En 49”19, Julien Bonvin a encore fait rêver le Valais

Julien Bonvin a passé une nuit agitée après sa qualification dimanche matin pour les demi-finales du 400 mètres haies aux championnats du monde de Budapest. En manque de récupération et d’énergie, il a terminé avec un chrono en 49”75, soit plus d’une demi-seconde plus lent que ses 49”19 de la veille. Mais l’important était ailleurs: la prise d’expérience a été totale.

La vue était belle sur les hauteurs de Sierre. Armé de chaussures de marche et d’un petit coupe-vent, Julien Bonvin pose sur un rocher pour immortaliser le moment laissant clairement visibles les cimes montagneuses à l’horizon. Les Anglais auraient légendé la photo avec un sec “Hammer Time”. Comprenez: ça va faire mal. Julien, lui, s’est contenté de marquer le décompte jusqu’à son entrée en lice à Budapest. Le reste du message, il fallait alors peut-être le percevoir dans l’image. Et dans le genre, le Sierrois maîtrise parfaitement les happenings; il se savait capable de grandes surprises et il l’a fait savoir – à sa manière, avec intelligence, douceur et même une pointe de tendresse. Bien sûr cette méthode contraste en tous points avec les déclarations tapageuses à l’américaine, provocatrices et sensationnalistes. Mais on le comprend rapidement, la méthode reste propre à chacun.

Pour des questions de climat – nettement plus sec en Valais qu’à Budapest, pour les mêmes températures caniculaires –, Julien Bonvin et son entraîneur ont pris le pas d’ajuster les derniers réglages dans leur Sierre natale. Ils peuvent d’ailleurs désormais se le permettre; le complexe sportif d’Ecossia est désormais au service du sport d’élite. Inauguré en 2019 après huit ans de travaux, il dispose des structures adéquates pour le sport d’élite. Et pour cette petite ville de 15’000 habitants, l’investissement a été colossal. «C’est aussi une manière de montrer aux autres qu’il est possible de rêver grand dans une toute petite ville», lâche le hurdler.

«Il est possible de rêver grand dans une toute petite ville comme Sierre»

Julien Bonvin, demi-finaliste aux championnats du monde de Budapest 2023

Julien Bonvin est d’ailleurs un affectif, ce qui est à porter à son crédit. Il évolue toujours avec l’entraîneur de ses débuts au CA Sierre, Julien Quennoz. Les deux hommes sont d’ailleurs plus que des partenaires de travail; ils sont amis, complices et partagent un socle de valeurs commun. La pratique est belle. Pourtant, dans le monde de l’athlétisme mondial, les langues tendent souvent à délier contre les entraîneurs de trop longue date, et trop familiers. «Je connais la chanson», assène l’athlète. Aller chercher un coach aux références plus étendues lui serait plus contreproductif qu’autre chose.

«Julien n’est pas connu de tous, il ne fait pas le tour des médias, souffle-t-il. Mais, dans le milieu, il est très respecté et il le sera d’autant plus qu’il est désormais parvenu à amener un athlète en demi-finale des championnats du monde.» Par ailleurs, les athlètes, de quelque nature qu’ils soient, opposent rarement les méthodes de leurs entraîneurs à leur écho médiatique; la connivence et la confiance priment généralement sur tout le reste. «Nous avons mis l’accent sur la performance sans oublier de placer le sport plaisir au centre. Et je crois qu’on arrive à se maintenir dans un cadre très professionnel qui fonctionne, et qui me convient parfaitement», appuie alors le Sierrois, sourire affiché.

De Sierre à Eugene, la révélation Julien Bonvin expliquée simplement

Envoyé spécial à Hayward Field, Eugene (Oregon) Julien Bonvin quitte Eugene avec un grand sourire. Éliminé en séries du 400 mètres haies en 50”40, il sait que les vrais bénéfices sont ailleurs. Voici les étapes qui ont mené le Valaisan jusqu’au cœur de l’Oregon pour y vivre ses premiers championnats du monde. Les repères sont tous brouillés. Si bien qu’il est difficile de remonter avec précision à quel moment le Valaisan Julien Bonvin a véritablement éclos comme un athlète de classe internationale. Le temps est passé comme une bourrasque et a laissé derrière lui des souvenirs tout ébouriffés. Les raisons…

Continuer la lecture

La barrière des 49”

Julien Bonvin apparaît d’ailleurs toujours souriant, donnant cette impression – certainement juste – d’être capable de garder son flegme à toute épreuve. Mais, en coulisse, personne n’oublie que le garçon est un tempétueux, de caractère et d’esprit. Il en vient même parfois à haïr les mauvaises conditions; les vents contraires, puissants et irréguliers sont les plus à même de le faire dérouter. Surtout quand il prévoit de lancer sa course sur des rythmes très soutenus, ces excès de courant lui flinguent littéralement l’énergie, le lactique monte et les jambes se raidissent. Conséquence: il ne monte pas haut et fort comme il le devrait. «J’aime tester des stratégies de courses différentes, expliquait-il accroupi sur la piste du stade Wankdorf à Berne, quelques jours avant d’embarquer. Mais se cramer dès le départ n’est pas la variante que je préfère.»

Les schémas de course ont bien sur énormément évolué ces vingt derniers mois; en 2022, en amont des championnats du monde à Eugene, où il avait été éliminé en séries, il tentait de normaliser un rythme en 13 foulées jusqu’à la cinquième haie. Pour comprendre le jargon, cela revenait à lancer ses courses sur un rythme plus soutenu qu’à son habitude. C’est d’ailleurs ce virement de schéma qui lui a permis de s’établir dorénavant et durablement en dessous des 50 secondes.

Mais avec un meilleur temps personnel à 49”10 – établi lors de la finale des championnats d’Europe à Munich en août de l’année dernière –, les objectifs évoluent, les stratégies avec. Passer sous la barre des 49 secondes devient désormais une quasi-religion: c’est pourquoi il se calque aujourd’hui sur un schéma de course en 13 foulées jusqu’à la sixième haie. Paradoxe: en séries à Budapest, il n’est pas parvenu à suivre le rythme demandé. Et il a claqué un temps en 49”19 pour se qualifier à la place pour les demi-finales. «Je réalise pratiquement mon meilleur temps personnel en ne réalisant pas la course parfaite: ça veut dire que j’ai de la marge?» La question est pour la forme.

«Yirga, Dany et moi, tous à Paris en 2024»

À mesure de suivre Julien Bonvin à la trace, on en oublierait presque qu’ils sont actuellement trois Suisses à être passés sous la barre des 50 secondes sur 400 mètres haies. Et les trois sont d’ailleurs parvenus à le faire lors de la finale des championnats suisses à Bellinzona cet été. Et des trois, Julien est le seul Romand – entouré de deux Zurichois.

Entre Yirga Nahom, Dany Brand et Julien Bonvin en découle d’ailleurs une amitié franche et parfois profonde. La concurrence existe, certes. Mais, dans leur petit cercle, il est fort à parier qu’on n’entendra jamais un mot plus haut que l’autre. «C’est que j’ai eu une très bonne amitié avec la plupart des coureurs de 400 mètres haies en Suisse, explique-t-il. Ce n’était peut-être pas le cas il y a quelques années parce que les athlètes étaient vraiment tout seuls. Nous, en revanche, on essaie de se tirer vers le haut.»

Sur les trois, deux d’entre eux étaient à Budapest; Dany Brand ayant, lui, malheureusement échoué en séries. Mais les trois se promettent de forcer les portes ensemble des Jeux Olympiques de Paris en 2024. Nahom étant encore plus jeune, il sera sans doute l’athlète le plus à même de profiter de cette synergie. «Et comment dire… je ne ressens pas cette jalousie ou cette fausse amitié qui existe parfois dans le sport. Ces deux gars méritent d’aller de l’avant dans une adversité saine. Et puis, nous faisons tous de l’athlétisme pour le plaisir. À aucun moment, il faut que cela commence à nous ronger.»

Crédit photo: © athletix.ch [Budapest]

L’ombre de Kariem Hussein

Julien vient aussi d’expérimenter le sentiment un peu spécial d’être au pic de sa forme le jour J. À Budapest, semble-t-il, c’était la première fois. Et ça fait rire monsieur: «J’ai toujours eu de la peine à imaginer qu’il puisse y avoir une date, qu’on peut entourer au feutre rouge dans le calendrier, pour atteindre la forme absolue.» Le chemin pour y parvenir est bien sûr balisé; une douce montée en puissance dans la préparation physique et une acclimatation minutieuse sur le plan mental. «Des fois, on se veut être un peu plus poussifs dans certaines compétitions, pour soulager l’esprit et tester de nouvelles choses, explique-t-il. Mais quand il s’agit de gagner, ou de jouer des places qualificatives dans de grands championnats, le regard qu’on porte sur la compétition bascule.»

À ce jeu, le garçon avoue avoir déjà manqué quelques batailles contre la pression mentale par le passé: «J’ai déjà dû très vite m’accepter d’être au-dessus de Kariem Hussein (ndlr, avec un record personnel en 48”45, Kariem Hussein est le seul à avoir réussi à s’approcher du record de Suisse d’aussi près ces 47 dernières années). Pas d’être supérieur à lui, juste d’être en mesure de le battre. Aujourd’hui, je l’ai accepté mais c’est honnête de dire que ça a failli me tirer vers le bas.» Sa finale disputée à Munich, ajoutera-t-il, l’a encore plus placé sur le droit chemin.

«Avant d’arriver à Budapest, j’ai eu du stress, beaucoup de stress, complète-t-il. Mais j’étais mieux armé que l’année passée. Dorénavant, je perçois le stress comme une aide. Je commence à l’aimer, même s’il est parfois un peu toxique, parce qu’il est aussi le vecteur de toutes mes émotions et me procure des sensations incroyables.» Le jeune homme s’est senti haut et facile, peut-être pour la toute première fois dans la capitale hongroise. Il connait ses adversaires; il les a beaucoup observés, à la télévision, puis en course, il les a parfois imités et ose désormais les défier. En somme, Julien Bonvin s’est régalé à Budapest. Mais il n’a pas tout-à-fait réalisé l’ensemble des objectifs qu’il s’était fixé – même s’il vous dira le contraire. Il n’a pas jeté sur la piste toute la rigueur qu’un vrai demi-finaliste de calibre et d’expérience aurait proposé: il s’est encore montré un tantinet trop respectueux, trop émotif. Et il le sait.

Créez un site ou un blog sur WordPress.com