Le Burkina Faso face aux défis de la mondialisation du rugby en Afrique

L’édition 2022 de l’Africa Cup aura lieu dans le sud de la France en juillet. Totalement absurde ou symptôme d’une mondialisation à large échelle du rugby en Afrique, la nouvelle ne fait pas l’unanimité dans le continent. Si cette décision peut sembler détonante, il y a néanmoins des raisons honnêtes pour l’expliquer. Pour tenter de comprendre la logique suivie, nous avons mis la loupe sur la situation du rugby en Afrique, et plus particulièrement au Burkina Faso, l’une des huit équipes qui seront engagées dans la prochaine Africa Cup.

La décision d’organiser la prochaine Coupe d’Afrique de rugby sur territoire français cet été ne cueille pas l’enthousiasme de tout le monde, des observateurs sur le continent comme partout ailleurs. La nouvelle a été annoncée à la volée après une réunion du comité exécutif de Rugby Afrique, la fédération africaine de rugby, sans véritablement convaincre sur les raisons réelles d’un tel déménagement. Le communiqué de presse, paru dans la foulée, reste d’ailleurs lui aussi assez factuel sans véritablement énumérer les ressors qui ont fait bondir une telle décision.

La promesse de France 2023, le comité d’organisation du tournoi – qui est aussi en charge de l’organisation de la Coupe du Monde de rugby qui aura lieu dans l’Hexagone l’année prochaine –, est celle de favoriser « des conditions de compétitions alignées sur les standards internationaux », c’est-à-dire qui respectent les normes de base en termes d’infrastructures sportives et médicales, de sécurité des joueurs et des délégations et de mesures liées au ralentissement de la pandémie de Covid-19. Ça, c’est pour la façade.

Plus loin, ce rapprochement est plutôt tactique. La France et Rugby Afrique ont des affinités assez fortes et la place française est l’un des haut-lieux du rugby international. Une tendance encore renforcée alors que le XV de France vient de triompher au tournoi des VI Nations en remportant l’ensemble de ses matches.

« La France est une grande nation de rugby. Ce tournoi majeur permettra d’attirer l’attention sur notre sport en dehors des frontières africaines »

Khaled Babbou, président de Rugby Afrique

« La France est une grande nation de rugby, écrit Khaled Babbou, président de Rugby Afrique. Ce tournoi majeur permettra d’attirer l’attention sur notre sport en dehors des frontières africaines. Nous sommes excités de pouvoir enfin montrer les progrès réalisés et la qualité du rugby africain au monde. » Montrer les qualités du rugby africain à plus large échelle semble être une idée fondée sur le bon sens. Or, pour certains observateurs, cela témoigne d’une vision « archaïque » des choses.

Khaled Babbou, président de Rugby Afrique, défend sa vision d’un rugby africain positionné dans le monde du rugby mondial. © Rugby Afrique

« De vieux stéréotypes néocoloniaux »

Le vice-président de l’Association internationale de la presse sportive (AIPS) Mitchell Obi est vent debout contre la décision. Cinq mois après la décision validée par Rugby Afrique, le Nigérian a publié dans des quotidiens de plusieurs pays africains un article d’opinion vertement opposé au tournant choisi par Khaled Babbou. « Je crois que cette décision d’ôter l’organisation de l’Africa Cup au continent africain est profondément erronée », signe d’emblée Mitchell Obi. « Cela lance un message dérangeant à tous les Africains, et plus particulièrement aux jeunes et aux passionnés de rugby. »

« L’argument de la visibilité et de la médiatisation sont de fausses raisons », poursuit-il. Dans les faits, plusieurs grands événements de portée internationale auront lieu sur le continent africain, dont les prochains championnats du monde de cyclisme sur route au Rwanda en 2025 et les Jeux olympiques de la jeunesse d’été à Dakar en 2026. « Quiconque affirme que l’Afrique n’est pas prête à recevoir ces grandes manifestations nourrit avec arrogance de vieux stéréotypes néocoloniaux. »

« C’est aussi à World Rugby de prendre des mesures pour éviter que le rugby africain ne soit desservi. »

Mitchell Obi, vice-président de l’Association internationale de la presse sportive (AIPS)

Pourtant, derrière les mots forts, certains arguments sont très loin de venir agrainer l’anti-raison. Derrière la colère, se trouvent aussi de profondes inquiétudes; à quels frais, les équipes engagées pourront participer à la compétition sans risquer de sévères pertes ? la question est aussi posée au sujet des journalistes du continent appelés à couvrir l’évènement. Seront-ils présents face aux formalités des visas et des coûts de transport et de résidence ? Pour cela, Mitchell Obi s’en remet à l’instance internationale World Rugby. « C’est à eux aussi de prendre des mesures pour éviter que le rugby africain ne soit desservi. »

Le rugby au Burkina Faso demande à avoir sa place dans le concert des nations de rugby. Et leur demande n’est de loin pas irrationnelle. © Fédération burkinabé de rugby

Les autorités burkinabés, elles, approuvent la démarche

La présidente de la Fédération de rugby du Burkina Faso Rolande Boro, membre du comité exécutif de Rugby Afrique, soutient la perspective. Et cela même si elle consent que la participation à la compétition impliquera, bien sûr, des coûts supplémentaires – parfois exorbitants à échelle locale – pour faire voyager l’équipe nationale jusqu’au cœur de l’Europe. Environ 5’000 euros pour les seuls frais d’inscription au tournoi en France sont évoqués, selon certaines sources que nous avons pu consulter. Pour cela, Madame Boro peut néanmoins compter sur quelques soutiens; à commencer par l’Ambassade de France au Burkina Faso. « Nous venons de signer une convention avec la représentation française au Burkina Faso pour faciliter le déplacement des joueurs en France, explique-t-elle. Le stage que nous y préparons est essentiel pour le développement de notre sport dans le pays. Cela permet de découvrir de nouvelles réalités. C’est une chance qui ne se représentera sans doute pas de sitôt. »

Ce stage comprend d’ailleurs plusieurs étapes; un match amical est, pour l’heure, programmé dans la région parisienne le 25 juin face aux Barbarians suisses – une sélection des meilleurs joueurs suisses composée spécialement pour l’occasion. Puis, le survol de l’Hexagone du nord au sud pour y disputer le premier match du tournoi qualificatif pour la Coupe du Monde face à la Namibie dans la région de Marseille. Un programme chargé qui demandera autant de résistance physique que psychologique.

« Il y a encore quelques mois, il était très difficile de présenter le rugby comme sport reconnu dans les écoles. »

Rolande Boro, présidente de la Fédération de rugby du Burkina Faso

Les autorités burkinabés ne restent pas bras croisés non plus. Le ministère des sports et des loisirs au Burkina Faso apporte, lui aussi, son soutien à cet entier programme de mise en condition. Il se porte également garant de la bonne tenue du championnat de rugby au niveau local. D’autre part, un autre ministère – celui de l’éducation nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales – injecte une subvention pour permettre la promotion du rugby et l’organisation de tournois dans les écoles. Un geste d’intérêt pour la jeunesse qui s’y engage de plus en plus, garçons comme filles. « Il y a encore quelques mois, il était très difficile de présenter le rugby comme sport reconnu dans les écoles, explique Rolande Boro. Or, cette étape est pourtant le socle du développement d’un sport au niveau régional et national. » Partant de là, toute possibilité d’exporter le rugby burkinabé en dehors des frontières du pays reste une opportunité à saisir.

D’autant plus que le rugby au Burkina Faso intéresse bien au-delà de la sphère africaine. L’Ambassade du Japon est, elle aussi, au front pour permettre au sport de prospérer dans un pays où la culture du rugby est relativement effacée. Les raisons d’un tel investissement de la représentation japonaise au Burkina Faso est, ici, la preuve que la mondialisation du rugby touche bel et bien aussi ce pays d’Afrique de l’ouest. Quoique ce sujet méritera l’attention d’un prochain article.

La présidente de la Fédération burkinabé de rugby (ici à gauche) en est convaincue: découvrir de nouvelles réalités, hors du continent, est une expérience à prendre – et à renouveler. © Fédération burkinabé de rugby

« Voyager, c’est aussi prendre de l’expérience »

Aujourd’hui, le Burkina Faso compte quinze clubs de rugby, dont huit inscrits dans le championnat de première division. Quatre équipes féminines ont aussi vu le jour depuis 2018, condition sine qua non pour obtenir l’affiliation tant convoitée à World Rugby. Ce rattachement à la fédération internationale a été validé en 2020. Et depuis, le rugby au Burkina Faso est entré dans une nouvelle dimension. L’équipe nationale a désormais portes ouvertes à toute compétition et tout stage de préparation internationaux. « Voyager, pour nous, c’est nouveau », rappelle Rolande Boro. Entendez, voyager en dehors de la région de l’Afrique de l’ouest.

Il y a – encore – cinq ans en arrière, le Burkina Faso n’était informellement invité à participer qu’à quelques tournois régionaux, au Mali, au Niger, au Bénin ou au Togo. Comptez les pays qui l’entourent de part et d’autre de ses frontières. Tous les déplacements se réalisaient dans ce tiers. Or, un événement a lancé la profonde réforme qui a mené le rugby burkinabé vers son état de développement actuel. En 2018, la fédération nationale a bénéficié du soutien du Comité national olympique pour financer le déplacement de plusieurs jeunes joueurs de rugby de moins de 18 ans à Alger et ainsi leur permettre de prendre part aux derniers Jeux africains de la jeunesse. Des rencontres face à l’Afrique du Sud et la Namibie – les deux plus grandes nations de rugby sur le continent africain –, entre autres nations de grande puissance, y avaient été programmées. « C’était notre première sortie et cela a galvanisé notre équipe nationale. Voyager, c’est aussi prendre de l’expérience. »

« L’Africa Cup en France est une chance inespérée pour le rugby africain de pouvoir se déporter ailleurs et se faire connaître dans une région stratégique. »

Rolande Boro, présidente de la Fédération de rugby du Burkina Faso

L’année dernière, l’équipe du Burkina Faso a remporté avec brio ses matches éliminatoires face au Burundi et au Cameroun, ce qui lui a permis d’apparaître parmi les huit meilleures nations africaines qualifiées pour le tournoi qualificatif pour la Coupe du monde – à la surprise générale. Impossible, dès lors, pour eux d’y renoncer par défaut de financement. « L’Africa Cup en France est une chance inespérée pour le rugby africain – et donc pour nous – de pouvoir se déporter ailleurs et se faire connaître dans une région stratégique », soutient toujours la présidente de la Fédération burkinabé de rugby.

Ce potentiel de popularité que recherchent les équipes africaines est effectivement immense en France. C’est ce qui explique la grande popularité du choix qui a été fait, courageusement, par Rugby Afrique. La proposition de tenir la compétition sur sol français a, de fait, été acceptée grâce à l’approbation de plus des deux-tiers des membres de Rugby Afrique. « C’est le chemin que nous avons choisi de suivre. Nous aurons tout le temps ensuite d’en dresser un bilan précis. Toutes les équipes sont enthousiastes et prêtes à jouer. »

Kassoum Deme, joueur des Lions de Bobo-Dioulasso, est l’une des meilleures individualités de l’équipe nationale de rugby au Burkina Faso. Avec son frère Bassirou et son coéquipier Kader Ouedraogo, il a pu suivre un stage de haut-niveau à Monaco et au Stade Toulousain, dans le sud de la France. © World Rugby

Se faire connaître, et ensuite ?

« Le rugby burkinabé est un “sans stade fixe” », déplore Christo Ivanov. Très investi dans le rugby au Burkina Faso, ce député UDC genevois s’est engagé ces dernières années pour parvenir à élever ce sport dans le pays en utilisant le levier des relations politiques. Ce politicien de proximité, dont l’épouse est burkinabé, a tissé de forts liens avec cet État pauvre de l’ouest africain. Il a favorisé la signature d’un partenariat entre la Fédération de rugby du Burkina Faso et un orphelinat du pays, de sorte à ce que des centaines d’enfants puissent bénéficier d’une intégration dans la société – grâce au rugby. Et cela fonctionne plutôt bien.

Reconnu dans le pays, il a, en conséquence, reçu le Prix de la personnalité sportive de l’année en 2021. Une récompense décernée par les journalistes sportifs nationaux lors de la 26e Nuit des champions à Ouagadougou. Il était alors le premier non-Africain à avoir reçu la distinction. « Cela récompense aussi l’implication de Genève et de la Suisse au Burkina, via le sport. C’est un prix collectif: seul, on ne fait rien », avait-il aussitôt annoncé sur la tribune.

« On échange beaucoup, salue pour sa part Rolande Boro. Il vient souvent au pays et c’est un grand passionné de rugby. Je sais qu’il fera tout pour nous soutenir à toute épreuve. » Il n’est cependant pas le seul; beaucoup d’autres personnes donnent depuis quelques mois – et années – de leur personne pour que le rugby dans le pays évolue, et ceci malgré les conditions de jeu et d’entraînement.

« Le rugby burkinabé est un “sans stade fixe” »

Christo Ivanov, député UDC genevois investi dans le rugby au Burkina Faso

L’un d’eux est Bronson Weir, l’actuel entraîneur des -20 ans de l’équipe nationale d’Afrique du Sud. Appelé comme consultant pour encadrer la structure élite du Burkina Faso, il a aussi invité six jeunes joueurs burkinabés à venir s’entraîner et jouer – moyennant une licence – à Pretoria. D’autres – grâce à divers contacts – ont, en revanche, déjà pied-à-terre en France, à Paris, Monaco et Toulouse plus précisément. Le préparateur physique du Stade Toulousain, Zéba Traoré, est d’ailleurs lui-même burkinabé. Tout ce dispositif a dès lors pour but de préparer ces jeunes individualités aux grandes échéances qui les guettent. Hors du Burkina Faso, au Nord.

Tout cela est en bonne voie. « Le nerf de la guerre, maintenant, c’est d’avoir des financements pour la formation, explique Christo Ivanov. Et ces financements n’arriveront pas du pays lui-même. Je me bats avec les différents ministres pour avoir des infrastructures, mais rien n’est fait pour l’heure. » Le football reste le sport roi au Burkina Faso. « De fait, nous sommes souvent déprogrammés et manquons de matériel adapté pour assurer la sécurité des joueurs », complète Rolande Boro. Autrement dit, sans en faire grande publicité, le pays s’en remet à des aides venues de l’étranger. Et d’ailleurs, certaines d’entre elles proviennent justement de chez nous, du Servette Rugby Club, à Genève. Cependant pas encore suffisant pour passer la vitesse supérieure.

La médiatisation faite en Europe est dès lors loin d’être inutile. Reste que cela ne suffit néanmoins pas à convaincre tout le monde, Mitchell Obi en première ligne. à suivre…

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