Mark Muleman Massey, de la prison au blues

Mark Muleman Massey découvre la Suisse pour la première fois, lors de sa venue pour le Blues Rules Crissier Festival. © Oreste Di Cristino / leMultimedia.info

Venu du Mississippi, Mark Muleman Massey se produit vendredi 19 mai (à 19h30) au Blues Rules Festival, au château de Crissier. Rencontre avec un musicien passé par la prison, où il a appris le blues, son remède et désormais le sens de sa vie.

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Vous êtes venus pour le travail et bien sûr la passion du blues. Comment s’est fait votre venue ?

Cela fait huit ans que je connais Vincent Delsupexhe (ndlr, le co-fondateur du festival). Je l’ai rencontré dans le Mississippi. Il m’a proposé de venir auparavant mais je n’avais pas de passeport alors quand je l’ai eu l’année dernière, je l’ai publié sur Facebook. Il a vu le message et m’a invité. Cela veut dire que quelque chose a commencé il y a dix-neuf ans quand j’étais en prison où j’ai appris le blues, et maintenant je joue même en Suisse.

C’est la première fois que vous venez en Suisse. D’habitude, où jouez-vous ?

Oui, c’est même la première fois que je quitte les États-Unis. Généralement, je joue dans des clubs du Sud. Dans l’Arkansas, l’Alabama, la Floride et le Mississippi, chez moi. J’y ai beaucoup joué dans des clubs. J’ai aussi participé au jeu The Voice (ndlr, la version américaine du télé-crochet) en Californie.

Vous avez été emprisonné et c’est en prison que vous avez appris le blues. Pour quelles raisons avez-vous été condamné ?

Je me suis gravement disputé avec mon grand frère, un grand consommateur de drogue, dur, méchant. Je lui ai tiré dessus, mais je ne l’ai pas tué. Ensuite, je vendais du cannabis pour gagner de l’argent, car j’en avais besoin. Un jour, un « ami » d’enfance voulait m’acheter 40 grammes mais c’était un informateur, qui avait un micro sur lui et m’a enregistré. Quand on m’a arrêté, on m’a accusé de trafic de drogue et on m’a aussi collé l’assaut à main armé contre mon frère lors de mon procès.

À mes yeux, c’est une cabale qui s’est liguée contre mon père puis contre moi. Beaucoup de notables de ma région n’aimaient pas mon père, un homme qui a toujours été travailleur et honnête. Comme ils ne pouvaient rien lui reprocher sur le plan légal, ils m’ont piégé. Mais j’ai fait des bêtises. J’ai donc accepté de plaider coupable pour réduire ma peine, et avec une bonne conduite, elle a été écourtée à deux ans et demi.

Quand je suis arrivé en cellule, j’ai tout fait pour sortir rapidement. J’ai joué dans le groupe de blues de la prison. J’y ai rencontré le fils de Junior Kimbrough (ndlr, le célèbre musicien à qui le Blues Rules Festival rend hommage cette année). C’est son fils David qui m’a appris le blues. Je ne savais pas écrire de chanson mais je m’y suis sur le tas à mes 38 ans. J’ai sorti deux albums et j’enregistre bientôt le troisième.

Sincèrement, j’ai été en prison pour pas grand-chose mais c’est un passé qui m’a longtemps hanté car beaucoup de personnes et des chaînes de télévision américaines, n’ont pas aimé mon histoire. Or je trouve que je m’en suis très bien tiré.

Que faisiez-vous avant ?

Je venais de commencer des études à l’Université. Puis, à l’âge de 21 ans, j’ai été emprisonné.

Derrière les barreaux, le blues était un remède ?

Oui, c’est tout ce que j’avais. Je ne voyais que ma fiancée tous les quinze jours. Les autres prisonniers étaient sans pitié. C’était un moment de ma vie très difficile.

Le blues est né aux États-Unis. Comment c’est chez vous, dans le Mississippi ?

Il y a des groupes de blues partout. Les musiciens voyagent la journée et le soir, ils jouent en ville. BB King disait : “If you never had the blues, you just didn’t live enough”. J’ai joué avec lui un jour, trois ans avant son décès, à Indianola (ndlr, une petite ville du Mississippi). Je lui ai raconté mon histoire et il m’a dit : “On dirait que tu es revenu dans le droit chemin.”

Le blues n’est plus à la mode. Les festivals comme le Blues Rules, c’est bien sûr une initiative que vous soutenez ?

Tous ceux qui aident le blues apportent une pierre à l’édifice. Au Blues Rules, il y a un programme très varié. Pour moi, c’est incroyable d’être ici. Je ne l’aurais jamais cru si on m’avait dit que j’irais aussi loin. Je suis aussi allé jouer à la Bibliothèque du Congrès américain et j’ai partagé mon histoire lors d’une interview qui est restée dans les archives.

Thomas Lécuyer, co-fondateur, a été élevé avec le blues dans la peau. Il n’a que trente-neuf ans. Que pensez-vous de la passion des générations qui succèdent à celles des légendes du blues et prennent le relais ?

C’est génial. Ils perpétuent quelque chose de précieux. Je ne gagne pas beaucoup d’argent en venant jouer ici, mais j’aime partager cette musique.

Biographie

31 août 1969 : Naissance à Clarksdale (Mississippi)

1er mai 1991 – 1er novembre 1993 : peine dans la prison d’État du Mississippi

2010 : « Mississippi Lockdown », premier album

2013 : « One Step Ahead the Blues », second album

19 mai 2017 : Premier concert hors des États-Unis, au Blues Rules Crissier Festival