Remi Bruggmann: « On a été très impressionnés par la chanson de Mahmood »

Beaucoup s’en réjouissent comme un signe avant-coureur de l’été, une poignée la voient comme l’aboutissement d’une année de recherche dans les salles et de négociations à l’interne. Rémi Bruggmann est l’un de ces derniers. Programmateur du Lab et des scènes gratuites au Montreux Jazz Festival depuis 2017, l’ancienne tête chercheuse du Romandie nous raconte les coulisses de la programmation de cette 53e édition.

À l’heure de consommer le café post-lunch, nous retrouvons Rémi Bruggmann au Café de Grancy à Lausanne. Le matin même à onze heures pétantes, les azulejos, ces fresques ibériques au cœur de l’affiche de la nouvelle édition du festival, ont laissé place aux différents noms qui feront la réputation du festival cette année. Si beaucoup de têtes d’affiche comme Sting, Thom Yorke ou Slash se produiront au Stravinski, l’ancienne salle du Miles Davis rebaptisée Lab depuis 2013 n’a pas à rougir de son line-up. L’année dernière, beaucoup d’artistes aux registres différents – s’il ne faut pas dire opposés – s’étaient succédés ; de l’étendard français du métal Gojira en passant par l’âge d’or du grunge avec Alice in Chains à la scène émergente francophone qui débutait tout juste dans la cour des grands avec Angèle ou Lomepal. Le Lab brasse large, scrute les diamants bruts demain tout en gardant une certaine diversité. La salle d’une capacité de 2’000 spectateurs est aussi une excellente alternative au prix du billet moyen imposé par sa grande sœur, souvent jugé trop élevé. Avec des tarifs oscillants entre soixante-cinq et huitante francs, elle reste attractive pour un large public et réserve de belles surprises…

« On est tombé sur Mahmood parce qu’il était dans les tendances YouTube. On a écouté et on a été assez bluffé, on s’est dit que c’était incroyable, une espèce d’ovni »

Rémi Bruggmann, programmateur du Montreux Jazz Lab

Après avoir travaillé une année sur les noms qui seront à l’affiche au Lab mais également sur les scènes gratuites, Rémi Bruggmann savoure son moment : « On se sent bien. On est très fiers de cette programmation. Elle est forte avec beaucoup de têtes d’affiche et un bon mix au niveau des styles. On essaie de sortir ce qui est représentatif des styles musicaux du moment. Cela fait du bien de pouvoir lâcher cette programmation auprès du public. » Une épopée qu’il effectue à deux, avec son acolyte David Torreblanca : « Avec David, on voyage beaucoup à l’étranger, on va voir des concerts. On est constamment à l’affut des dernières tendances, on est au contact avec les agents et le management des artistes. » Si l’on retrouvera sous les spots du Lab des interprètes attendus comme Eddy de Pretto, certains noms attirent par leur fraîcheur sur la scène musicale. C’est le cas de l’Italien Mahmood, vainqueur du Festival de San Remo avec son titre « Soldi » et par ce fait représentant de son pays à l’Eurovision. Son premier album Gioventù bruciata, réédition de son EP du même nom, est sorti seulement fin février : « On est très content de pouvoir le présenter en première partie de Rita Ora. Cela fait partie de nos recherches. On est tombé sur Mahmood parce qu’il était dans les tendances YouTube. On a écouté et on a été assez bluffé, on s’est dit que c’était incroyable, une espèce d’ovni. C’est très pop et très bien produit, musicalement il y a quelque chose de très intéressant. On avait justement ce créneau avant Rita Ora et ce mariage-là correspondait très bien. » Un choix qui comporte un risque de par l’étiquette “Eurovision” qui n’effraie pas Rémi: « Qu’il fasse partie de la programmation du Montreux Jazz et qu’il participe à l’Eurovision, ce n’est pas connoté négativement pour nous. On a été très impressionnés par sa chanson et à partir de là, s’il fait l’Eurovision et qu’il y a une belle mise en avant pour lui, on en est très content. »

« Il y a plusieurs plateaux dont on est très fiers cette année »

Comment doser la prise de risque avec des artistes peu connus et la nécessité d’avoir un artiste capable d’attirer un public spécifique afin de remplir la jauge de la salle ? La recette de Rémi est équilibrée : « C’est beaucoup une question de feeling. Avec David on parle beaucoup des “couleurs”. Quand on monte les plateaux, on essaie de faire des combinaisons. Il y a aussi la problématique de remplissage. Il faut remplir une salle de 2’000 personnes, il arrive qu’on se plante… Cela fait partie du jeu. Il y a clairement une prise de risque. C’est aussi cela qui nous fait aller de l’avant et qui continue de nous stimuler. On n’a pas envie de s’arrêter sur des schémas préétablis. » Outre Mahmood, on retrouvera la française Clara Luciani armée de sa « Grenade » le 3 juillet : « On est très content de la proposer sur un plateau qui ne sera pas francophone. C’est ce qu’on voulait représenter au Lab. Elle partage l’affiche avec Masego et Jungle. Ce sont des artistes assez différents et ce mélange de culture et de style. On l’aime beaucoup. » Construire du neuf, travailler ces différents profils d’artistes français ou anglophones, mélanger les styles et créer une alchimie sur scène est au centre des préoccupations des deux programmateurs : « Au Lab, on parle beaucoup de cette notion de “plateau” parce qu’on a des affiches assez différentes. Il y a plusieurs plateaux dont on est très fiers cette année comme Lewis Capaldi avec Jessie Reyez et Dermot Kennedy, cela fait partie des arrangements qui sont pour nous très forts. On ne verrait pas forcément ces artistes jouer sur la même scène. Parfois, on arrive à glisser un troisième artiste et un lien se créer entre les trois. C’est souvent ce qui fait que la soirée est cohérente. On s’amuse beaucoup à concocter ces plateaux et à provoquer des rencontres entre certains artistes. Certains collaborent sur album et le fait de les mettre sur scène le même soir nous permet d’espérer de créer une alchimie entre eux, par exemple Lewis Capaldi et Jessie Reyez ou encore Tom Misch et Loyle Carner. » Lorsqu’on lui demande quelle serait la soirée la plus inventive à ce niveau d’échange entre interprètes, le programmateur n’a pas besoin de réfléchir à sa réponse bien longtemps : « La soirée hip-pop français du 6 juillet! L’Algérien Soolking avec sa chanson « La liberté » qui a été chantée par la jeunesse anti-Bouteflika. Il y aura aussi Koba LaD qui a un rap très particulier puis Maes et PLK. Ils sont différents mais il y a un lien entre eux. Cela fait partie de cette anticipation du rap français et d’ailleurs. On a beaucoup entendu parler de gens comme Caballero, Roméo Elvis… Ce sont des artistes qui sont déjà venus les années précédentes et on avait envie d’anticiper cette fois. » Quant aux premières remarques des internautes sur la programmation, Rémi préfère garder de la retenue: « C’est très difficile de prendre du recul à quelques heures de l’annonce de la programmation. C’est important de voir ce que le public a à dire. C’est encore un peu tôt mais si les gens trouvent que c’est un programme abouti, cela fait très plaisir. C’est ce que l’on essaie de faire. » Pour la confirmation, il faudra attendre le vendredi 28 juin.

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