Giulio Locatelli, la photographie de 1970 à aujourd’hui

Giulio Locatelli prend place dans un coin de restaurant à côté d’une baie vitrée béante, et de laquelle le soleil ne tarde pas à lui flatter les pupilles. Le point de rencontre est donné dans l’enceinte d’un bâtiment que le photographe n’affectionne que lorsqu’il se fait hôte des plus belles expositions. Le Musée cantonal des beaux-arts est flambant neuf; il dévoile entre ses murs de grandes halles où la lumière du jour ne trouve aucun mal à s’y infiltrer.

Plusieurs touristes cueillent d’ailleurs l’occasion de prendre des photographies soi-même au devant de cette grande porte vitrée qui servait, autrefois, de seuil à l’entrepôt de la gare de Lausanne. La vue, derrière la verrière à forme de gemmail, donne un aperçu inédit à l’entrecroisement savant des rails de métal. Beaucoup d’ailleurs dégainent leur portable et font jouer ses focales avant de publier le rendu artistique sur leurs réseaux. La prise de vue est bien sûr impressionnante; l’impression y est de flotter au-dessus de l’évasure du conduit des chemins de fer qui relie la capitale olympique au reste de l’ouest lausannois. Le lac Léman en arrière-fond vient même, par beau temps, sublimer le rendu, comme une fine couche de peinture que l’on aurait disposée à l’aquarelle.

Le but de ma rencontre avec Giulio Locatelli n’était pas très clair; il le savait avant même d’accepter de me recevoir. Ayant passé toute la nuit d’avant à tenter de faire jouer sur mon clavier un logiciel d’intelligence artificielle capable de créer des images criantes de vérité (alors qu’elles ne sont pourtant pas réelles), j’avais pris conscience que le monde d’aujourd’hui allait rapidement basculer dans une existence où les robots seront plus performants, et parfois plus justes, que les humains. J’en avais les frissons: j’avais donc besoin d’entendre la voix d’un expert dans l’espoir qu’il fasse s’évanouir mes appréhensions. J’ai eu peur, un instant, que cela ne serve à rien – mais Giulio Locatelli a réussi in fine à fournir les réponses que j’attendais de lui.

Giulio, lui, ne prête guère plus attention au spectacle qui s’étend derrière le vitrage. À peine pénétré dans le bâtiment, il se presse de prendre place dans le café où un garçon vient lui servir un espresso noir, à l’italienne – sans sucre, ni crème. Quand il m’aperçoit à l’orée de la petite poterne ménagée dans ce grand et haut mur de béton, il esquisse un sourire et, comme de profession, il nous adresse un geste de la main pour m’inviter à m’accommoder en face de lui. Lui a décidé de rester face au soleil, même si ses yeux risquaient de lui refuser tôt ou tard de rester ouverts face à des rayons aussi pénétrants.

« Laisse-moi prendre une photo de toi. Le contre-jour semble t’orner d’une belle auréole », dit-il en enlevant le cache de l’objectif de sa Z9. « Ces nouvelles versions, celles de la famille Z, ont certainement sauvé Nikon de la faillite, crois-moi. » Giulio en était convaincu, tout autant qu’il était certain de nous donner l’explication de son raisonnement un peu plus tard.

Il commence à me parler du temps où il signait les images qui finissaient en couvertures des magazines comme Public ou Paris Match. Cela lui permettait, très simplement, de me faire comprendre à quel point les fondements de la photographie d’alors et d’aujourd’hui reposent sur des sables mouvants. « Une couverture ou une double-page dans un magazine te valait à l’époque une ristourne de 15’000 francs, entonne-t-il. Aujourd’hui, dans les meilleurs des cas, le photographe ne peut espérer se voir revenir qu’une modique somme de 300 francs. » Et cela, semble-t-il dire, est probablement dû au fait que les principaux titres de presse veulent de moins en moins être liés par abonnement aux agences. « Il est possible que le modèle économique d’agences comme Keystone ou l’AFP se désintègre à la longue. »

Il raconte alors l’histoire d’un collègue, spécialisé dans la photo de concerts. L’agence avec laquelle il était lié a décidé de s’en séparer car, selon la lettre de remerciement – que j’ai pu lire, assure Giulio -, les scènes étaient désormais remplies de personnes qui prennent des photos pour eux et que le rendement de leurs ventes d’images avait drastiquement baissé. « La vente d’images pièce n’est plus rentable », lâche le photographe aux 50 ans d’expérience. Cela laisse penser que le métier de photographe n’a cessé, ces dernières années, de se fragiliser.

La suite du récit à lire au fil des pages de “Une petite histoire de la photographie. De 1970 aux IA” aux éditions leMultimedia.info (50 pages)

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