Nils Theuninck, le Pulliéran qui rêvait d’Enoshima

Lors des championnats du monde de Finn, tenus du 3 au 12 mai derniers à Porto, Nils Theuninck a manqué de peu la qualification pour les Jeux olympiques de Tokyo. Toutefois, malgré la déconvenue, les résultats actuels du navigateur pulliéran au niveau international, récent médaillé de bronze aux Européens de Vilamoura, demeurent encourageants. Le jeune homme de 24 ans nous a accueillis chez lui, au Port du Pully, quelques jours seulement après son retour du Portugal. Rencontre.

L’île d’Enoshima est un haut-lieu de la voile au Japon. Versé vers la baie de Sagami, à 55 kilomètres plus au sud de Tokyo, son port de plaisance représente, depuis sa construction à l’occasion des Jeux olympiques de 1964, une porte d’entrée remarquable vers le Pacifique. Elle a autrefois participé à la bonne réputation de la préfecture de Kanagawa en devenant le premier port légitime à organiser des compétitions nautiques au niveau international. Près de 60 ans plus tard, naturellement choisie pour y recevoir les épreuves de voile à l’occasion des prochains Jeux olympiques, cette île est toujours aussi prisée.

Sociétaire des clubs nautiques de Pully et de Gstaad, Nils Theuninck reconnaît les lieux. Il aurait espéré gîter à nouveau sous le vent d’Enoshima cet été, lui qui s’y est déjà rendu à deux reprises, en 2018 et 2019, à chaque fois que son port de plaisance accueillait la première étape des World Cup Series, la Coupe du monde de la voile. Mais il a manqué l’occasion de se qualifier pour ses premiers Jeux olympiques en terminant à la onzième place des championnats du monde de Finn à Porto le 12 mai dernier ; un résultat encourageant, mais insuffisant pour convoiter le dernier ticket qualificatif, revenu à l’Espagnol Joan Cardona.

« Je vais analyser l’ensemble de ma campagne et décider si je vais me relancer dans un projet olympique. Ce qui est sûr, c’est que je continuerai à naviguer »

Nils Theuninck

Au large des côtes portugaises, le Pulliéran jouait pourtant son va-tout. Depuis 2018, il a vu passer plusieurs occasions de valider son entrée pour les JO, mais à chaque fois, le destin s’y est farouchement opposé. Il a d’abord été victime d’une intoxication alimentaire qui l’avait empêché de prendre part aux championnats du monde à Aarhus en 2018. Il a ensuite été disqualifié au dernier moment aux Européens d’Athènes en 2019, avant de subir le contrecoup de l’annulation des Mondiaux de Gênes en 2020 pour cause de pandémie.

Ainsi, à Porto, début mai, il lui aurait fallu terminer devant l’Espagne, la France, la Croatie, la Finlande ou encore la République tchèque pour espérer atteindre son objectif. Mais deux des trois représentants espagnols lui sont passés devant. « Il n’y a rien de surprenant, Joan [Cardona] et Pablo [Gultián Sarria] ont mieux navigué que moi dans des conditions difficiles, faites de dépressions et de nombreuses rotations de vent », explique-t-il d’une voix teintée de déception. « Maintenant, je vais prendre quelques jours de repos pour analyser l’ensemble de ma campagne et décider si je vais me relancer dans un projet olympique. Ce qui est sûr, c’est que je continuerai à naviguer. »

À Porto, début mai, il lui aurait fallu terminer devant l’Espagne, la France, la Croatie, la Finlande ou encore la République tchèque pour espérer atteindre son objectif olympique. Mais deux des trois représentants espagnols lui sont passés devant. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Pully]

Vingt ans de passion pour la voile

Le vent s’est levé tard, ce jour-là, à Porto. En conséquence, Nils a rejoint l’eau un peu plus tard en compagnie de son partenaire d’entraînement, l’Américain Luke Muller. Fin avril, le Pulliéran avait réservé deux semaines pour s’entraîner sur les lieux exacts des championnats du monde de Finn, programmés début mai. Contacté une première fois par téléphone, quelques semaines avant notre rencontre à son retour en Suisse, le jeune homme paraissait confiant. Son sport, il le connaît bien. En un peu moins de vingt ans de pratique, il a su identifier la moindre de ses spécificités.

La voile est l’une de ces disciplines sportives qui resteront à jamais tributaires des forces imprévisibles de la nature. Pour parvenir à les dompter, encore faut-il être en harmonie avec elles. Cette osmose de façade n’est jamais gagnée d’avance; le navigateur défie l’adversité au quotidien. Pour l’affronter, assurent les spécialistes, il faut une bonne endurance, de la puissance, mais aussi une intelligence fine. De fait, les dimensions stratégique et technique de la voile sont incontournables. Les prises de risques, les empannages pour s’éloigner des zones de mou, les virements de bord pour s’aligner avec le lit du vent, sont constantes. Et par conséquent, le manque d’appréciation se fait fréquent.

Nils Theuninck a, depuis l’âge de six ans, pris la mesure de ces composantes; doté d’un bon esprit d’équipe, collégial et bon camarade avec ses partenaires d’entraînement et adversaires, il se joue de soigneux détails pour correspondre au mieux aux exigences dynamiques, technologiques mais aussi écologiques que requiert la navigation en mer. Le respect de son environnement est à la fois une contrainte et une conviction partagée entre marins. On ne peut jamais vraiment prévoir la force et la régularité du vent sur une longue distance; coûte que coûte, pour plonger son propre bateau dans les risées, le marin doit comprendre les conditions qui l’entourent et traduire la parlure du vent. Chez ces sportifs, rien ne relève de la chance; si le voilier n’avance pas, c’est qu’il y a indiscutablement eu erreur de jugement. Ainsi, aucune course n’est jouée d’avance. La seule certitude, à observer une régate depuis la rive – et bien que les rebats forcissent parfois par-ci, par-là –, c’est que les bateaux finissent, tôt ou tard, par se fondre dans l’horizon lointain.

En près de vingt ans, Nils s’est fait un nom dans ce macrocosme. Lacs, mers et océans lui dévoilent désormais quelques-uns de leurs secrets. De ses six à ses treize ans, il navigue en Optimist, surtout sur le Léman. Cette petite embarcation est un dériveur spécialement conçu pour les enfants qui se passionnent pour la voile et sert de relai incontournable pour sensibiliser les moins de quinze ans à l’instabilité des grandes étendues d’eau. Passé l’âge, il se lance dans la catégorie des bateaux Laser, un monotype qui se barre seul, sans accompagnement. En Laser 4.7 (un bateau dont la surface de voile égale 4,7m2), le Pulliéran remporte les championnats du monde U16 à San Francisco, en 2011. Une année plus tard, ayant grandi et gagné en poids, il termine troisième des championnats d’Europe U17 en Laser Radial, un bateau légèrement plus imposant adapté à sa corpulence qui évolue rapidement. Expérience engrangée, en 2016, après trois ans de pratique sur un Laser Standard (dont la surface de voile dépasse les 7m2), il remporte la médaille de bronze aux championnats d’Europe U21. C’est plus ou moins à ce moment-là que le jeune homme a pris la mesure de son potentiel au niveau international. Le rêve olympique prit alors rapidement forme; en 2017, il se lance en catégorie Finn.

Pour un bateau de cette envergure – le Finn –, lorsque le vent pousse jusqu’aux 30 nœuds (aux alentours des 60km/h), le barreur doit être suffisamment lourd et grand pour éviter de chavirer. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Pully]

Finn, toujours discipline olympique en 2024 ?

Cela fait donc bientôt quatre ans que Nils s’est familiarisé avec son nouveau bateau de compétition, un dériveur sportif, léger, maniable et rapide qui se barre, lui aussi, en solitaire. Pourtant, certaines caractéristiques physiques et athlétiques sont nécessaires pour le skipper; mesurant 1,94 mètre et avoisinant les 100 kilos, le jeune homme répond à ces exigences lui permettant notamment de fournir le couple de redressement nécessaire lors de grandes rafales. Le mécanisme est plutôt simple à comprendre: lorsqu’un bateau gîte sous la force du vent, il revient au marin de faire contre-gîter l’embarcation. Pour un bateau de cette envergure, lorsque le vent pousse jusqu’aux 30 nœuds (aux alentours des 60km/h), le barreur doit être suffisamment lourd et grand pour éviter de chavirer.

Pour Nils, la reconversion en Finn était plus qu’évidente; c’est à proprement parler le seul bateau de compétition qui convienne réellement à sa corpulence athlétique et imposante. Et pourtant, discipline olympique depuis 1952, le Finn est actuellement en balance au sein du Comité international olympique qui réévalue la pertinence de maintenir les épreuves dans le calendrier des Jeux de Paris en 2024. Si la décision du CIO – « une décision politique qui ne tient pas compte des besoins et envies des athlètes » – entérine la disparition du Finn en tant que discipline olympique, Nils serait contraint à une nécessaire reconversion pour espérer toucher du doigt son rêve de médaille olympique.

Mais le Pulliéran ne se laisse pas prendre par l’inconnu; sur l’eau, il est dans son élément et il le sait. Cadre A chez Swiss Sailing Team, la fédération suisse de voile, depuis ses 21 ans, il a depuis remporté quatre titres de champion suisse, un titre de champion d’Europe U23 en 2018 et une médaille de bronze aux championnats du monde U23 en 2019. Le 16 avril dernier, il a rajouté une ligne à son palmarès en décrochant le bronze aux championnats d’Europe élites à Vilamoura. Nils est alors seulement le quatrième Suisse à y parvenir. Le dernier en date remonte à un peu plus de trente ans, lorsqu’Othmar Müller von Blumencron montait sur le podium des Européens d’Hayling Island, dans le sud de l’Angleterre, en 1990.

« Je suis content de ma progression ces derniers mois et années. Nous avons essayé de nous rendre dans les pays les plus propices pour nous entraîner, généralement sur l’océan »

Nils Theuninck

« Je suis content de ma progression ces derniers mois et années. Nous avons essayé de nous rendre dans les pays les plus propices pour nous entraîner, et généralement plus sur les côtes océaniques », explique Nils. En effet, cet étudiant en sciences biomédicales à l’Université de Fribourg passe environ 200 jours par an à l’étranger pour s’entraîner. Lorsque la pandémie battait son plein dans la première moitié de 2020, il a profité du temps mort pour terminer sa première année d’études. Puis, vers le mois de juin, il s’est évadé à nouveau vers la mer pour faire gîter son bateau. « Je pense avoir passé plus d’heures sur l’eau que l’ensemble de mes concurrents européens ces derniers mois, entonne-t-il. J’ai passé trois mois aux Pays-Bas, puis, plus tard, en hiver, nous sommes allés à Lanzarote, aux îles Canaries, où les conditions atlantiques ressemblaient curieusement aux conditions de navigation que nous aurions retrouvées au Japon. »

Bien sûr, il ne partait jamais seul sur place. « En voile, il est important d’avoir des partenaires d’entraînement pour pouvoir confronter nos vitesses. » En juin 2020, il naviguait notamment dans la mer du Nord avec le Norvégien Anders Pedersen tandis qu’à Lanzarote, il était accompagné par le numéro un mondial, le Néerlandais Nicholas Heiner. Ses partenaires d’entraînement changent souvent mais le lien de camaraderie est sans cesse préservé entre les navigateurs.

Membre de Team Tilt Sailing, l’une des meilleures équipes de voile de la région lémanique, Nils a, à plusieurs reprises entre 2016 et 2017, navigué sur des GC32, une catégorie de bateaux à foil qui diverge beaucoup des monocoques que le Pulliéran a l’habitude de barrer. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Pully]

Le Léman, à la fois proche et lointain

Au-delà de ses partenaires d’entraînement, Nils compte aussi, depuis deux ans, sur les conseils avisés de son nouvel entraîneur personnel, Mikael Lundh. Ce Suédois, résidant en Australie, a rejoint l’entourage du Pulliéran en novembre 2019. Il s’agit, en réalité, de son premier coach personnel; auparavant, il était sous la supervision d’un entraîneur inter-pays. « Avec Mikael, les entraînements sont plus ciblés et il y a plus de volonté. J’essaie désormais d’être plus critique dans mes séances et d’avoir des entraînements plus tournés vers la performance. » En conséquence, le jeune homme passe relativement peu de temps à s’entraîner sur le lac Léman, bien qu’il habite à quelques pas seulement du Port de Pully. « Il y a malheureusement trop de vents évanescents sur le lac, les conditions ne sont donc pas idéales pour moi, explique-t-il alors. Quand je suis en Suisse, j’en profite plus pour faire de la préparation physique et mentale. »

« Il y a trop de vents évanescents sur le lac, les conditions ne sont pas idéales pour moi. Quand je suis en Suisse, j’en profite plus pour faire de la préparation physique et mentale »

Nils Theuninck

Cela ne veut pour autant pas dire qu’il ne navigue jamais sur le lac. Membre de Team Tilt Sailing, l’une des meilleures équipes de voile de la région lémanique, il a, à plusieurs reprises entre 2016 et 2017, navigué sur des GC32, une catégorie de bateaux à foil. Il s’agit, plus communément, de catamarans volants parmi les plus rapides du monde, qui divergent beaucoup des monocoques que le Pulliéran a l’habitude de barrer. Skippé par Sébastien Schneiter, l’équipage a même cueilli la médaille de bronze lors de la Red Bull Youth America’s Cup aux Bermudes en 2017. Une expérience formatrice pour le jeune Nils, âgé alors de 21 ans. « Ce sont, bien sûr, des bateaux différents, mais la base de navigation à la voile est la même partout. Varier les expériences n’a pu m’être que bénéfique. La Team m’a beaucoup aidé pour ma campagne olympique. La recherche de l’ultra-performance et l’aspect financier des courses m’ont permis de grandir », aiguillonne-t-il.

De plus, acteur reconnu du Bol d’Or (la plus grande régate du monde en bassin fermé qui se tient sur le Léman), Team Tilt est de ces équipages qui permettent à de jeunes navigateurs de se familiariser avec les conditions très particulières du lac. Il semblait difficile que Nils y soit insensible.

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