Baron.e, la “Sémantique” d’un duo naissant

Faustine Pochon et Arnaud Rolle ont sorti le 6 mai le nouveau clip du single "Sémantique”. © Mathieu Geser

Ils sont deux: un jeune homme, une jeune femme et chantent en français. En toute simplicité, cela ferait une belle composition d’accroche pour présenter Baron.e. Faustine Pochon et Arnaud Rolle (tous deux 24 ans) ont beau faire feu contre tout spécifique et déterminisme, comme le style de leur musique – un condensé d’électro et de pop taillé jeunesse qui empoigne les tracasseries de leur génération –, que l’on vient finalement à manquer de qualificatif pour les introduire simplement et sans redondance. Une chose est sûre néanmoins: leur notoriété toute fraîche le dispute à leur humble fraîcheur.

Faustine et Arnaud sont tous les deux de purs produits romands, attachés par la force des choses à Fribourg, leur ville natale. Leur entente amicale, puis plus tard musicale, est née sur les bords de la Sarine il y a plusieurs années. Ils y étudient tous deux l’histoire contemporaine à l’Université et ont foulé leurs toutes premières scènes ensemble dans les clubs de la ville juste avant que la pandémie ne les freine dans leur élan. S’il existe, entre eux, des ressemblances évidentes, subsistent aussi beaucoup de divergences qui marquent particulièrement leur musique. Rien dans leurs créations n’est véritablement défini: l’on virevolte un temps, sur l’ensemble des titres dévoilés, sur air festif et une composition dynamique qui se rabat presque instantanément à l’écoute de paroles qui, elles, sont davantage empruntées par le spleen et la mélancolie.

C’est cette nébulosité contenue entre leur “mélancolie festive” et leur “fragilité violente” qui inspire le plus, d’une part si proche de l’univers d’Aliose qu’elle s’en distingue, d’autre part, par ses allures voilées qui corde une jeunesse inconsolable. Dans un autre genre, souvent comparés cette fois au groupe Thérapie Taxi, ils se démarquent ici aussi par leur doigté poétique et leur allant sentimental aux contours un peu pastellisés.

Simplicité naturelle

Ce style si particulier n’a pas été le fruit d’une recherche approfondie; la simplicité naturelle que le duo dispose sur scène comme dans ses clips s’est imposée de manière aussi spontanée que sincère. « Cette symbiose n’est pas consciente mais elle émane de nos vies à tous les deux et nous osons les mettre en musique. C’est ce qui donne une certaine sincérité, explique Arnaud. Cela revient à cultiver notre propre spontanéité, entre nos questionnements existentiels et notre envie de faire la fête. » En quelques mots, voilà ce qui se trame dans leur premier cinq-titres “Jeunesse dorée” sorti en mars 2020. Un premier EP qui en appelle un second, sur vinyle, dont la sortie et le nom seront dévoilés vers la fin d’année 2021.

Le contenu de ce nouvel opus sera néanmoins dévoilé au compte-goutte, single par single. Le premier, “Sémantique” est sorti le 6 mai dernier avec un clip taillé sur mesure par la Nyonnaise Mei Fa Tan (lire en encadré). « On a imaginé le deuxième EP comme un projet cohérent où chaque morceau tisse un bout d’une histoire que nous souhaitons raconter, détaille Faustine. Le but est que le public puisse découvrir l’EP en épisodes, comme pour une série. »

“Sémantique”, passion sous tentacule

Sémantique est le premier single du nouvel EP à paraître. Il est aussi le titre vainqueur du concours “Picture My Music” fin 2020 qui, sous la direction de la Nyonnaise Mei Fa Tan, promet à l’artiste lauréat de mettre en image sa musique phare.

“Sémantique” n’est, de fait, pas le titre le plus banal du duo. Si comme les précédents, il fait résonner aux oreilles une joyeuse litanie, teintée de peines de cœurs mal cicatrisées, il illustre pour une fois aussi, à travers son clip, la passion des âmes couplées à celles des corps. S’entremêle ensuite une curieuse créature tentaculaire qui, à moins d’entrer dans la tête des deux auteurs-compositeurs, ne dira rien de sa signification exacte. « C’est, je crois, le propre de la réalisation de Mei Fa: tous ses clips laissent une place importante à l’interprétation », esquisse Arnaud.

C’est que la Nyonnaise de 30 ans a les idées bien claires quand il s’agit de mettre en scénario la musique des autres, un talent dissimulé sous un voile assez épais de modestie. Réfléchi et posé, comme toujours, ce court-métrage s’apparente à un sur-mesure aux coutures parfaitement exécutées. « Je ne pense pas que ce que j’ai fait pour ce clip, je l’aurais fait pour d’autres musiques, explique-t-elle. Leur manière d’écrire la musique est très portée sur l’imaginaire et l’imagination. Ce qui ressort de leurs textes n’est, en fait, pas très clair. C’est pourquoi, j’ai opté pour une réalisation en contexte aquatique; un monde où tout est vague et relatif. » …lire la suite plus bas

Baron et Barone sont, en somme, de très grands adolescents dont le titre de noblesse proclamé détonne tout de même un peu avec leur bonhommie naturelle. Cette candeur partagée à deux cultive néanmoins une part de mystère, presque indécelable quand le mélange des voix et leurs mots sensibles s’entremêlent aux guitares et aux synthés. Comme un accent allemand ou yéniche que l’on perdrait instantanément en chantant le français.

« Nous avons été surpris de voir à quel point notre musique a voyagé en si peu de temps, du studio de Belfaux où nous l’avions enregistrée à l’ensemble du territoire suisse, français, belge et même canadien », explique Faustine Pochon. © Mathieu Geser

Poétique francophone

« Le français n’est pas un choix fort parce que la scène francophone existe et est reconnue. » Pour Arnaud et Faustine, la langue a, dès le début, été une évidence. Difficile, dès lors, de faire d’un choix naturel une sensation. Mais pourtant, il y a quelques mois, vers les débuts de l’aventure en duo, Arnaud avouait “se mettre à nu” en chantant dans la langue de Molière mais il semble aussi avoir mûri sa réflexion. « Nous avons simplement décidé d’écrire et chanter ce qui nous semblait le plus spontané. Tout n’a pas une explication mais nous avons aussi beaucoup travaillé pour. »

Aussi évidente soit-elle en Suisse comme en France voisine, la chanson française reste sur un élan qui la voit s’épandre un peu partout sur l’ensemble des continents. Ni plus, ni moins, la langue ressurgit comme l’une des poésies et idiomes chantés les plus écoutés, mais aussi plus appréciés dans le monde. Le duo eut, d’ailleurs et juste avant que n’éclate la crise du coronavirus début 2020, la possibilité de se produire aux États-Unis; trois dates dans le cadre du mois de la Francophonie, en mars, soutenu par les ambassades des pays francophones. Baron.e avaient alors reçu l’invitation formelle de la part de l’ambassade de Suisse à Washington pour se produire au sein de petits locaux et lieux culturels dédiés à la Francophonie. Une occasion pour rendre hommage à ce qui constitue un patrimoine personnel, pour le duo, mais aussi collectif pour plus de 300 millions de ses locuteurs dans le monde, le français.

« Nous sommes très reconnaissants de ce que la Suisse romande nous a offerts »

Arnaud Rolle, moitié de Baron.e

En cela, de manière plus pragmatique, on y décèle aussi les attaches fortes que les deux étudiants vouent à leurs racines locales. « Nous sommes très reconnaissants de ce que la Suisse romande nous a offerts, avoue Arnaud. Fribourg nous a ouvert des salles, des personnes de Fribourg ont été, les premiers, prêts à nous produire. Couleur 3 et la RTS nous ont soutenus et nos prochaines dates se concentreront principalement en Suisse romande. » Cette relation fusionnelle avec leur ville native n’est, certes, pas quelque chose qu’ils mettent en musique mais leurs histoires de jeunes adolescents racontées et chantées y trouvent naturellement racine. « Ce serait dommage de s’éloigner de nos origines et de nos inspirations », lâche, souriante, Faustine.

« Cette symbiose n’est pas consciente mais elle émane de nos vies à tous les deux et nous osons les mettre en musique. C’est ce qui donne une certaine sincérité », explique Arnaud Rolle. © Mathieu Geser

Une notoriété éclair

C’est grâce à leur premier titre, « Un verre d’égo”, que Baron.e a virevolté, en quelques jours seulement, sur les devants de la scène médiatique musicale francophone. Sélectionné dans le top 30 des meilleures chansons de l’année 2019 par le magazine réputé Les Inrocks, le titre a bénéficié d’une mise en lumière aussi spectaculaire qu’inattendue. « Nous avons été surpris de voir à quel point notre musique a voyagé en si peu de temps, du studio de Belfaux où nous l’avions enregistrée à l’ensemble du territoire suisse, français, belge et même canadien. »

Arnaud et Faustine esquissent ensemble un petit sourire. L’histoire d’un succès qu’ils racontent est la leur. À 22 ans, ils ont tapé dans l’œil exigeant de la place musicale de l’Hexagone, comme s’ils venaient d’être adoubés dès leur premier fait d’arme. Le duo s’est formé, un soir de mai, sur scène. Le fruit d’un rapprochement évident entre deux amis de très longue date.

Rapidement, c’est Fabien Boissieux de l’agence de management ylin Prod à Fribourg qui décide de les suivre et de les aider. La brève tournée étasunienne est à son crédit, tout comme l’ensemble des dates prévues à l’été 2020 dans bon nombres de festivals huppés en Suisse, comme en France. Le rayonnement en France est, là par contre, l’œuvre de Jad El Alam; grâce à l’agence [PIAS] France et le tourneur Bleu Citron tous deux implantés à Paris, le réseau s’est d’emblée créé plus facilement. « C’est évident que pour aller faire des concerts à l’étranger, c’est bien d’avoir une équipe ou des contacts avec des gens sur place, comme ici à Paris », confirme Arnaud. « C’est bien la preuve aussi que l’on a pu compter, dès le début, sur le soutien fidèle des bonnes personnes, poursuit Faustine. Notre manager Fabien Boissieux a fait un travail énorme et les médias ont pris le risque de nous diffuser, nous devons en être aussi fiers que reconnaissants. »

Leur deux premières résidences en 2020 ont eu lieu au Nouveau Monde et à Fri-son, dont une en compagnie de Raphaël Noir, dans leur ville de Fribourg. C’est d’ailleurs là que le duo retournera sous peu pour goûter à nouveau aux plaisirs de la scène. Malgré les opportunités réduites de concerts durant la pandémie, le binôme est toutefois resté alerte sur les possibilités d’organiser des sets intimistes dans les recoins charmants de la ville; en cela, la Spirale, une autre salle fribourgeoise, a été de premier choix pour relancer la série de représentations qui devraient perdurer sur l’été, avant de gonfler sur l’automne.

Mei Fa Tan: « Un tournage réussi malgré la pandémie »

Mei Fa Tan eut l’occasion de rencontrer Baron.e en 2019 déjà, alors que le duo venait de se présenter à “Picture my Music”, une année déjà avant leur victoire. Soucieuse de primer un lauréat parmi tant de bons candidats – une sélection élargie de 160 artistes –, elle avait alors préféré écarter le dossier du jeune duo. « Dans le jury, nous évaluons toujours l’évolution de l’artiste ou des artistes dans la musique, explique la Nyonnaise. Le projet de Baron.e a d’emblée été intéressant mais il était encore trop frais, avec un seul titre au répertoire. »

Mei Fa Tan à la réalisation du clip « Sémanique » de Baron.e © Mathieu Geser

« C’est la première fois que le vainqueur du Music Video Contest chante en français et dans un style un peu plus pop. En les sélectionnant, j’ai aussi pris le pas de faire évoluer le concours. » Parmi les derniers artistes suisses primés – Mourah (2016), Fabe Gryphin (2017), Yael Miller (2018) –, tous avaient d’emblée versé dans la chanson anglaise. Un premier saut hors des sentiers battus eut lieu en 2019 lorsque les faveurs du jury furent accordés à la rappeuse Kényane Muthoni Drummer Queen. Trois jours de tournage eurent alors lieu en janvier 2020 à Nairobi; un véritable saut dans le vide qui lui aura valu, un an plus tard, le prix du Best Swiss Video Clip au M4Music 2021. Appréciée et reconnue, la production de Mei Fa Tan se révèle prestigieuse, tant dans la précision de la finition que dans ses choix de départ.

En 2021, la situation pandémique lui aura imposé une contrainte supplémentaire: réaliser un court-métrage musical entre les mailles des restrictions sanitaires. « Ce que je retiens, c’est que toute l’équipe a réussi à mener le projet à son terme, malgré les incertitudes en termes de production et un budget limité. J’ai mis toute mon énergie pour que nous ayons tout le nécessaire pour tourner », explique Mei Fa. Le tournage a ainsi eu lieu au célèbre Aquatis de Lausanne et à la Bibliothèque de la ville de La Chaux-de-Fonds, suite à un repérage sérieux réalisé par le directeur de la photographie, Ludovic Matthey. Un fond boisé avec du cachet pour faire en sorte que « la musique puisse exister malgré l’absence de concerts. »