Yellowstraps, du laboratoire de Braine-l’Alleud au premier Montreux

Yvan, accompagné par son bassiste Victor Defoort, joue avec son public. Il le contemple d'abord assis, avant de progressivement lui demander de se lever. Et donc de danser. © FFJM - Emilien Itim

Yellowstraps a toujours ses lanières jaunes sur ses guitares. Après le le départ de son frère Alban en janvier dernier, Yvan Murenzi a conservé l’esprit du duo dans des chansons et musiques plus personnelles et toujours plus recherchées. Il se produisait cet été au Petit Théâtre du Montreux Palace à l’occasion de la 55e édition du Montreux Jazz Festival. Le premier pour le jeune artiste de 29 ans.

Une pointe d’appréhension mêlée à une excitation palpable. Dans la pénombre, un flash blanc vient troubler la vue des 300 personnes assises dans le Petit théâtre, bien caché dans un recoin du Montreux Palace. Les chaises sont disposées en ligne, à distance réduite mais les rangées n’en restent pas moins parfaites. Une quadrature de la salle laisse imaginer la précision de la disposition. En raison d’un protocole sanitaire précis, la légèreté s’est effacée devant la dureté de la règle. À peine entré sur scène, Yvan observe son public, le remarque à bonne distance de la scène, sans masque mais sagement assis, assigné à sa propre place. Son premier Montreux est, visiblement, bien particulier; mais qu’importent les circonstances tant qu’il y a l’ivresse.

Yvan Murenzi (29 ans) a créé, avec son frère Alban (27) à la guitare, le duo Yellowstraps en 2011. Ces enfants nés au Rwanda ont, depuis leur jeune âge, beaucoup tourné. Ils se sont imprégnés de cultures diverses, nouvelles jusqu’à la maturité, où le déclic pour la musique a finalement pris une tournure concrète. Après avoir habité trois ans en Ouganda, ils ont définitivement rejoint, en 2000, la région de Bruxelles en Belgique. À deux, ils évoluent dans un nouvel univers, se confondent dans les rites du lieu et finissent par jeter, près de dix ans plus tard, les bases d’un projet musical hétéroclite. Ils plongent progressivement dans le rock avant de composer dans un large éventail de styles – pop, folk, puis enfin le R’n’B, le jazz et la soul. Aujourd’hui, toutes ces pistes sont brouillées mais aucune n’a été abandonnée pour autant. « Il est possible que certaines sonorités rythmiques africaines ressortent également de manière inconsciente, nous explique Yvan quelques heures après son passage au Montreux Jazz Festival. Ce qui est certain, c’est que nous avons écouté différents artistes, de tous bords, dont nous nous sommes toujours inspirés. »

« On teste notre écriture et notre composition petit à petit et notre univers s’affine ainsi. C’est un apprentissage sans fin, presque une quête impossible de perfection. »

Yvan Murenzi, chanteur de Yellowstraps

En quatre ans, depuis la création de leur duo, les deux frères concrétisent leur ambition et sortent, en autoproduction, un premier EP, suivi d’un deuxième, la même année, en collaboration avec le producteur belge Le Motel, alias Fabien Leclercq. Cette convergence se révèle faste; la sortie de “Mellow” en 2015 – dans lequel apparaît notamment le tout premier titre de référence “Pollen” (2013) – constitue un premier succès. Il leur ouvre les portes des plus grandes scènes européennes et leur permet de poursuivre leur voie vers de nouvelles découvertes musicales. Ensemble, ils excavent des plateformes de streaming des titres méconnus du grand public, les écoutent en boucle et s’en imprègnent à l’envi, comme taillant d’impensables diamants bruts extirpés de leur cache à mille pieds sous terre. « Nous avons toujours été dans une phase de laboratoire. On teste notre écriture et notre composition petit à petit et notre univers s’affine ainsi. C’est un apprentissage sans fin, presque une quête impossible de perfection. »

Un EP et une mixtape dévoilés en 2020

« Nous avons eu plusieurs phases dans notre évolution, poursuit Yvan. La principale différence est qu’avant 2019, on considérait la musique davantage comme un passion annexe mais pas comme un projet de profession. » Les influences proches de nombreux artistes belges en devenir, Roméo Elvis en tête, les mène vers la sortie d’un nouvel EP en 2018. “Blame” marque alors une période de transition pour le duo, durant laquelle il se met temporairement en retrait.

Le cap décisif adviendra courant 2019 après une invitation à participer à une session de Colors à Berlin. Ils y présentent “Rose”, le premier single du nouvel EP “Goldress”, qui sortira quelques mois plus tard, en février 2020. L’effet est palpable; ils séduisent un public nouveau, y compris outre-Manche où, au style de King Krule, Mount Kimbie ou James Blake, ils signent avec le label Believe en Angleterre. Certes, la pandémie de 2020 traverse cette ascension fulgurante en trouble-fêtes mais, comme pour beaucoup d’artistes, Yellowstraps y cueille sa meilleure inspiration pour débuter de nouvelles (et nombreuses) collaborations. En six mois de crise sanitaire, ils dévoilent une série de treize musiques inédites, toutes réalisées à distance avec un artiste nouveau. Cette mixtape, dévoilée sous forme d’EP en octobre dernier, marque à ce jour le clou d’une évolution substantielle.

« La pandémie marquait le temps des créations instantanées mais aussi celui d’un retour à une phase de laboratoire. »

Yvan Murenzi, chanteur de Yellowstraps

“Yellockdown Project” constitue ainsi, aujourd’hui, le disque de référence pour comprendre la synergie que le duo a partagée avec la scène hip-hop belge et, en partie, francophone. Le projet est né naturellement, à bout de talent et d’un peu de bonne fantaisie. « À cet instant, nous avions des perspectives de concert partout en Europe, explique Yvan. Quand ils ont été annulés, nous avons su garder notre énergie pour continuer de créer, de bouger et de composer; nous dédions alors notre temps plein à la musique avec des featurings réalisés partout à travers le monde, ironie du sort. » Occasion donnée de découvrir de nouvelles influences, de nouveaux artistes, mais aussi la chanson en français. « Avant, c’était une barrière de chanter en français. Mais le soutien d’artistes francophones a été immense et il nous a rendus à l’aise. C’était le temps des créations instantanées mais aussi celui d’un retour à une phase de laboratoire. »

Fort d’un duo enivrant, basse-voix, Yvan Murenzi fait corps avec son public et l’invite à chanter le refrain du titre “Take Over”, disponible sur l’EP “Goldress”. © FFJM – Emilien Itim

Un nouvel équilibre

Yellowstraps a néanmoins connu une nouvelle évolution en janvier 2021; Alban quitte son frère pour se dédier à la musique, mais différemment. Mais cela n’a en aucun cas signifié la fin du projet. Il l’a juste porté vers un nouvel équilibre où toute nouvelle création se révèle plus personnelle et sans doute encore plus romancées. « Le départ de mon frère m’a poussé à tenter de nouvelles choses avec des projets plus personnels, explique Yvan. On sent que Yellowstraps évolue. Le fait d’avoir été décomplexé durant la pandémie m’a poussé à adopter des méthodes de composition différentes d’avant. Avant c’était un peu plus intellectualisé. Or, maintenant, je verse plus vers le songwriting, sans complexes et sans artifice. La création des nouveaux morceaux se fait parfois en 24 heures, avec pour but d’aller toujours plus à l’essentiel. »

Toutefois, Yvan ne s’est pas isolé pour autant. La musique étant une histoire de connexions, il a continué à fouiller dans les vestiges profonds des plateformes de streaming. « Cet art est profond et inexplicable, explique-t-il. On peut, en peu de temps, découvrir des sensations, des ressentis que l’on aurait jamais imaginé toucher. Je ne peux pas me couper du monde. Je me découvre énormément à force de collaborations et j’entre constamment dans de nouveaux univers. Ça ouvre des horizons mais aussi ma propre vision. »

« Nous voulons retrouver une cohésion avec le public et je vois que c’est réciproque. »

Yvan Murenzi, Yellowstraps

On revient donc à l’essentiel; l’ivresse est là ce 4 juillet au Petit Théâtre, à Montreux. Yvan, accompagné par son bassiste Victor Defoort, joue avec son public. Il le contemple d’abord assis, avant de progressivement lui demander de se lever. Et donc de danser. Les conditions particulières résultant de la pandémie de Covid-19 l’ont forcé à appréhender à nouveau son public. « Ces particularités nous donnent encore plus envie de partager. Avant la pandémie, nous prenions un peu tout pour acquis. Or, la crise sanitaire nous a fait comprendre pourquoi il est tant important de profiter du moment présent. »

Un exemple frappant de cette dynamique nouvelle advient à l’heure de Take Over, un titre figurant dans le nouvel EP “Goldress”. Fort d’un duo enivrant, basse-voix, il fait chanter, presque à tue-tête, l’assistance. Les 300 personnes de la salle lui répondent, avec âme et sincérité. « C’est quelque chose que nous avions déjà expérimenté mais c’était un challenge de le faire avec un public plus distancé. Nous voulons retrouver une cohésion avec le public et je vois que c’est réciproque. »

« La date de Montreux est un pas de plus vers la professionnalisation. »

Yvan Murenzi, Yellowstraps

Cette étape marquait aussi la reprise de la tournée de “Goldress”, et avec elle un fol espoir de retour à la normalité. Sans compter que pour Yvan Murenzi, l’escale à Montreux valait encore un plus que ça: « La date à Montreux est un pas de plus vers la professionnalisation, explique-t-il. Mais pas que Montreux, chaque étape, chaque morceau composé et chaque concert nous fait progresser et le MJF est un de ces paliers importants. »