devenu plus qu’une régate avec la présence du Montreux Jazz Festival. Nous nous dirigeons vers l’exportation, dans une recherche certaine d’une meilleure popularité. » Vous l’aurez compris le 80e Bol d’Or Mirabaud commence donc ce vendredi, avant le départ de la régate samedi à 10h30 au large de la SNG. De cette fête de marins locaux, à sa création en 1939, puis romands, le Bol d’Or est devenu aujourd’hui, également, une épreuve de calibre international. Et cela est palpable.

Arnaud Psarofaghis, pour un “Grand Chelem” sur Alinghi

Alinghi est sans doute l’équipage qui retient une affection émotionnelle majeure au cours du Bol d’Or. Genevois, c’est le syndicat qui attire l’enjouement au milieu d’une concurrence relevée. Ladycat est elle aussi très appréciée, à al hargne et l’ambition de sa tenante, femme d’affaire suisse aux origines romaines Dona Bertarelli. Depuis 2014, ce sont les deux équipages qui ont le plus raflé la mise; seul Team Tilt, barré par Alex Schneiter, réussit à enlever l’édition 2015. Il faut dire que les deux embarcations présentent des qualités de navigateurs hors pairs. Mais Alinghi est bien l’équipage qui domine les débats le plus souvent – pas forcément au Bol d’Or. Ces deux dernières années, par exemple, l’équipage d’Ernesto Bertarelli a remporté toutes les courses, sauf une. En 2017, seul le Genève-Rolle-Genève a échappé à ces navigateurs passionnés, devancés par l’équipage de Julien Monnier sur le M1 de Swisscom. Et ce pour… une seconde ! Autrement dit, c’est pour 60 secondes seulement qu’Alinghi a manqué de réaliser un Grand Chelem l’année passée. Mais rien n’est, dans les faits perdu; en remportant les quatre premières manches du D35 Trophy de dernier mois, au Grand Prix d’ouverture de la SNG, à l’Open de Versoix, le Genève-Rolle-Genève donc et le Grand Prix de Versoix, l’équipage genevois peut encore rêver de réaliser le parcours sans-faute, mais cela passera par une prestation éclatante au Bol d’Or. Et, le plus grand trajet (66,5 miles nautiques) s’aventure toujours comme le plus coriace, mais aussi le plus prestigieux. « Cette année est déjà meilleure que la précédente mais le week-end crucial est bien celui qui nous allons vivre samedi et dimanche. Le Bol d’Or est l’une des étapes les plus difficiles de la saison, donc notre ambition se devra d’être réévaluée au terme de la course [samedi soir] », entonne Arnaud Psarofaghis, prudent. Puis il poursuit: « L’on espère pouvoir remporter une nouvelle fois le Bol d’Or. Cela s’annonce néanmoins très compliqué, au vue des nombreux concurrents présents. Nous allons tout faire pour être devant et surtout prendre du plaisir sur le lac. » En conférence de presse, le jeune barreur (classe 1988) ne dissimule pourtant pas sa tension à 48 heures du départ de la rade de Genève, ceci même alors qu’Arnaud en est, à 31 ans, à sa 17e participation sur l’épreuve. Une marque parfaitement ambitieuse pour l’ensemble de la jeune classe de navigateurs qui prendront le départ samedi matin. Mais cela n’enlève à l’importance du rendez-vous pour le garçon: « Le Bol d’Or est un point crucial pour l’équipe, au-delà d’être une course magnifique. La particularité est pourtant bien dans la gestion – encore une fois – de ses nerfs et d’une patience irréprochable. L’on peut jouer avec la côte, nous nous y sommes par ailleurs entraînés toute cette semaine. »

« Gagner le Bol d’Or n’est pas pareil que de remporter le D35 Trophy et les séries. C’est véritablement un moment clef de la saison »

Arnaud Psarofaghis, barreur d’Alinghi

Étape du D35 Trophy, le BOM, comme on le surnomme volontiers, est pourtant l’étape à ne pas manquer. D’un point de vue comptable, cela n’a pas une très grande importance, mais elle est certainement celle qui revigore un équipage, qui procure le bien moral nécessaire pour l’ensemble de l’exercice annuel: « Gagner le Bol d’Or n’est pas pareil que de remporter le D35 Trophy et les séries. C’est véritablement un moment clef de la saison », précise le seul représentant du syndicat sur le bateau “Le Savoie”. Et si Alinghi était dans un moment tournant quant à ses choix de compétition ? C’est bien ce qu’il faudrait encore et toujours évaluer au plus près d’Ernesto Bertarelli.

Les nouveautés technologiques: « aucune nostalgie, l’on vit avec son temps »

Les D35 vivent-ils leurs derniers jours dans la suprématie ? C’est ce qui semble découler dans l’opinion de plusieurs crieurs spécialisés. Sommes-nous arrivés à un tournant technologique, après 15 saisons passées à admirer, barrer et féliciter les équipages de Décision 35 ? Rien qu’au Bol d’Or, depuis 2004, le seul voilier non D35 à avoir remporté la régate fut le Ventilo M1 de Jean-Philippe Bucher sur Zenith Fresh… en 2013. Et encore, ce fut lors d’une course particulièrement lente – proche de ce que la 80e édition pourra proposer ce week-end –, remportée en 12h30”29′. Autrement dit, depuis leur mise à l’eau, les D35 ont dominé les exercices, sans forcément se voir mettre en grande difficulté sur les eaux. Alors quoi ? la révolution est en marche ? Peut-être bien ! En 2019, c’est un nouveau prototype, plus affiné, plus distingué, plus performant en temps calme qui se présente en premier contradicteur des Decision 35, comme celui-ci fut il y a quelques années, le nouveau prototype permettant de concourir face à la construction fortunée des Bertarelli. L’histoire est pleine d’innovations, de transformations spectaculaires et le Bol d’Or est à l’image de celles-ci. Alors que l’on parcourait les 66,5 miles nautiques entre 20 et 30 heures en 1939 avec le Ylliam IV de Fref Firmenich, l’on est progressivement descendus au-dessous de la barre des 20 heures en… 1976. C’était la famille Firmenich – encore une fois – à avoir réussi à approcher les 10 heures en 1956, dans les dernières années de l’ère Henri Guisan. André Firmenich avait alors parcouru la distance en 11h04”57′; une première pour la régate qui verra son temps de parcours constamment baisser dans les années 1970, 80 et 90. Le record à ce jour date de 1994, parfaitement atteignable dans des conditions de course rapides… sur D35 probablement.

« C’est ce que souhaite le comité d’organisation, indépendamment des règles et des questions de sécurité qui sont majeures dans ce genre de projets, l’évolution fait partie du Bol d’Or Mirabaud et le TF35 en est définitivement une »

Rodolphe Gautier, Président du Bol d’Or Mirabaud

Questionné sur le sujet lors d’une interview concédée à leMultimedia.info [à lire bientôt], le président du Bol d’Or Rodolphe Gautier l’affirme; les nouveautés technologiques font partie du Bol d’Or Mirabaud depuis ses débuts. « Nous observons une émulation dans toutes les classes. En tant qu’organisateurs, nous nous réjouissons de chacune d’entre elle. Nous ne ressentons aucune nostalgie, on vit avec notre temps », lançait-il avant de parler de la mise en test du nouveau prototype du TF35 (les T Foiler 35). « La rumeur dit qu’une première unité test soit à l’eau l’année prochaine pour concourir. Évidemment qu’elle fera partie de la catégorie des M1 et qu’elle pourra concourir au même titre que les autres. Maintenant, la difficulté – et on le voit encore cette année – est que se présenter avec un bateau typé “Foiler”, donc qui vole, il n’a aucune chance de concourir dans de très bonnes conditions, dignement, s’il n’y a pas au moins sept, huit nœuds de vent. Donc s’ils se retrouvent dans des conditions comme celles que nous attendons ce week-end, cela peut être difficile et ça demanderait un gros travail de technologie pour arriver à les optimiser à la fois dans le petit et le gros temps. Mais l’on verra bien; c’est ce que souhaite le comité d’organisation, indépendamment des règles et des questions de sécurité qui sont majeures dans ce genre de projets, l’évolution fait partie du Bol d’Or Mirabaud et c’en est définitivement une. Nous accueillerons donc les TF35 à bras ouverts comme toute autre évolution qui a émaillé la régate tout au long de ses 80 dernières années », commente-t-il alors.

« Ce sera une super course contre Ladycat de nouveau, ainsi que tous les D35 et le M1 Safram qui est très rapide en conditions légères, ce sera très tendu et des belles bagarres seront attendues »

Arnaud Psarofaghis, barreur d’Alinghi

Dans tous les cas, la révolution des TF35 n’a pas encore été testée et cette 80e édition du Bol d’Or Mirabaud restera inchangée; les neuf catamarans D35 inscrits occupant toujours la place belle dans la chambre des favoris. Et si une surprise advenait avec la victoire d’un Ventilo M1 ou encore d’un GC32 ? Tout le monde peut l’espérer dans telles conditions de course. « Ce sera une super course contre Ladycat de nouveau, ainsi que tous les D35 et le M1 Safram qui est très rapide en conditions légères, ce sera très tendu et des belles bagarres seront attendues », concluait alors pour sa part Arnaud Psarofaghis. En effet, en 10 heures de course, rien n’est joué par avance…

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