Psycho Weazel et le juke joint de l’électro humanisé

Entre composition de musiques pour pièces de théâtre et bandes originales pour court-métrages, le duo Psycho Weazel est surtout un surdoué de musique électronique d’un vieux genre, rustre et lascive, un peu dark house sur les bords. Leur style ressemble au duo The Blaze ou à Jean Tonique, tout en s’inspirant du genre Selector. Ils sont depuis quelques années sous les projecteurs à Neuchâtel et dans l’ensemble de la Suisse romande. À découvrir absolument.

Ils se sont trouvés de manière si impromptue, que tout avait au contraire l’air d’être écrit dans l’air. L’attraction musicale et amicale qui lie aujourd’hui Léo Besso et Ivo Roxo remonte au lycée, un peu moins de dix ans en arrière. Un groupe d’étudiants passe alors les portes d’un bus devant les mener au ski; Ivo s’assied à l’arrière, les enceintes connectées prêtes à être dégainées. Léo se place un peu plus à l’avant, à la portée de l’écho musical qui, lui, traverse toute l’allée centrale.

L’un écoute la musique à plein tube, l’autre la réserve dans ses écouteurs ancienne génération. Le style diverge mais à cet instant, c’est à peu près la seule chose qui différencie les deux jeunes hommes; à quelques détails près, ils écoutent le même répertoire musical. Si bien que la raison qui invite Léo à retirer son oreillette ce jour-là l’extirpe, encore plus que d’habitude, de sa solitude. « Je venais de rejoindre un lycée à Neuchâtel et je n’avais encore que très peu d’amies et amis dans la classe, explique Léo. Je venais de La Neuveville, donc d’un autre canton. Pourtant, me retourner dans le bus à ce moment précis, remarquant que le titre qui passait était le même que j’avais dans les oreilles quelques secondes auparavant, m’a donné l’impression que je connaissais Ivo depuis longtemps. »

« Trouver quelqu’un qui comprend si bien comment fonctionne l’autre est une sensation extraordinaire »

Léo Besso, moitié de Psycho Weazel

Tout a alors commencé par Les Enfants, un titre de Cassius fraîchement remixé par Gesaffelstein en juin 2011. Désordonné et rasant à la longue, ce morceau fut celui qui a forcé la rencontre entre les deux. L’attrait qu’ils témoignaient pour ce style très disjonctif de musique électronique a scellé une amitié de très longue date. « On a aussi très vite remarqué que ce n’était pas la seule ressemblance entre nous, explique Léo. Nous sommes si différents mais similaires en même temps. » Les deux partagent aussi la passion du skate et du snowboard. Mais tout comme la musique, ils ne la racontent pas de la même façon. Cette bigarrure dans le duo est pourtant ce qui les distingue sur scène et en discothèque.

« Nous avons la capacité de nous écouter. L’un et l’autre sait entendre quand une création personnelle peut marcher ou non. Nous nous jugeons avec beaucoup de bienveillance », assure Léo Besso. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Neuchâtel]

Aimer surprendre le public autant que soi-même

Depuis leur tout premier DJ set en mars 2012, le duo Psycho Weazel travaille de façon si organisée qu’il laisse une pleine place à l’improvisation. Cette année-là, ils s’étaient mis les deux aux platines libres à l’Interlope de la Case à Chocs à Neuchâtel. Sans préparation, ils s’y étaient amusés plusieurs heures à faire danser les clubbers. Dix ans plus tard, ils se surprennent encore d’en faire leur métier. « La magie avait opéré dans la plus pure impro, raconte Léo. Trouver quelqu’un qui comprend si bien comment fonctionne l’autre est une sensation extraordinaire. »

« Notre musique est faite pour être passée en club, moins pour être écoutée sur disque chez soi, le matin »

Léo Besso, moitié de Psycho Weazel

Les deux ont d’ailleurs leur méthode propre de travail bien qu’ils cohabitent ensemble dans une « toute petite » maison. Leur réussite est à la fois basée sur une collaboration non-automatique et une compréhension mutuelle des goûts et des envies. « Nous avons la capacité de nous écouter, soutient Léo. L’un et l’autre sait entendre quand une création personnelle peut marcher ou non. Nous avons tous de notre côté des centaines de projets entamés. Nous savons aussi que tous n’aboutiront pas à une perform’ en public. Nous sommes au clair avec ça et nous jugeons avec beaucoup de bienveillance. » Et cela n’a, semble-t-il, jamais changé.

En réalité, Ivo et Léo ne sont pas exactement atteints par la même folie musicale, c’est pourquoi ils se muent en garde-fous mutuels. « Il est important de ne pas se ressembler sur tous les points, assène Ivo. Nous travaillons seuls au début, puis ensemble. » De cette manière, ils aiment autant se surprendre eux-mêmes que leur public.

Psycho Weazel ont foulé certaines parmi les plus grandes scènes de Suisse. Programmés au Montreux Jazz Festival et à Festi’neuch, la dernière fois en août 2021, ils ont cueilli une notoriété certaine dans le monde de la musique électronique. « Des petites victoires qui valent beaucoup », résume Ivo Roxo. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Neuchâtel]

Dix ans de musique et de cognition

Le duo fait surtout de la musique pour l’instant, sans particulièrement penser à la faire perdurer dans le temps. Aller les écouter en personne est ainsi une expérience unique à chaque fois, avec la probabilité assumée que le public n’entende plus jamais les créations qu’ils ont pu entendre sur scène. « Notre musique passe surtout en club mais pas nécessairement pour l’écouter en streaming ou sur un disque chez soi », précise alors Léo.

Cela ne signifie pas pour autant que Psycho Weazel ne livre aucune sortie à l’année. C’est même plutôt l’inverse. Depuis le début de l’année 2020, les deux jeunes musiciens ont surchargé leur plateforme d’écoute sur Spotify. En deux ans, ils ont publié pas moins d’une dizaine de courts EP travaillés à la hache et au couteau. Aucun d’eux n’a d’ailleurs été pensé dans la continuité du suivant. Le duo contraste alors facilement entre une musique électro rétro-moderne qui nous replonge dans les années 1980 – blouson de cuir et gomina comme dans le clip d’Alegria Nervosa sorti en juin 2020 – et une production plus mainstream qui voit s’annexer dans leur dernier EP le rap énergique du collectif lausannois Nébuleuse (lire au chapitre suivant).

« Nous ne programmons aucune de nos sorties musicales, assure Léo. Nous ne faisons pas la musique dans ce but. Nous la faisons vivre et quand une création sort du lot, nous la publions sur nos plateformes. » Dans leur manière de vivre leur art, Psycho Weazel navigue ainsi à vue, progressant à la fois à l’abri des intempéries médiatiques et à la portée des nouvelles tendances. Dotés d’une intelligence certaine, ils savent aussi prendre le pouls des attentes et envies du public neuchâtelois, utilisant leurs plateformes digitales comme vitrine de boutique. En 2015, ils foulent pour la première fois la scène de Festi’Neuch et adaptent leur musique de club à la pure performance. Un exercice qui les amènera quatre ans plus tard au Montreux Jazz Festival. « Ces invitations sont pour nous des petites victoires qui valent beaucoup », lâche Ivo. À ces occasions, le duo a aussi appris à (un peu) moins improviser ses sets et à les retravailler au bec d’oiseau.

Guitare, synthé ou batterie à portée de bras, le jeune duo démêle ses tracas à coups de créations spontanées. Mais il ne s’agit pas de savoir si l’on aime ou pas la musique électronique; avec Psycho Weazel, tout passe à la pommade. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Neuchâtel]

Les Garçons, une nouvelle encablure rap

La différence entre une plage musicale de club et une chanson, le duo a appris à la connaître en dix ans de métier. Les trois titres que contient le dernier EP Les Garçons sorti en juin 2021 en collaboration avec les Lausannois Princesse Daniel et Jean-Mule du collectif Nébuleuse marquent encore plus la frontière. « Ces musiques que nous avons coproduites avec eux marquent définitivement une nouvelle encablure de notre répertoire », admet Léo.

Ces nouvelles compositions sont chantées, ce qui n’est bien sûr pas fréquent dans les musiques du duo. Elles s’écoutent en casque, et en boucle de surcroît. La table de mixage a alors laissé place à un peu plus de micro. La rencontre avec Princesse Daniel par contre est, elle aussi, fruit d’un heureux hasard. Les premières approches naissent dans un cadre universitaire, lors d’un séminaire en commun. Ils partagent leur univers et se retrouvent dans les loges des festivals dans lesquels ils sont, les uns les autres, programmés. Cherchant ainsi un chanteur de métier pour habiller leur électro subtile, Psycho Weazel propose ainsi la collaboration. En trois jours d’enregistrement en studios, ils réalisent ainsi l’EP, inspiration à feu nourri. « Il y a eu une grande spontanéité dans la construction de ce disque, lance Ivo. La technique incroyable de Princesse Daniel et Jean-Mule a aussi contribué à maintenir un cap dans la production; il est toujours très juste dans ce qu’il fait. »

« Nous avons révolutionné notre musique pour l’adapter aux circonstances, tout en conservant notre touche personnelle »

Ivo Roxo, moitié de Psycho Weazel

Le résultat est, lui aussi, des plus justes. Il marie une électro d’habitude peu accessible aux non-initiés, un brin minimaliste et décalée, avec des sonorités plus ciselées dans un répertoire plus commun et moins hédoniste. Et le contexte pandémique n’a, à son tour, pas manqué de faire influence: « Sortir des musiques de club en pleine crise sanitaire n’était pas très judicieux, précise Ivo. Nous avons alors révolutionné notre propre musique pour l’adapter aux circonstances mais en conservant notre touche personnelle. » Si la référence du duo reste la musique de niche – celle qui ne plait pas – les deux jeunes hommes de 25 ans ont dès lors aussi prouvé avoir eu le cran de la renverser.

Guitare, synthé ou batterie à portée de bras, le jeune duo démêle ses tracas à coups de créations spontanées. « Sans avoir le moindre cursus d’études en musique, il a fallu du temps pour nous extirper du syndrome de l’imposteur, explique Léo. Cela fait trois ans que nous faisons du live et nous travaillons beaucoup sur nous-mêmes psychologiquement. Nous ne faisons pas de la musique de façon académique mais ça fonctionne quand même. » La spontanéité et l’improvisation font ici des miracles rendant à chaque fois l’expérience unique, pour les artistes mais surtout pour le public. Et il ne s’agit pas ici de savoir si l’on aime ou pas la musique électronique; avec Psycho Weazel, tout passe à la pommade.

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