C’est du jamais-vu, de l’improvisation théâtrale de très grand niveau que Benjamin Cuche présente dans sa nouvelle tournée en solo avec “Tout est Prévu” depuis le 15 janvier 2016. Une semaine après son passage au CPO d’Ouchy, le coéquipier de scène de Jean-Luc Barbezat emmène son public dans un lointain voyage, dans une histoire fantaisiste et passionnante où les cadres d’action sont sans cesse changeants. À mi-chemin entre le Théâtre de Boulevard et le pur spectacle d’humour, le décor d’improvisation de Benjamin Cuche a tout d’un film d’action, incluant autant de références scéniques du muet chaplinien au film d’horreur. Et même si rien n’est prévu, le défi que se pose l’artiste sur scène, lui, est réel. D’autant plus qu’un gaillard de 50 ans aux commandes informatiques, c’est inédit ? Qu’en pense-t-il ?
Quand « tout est prévu », c’est là qu’il faut le plus improviser; quand « tout est prévu », tout est plus facile ?
Quand tout est prévu, il y a toujours des repères par lesquels l’on peut toujours s’accrocher, même inconsciemment. Cela nous donne des jalons, comme des petits cailloux que l’on disperse lors d’une randonnée en montagne. Mais en réalité, ce qui est le plus attrayant dans ce spectacle est que je suis le premier surpris de la tournure que prennent parfois les représentations. Je commence une phrase sans réellement savoir comment je vais la terminer. Et finalement, avec du recul, l’on se demande vraiment ce que l’on est allé explorer dans des univers totalement loufoques (des collèges, des dortoirs chez des pères catholiques, une ferme). Il est même des représentations où l’on s’en veut d’avoir emprunté une route qui peut parfois, souvent, devenir scabreuse. Et le tout est de savoir comment rebondir sur des histoires compliquées. Il y a néanmoins toujours du “prévu” car j’utilise des effets techniques qui guident assez bien ma pensée. Je ne sais pas à l’avance à quoi chaque bruitage, effet de lumière me servira mais l’on ne part pas de nulle part non plus. Tout dépend également des effets que chaque scène offre par elle-même et – comme je réfléchis beaucoup en jouant – les angles d’approche sont sans cesse changeants.
En improvisation, l’artiste est à moitié spectateur de sa propre création. Qu’en pensez-vous ?
À vrai dire, lorsque l’on joue des spectacles écrits, j’ai l’impression de devoir les improviser aussi. On recherche sans cesse à réinventer le texte que l’on a déjà car sinon cela se traduit par du simple récit, peu attrayant. Ici, il y a toute une autre philosophie qui se met en place; il faut être convaincu que ce que l’on fait est juste et c’est un vrai exercice vertigineux. Au-delà du spectacle, c’est un état d’esprit qui est une véritable révélation de vie car l’on s’impose parfois d’énormes interdits, des jugements personnels qui n’ont absolument aucune raison d’être. Alors cela ne signifie pas que le spectacle est bien ou moins bien qu’un spectacle écrit, il n’empêche que ce soit une logique similaire à différence que l’on ne relit pas un texte constitué. Donc plus que spectateurs, nous restons surtout des acteurs de ce que nous sommes en train de faire. Comme dans la vraie vie, nous ne sommes jamais victimes de choix externes notre personne. Je ne joue pas de telle manière car mon metteur en scène me l’a demandé. Je joue ainsi car c’est la situation qui prête occasion à m’exprimer et à agir ainsi. Je suis responsable de mes actions et à gérer, c’est extraordinaire car nous sommes toujours plus exigeants et surtout plus fiers. Et c’est paradoxal.
Cela pose également la place du public dans la salle; bien que cela reste un spectacle d’improvisation, le public n’est jamais pris à partie dans la constitution du “scénario” joué.
C’est bien l’esprit, l’étoile que j’essaie de suivre lors de mes représentations. Et à vrai dire, il n’y aurait presque pas besoin d’avertir que mon spectacle est improvisé. Et quand j’aurais acquis une très grande expérience dans l’exercice, une belle maîtrise de l’improvisation, l’on aura même plus besoin de le dire. Et je pense, en réalité, que dans mes spectacles, le public peut avoir facilement tendance à l’oublier. Les gens se laissent véritablement emporter dans un univers inconnu, comme au théâtre. Je suis content, au final, quand on me témoigne une émotion relevant du spectacle. Je le suis moins – cela reste bien sûr gentil – quand on loue mes talents d’improvisateur. Aussi, comme au théâtre, il n’est pas le besoin ici de se cacher derrière le genre, derrière l’improvisation.
Le format du concept est également intéressant. C’est à mi-chemin entre divers univers: le théâtre de boulevard, le cabaret, l’espace chaplinien, le typiquement comique… Il y a de tout !
Il n’y a rien de plus vrai. Depuis mon duo Cuche & Barbezat [ndlr, avec Jean-Luc Barbezat], où l’on fait du vrai humour, le public s’attend immanquablement à une forme de spectacle particulière. De plus, l’humour est un caractère souvent incontournable, dont on s’attend volontiers dans l’improvisation. Et comme ma démarche personnelle n’est pas sans cesse tournée vers du comique mais vers du pur spectacle, alors je suis pris entre deux strapontins. Il est alors des soirs, où je m’efforce de revenir sur le terrain de l’humour. Je pourrai me cantonner dans une histoire forte de sens sans repères humoristiques, mais il est des fois où je n’ose pas. Et cette analyse, je la ressens de l’intérieur; je suis parfois tiraillé car il ne faut pas perdre à l’esprit que le public vient avant tout pour s’amuser.
Ce sont toujours de nouvelles histoire, mais certains repères subsistent-ils toujours d’une représentation à une autre ?
Il y a une façon de faire qui s’affine avec le temps. Surtout en ce qui concerne la technique pure du spectacle, puisque je manipule des télécommande pour guider les sons et les éclairages. Je me rends compte avec le temps qu’il y a un mode d’utilisation de cette technique-ci qui se développe d’une certaine manière. Mais du reste, du point de vue de la narration, je n’ai aucune balise de guidage. L’on peut préparer quelques effets de lumière, quelques bruitages quelques heures avant de monter sur scène, puisque ceux-ci, je les connais bien. Ce sont des éléments sonores d’Alain Roche qui remontent au spectacle que nous avions mis sur pied à Fully pour Sion 2006 [ndlr, candidature de la ville de Sion pour l’organisation des Jeux Olympiques d’hiver, finalement attribués à Turin par le CIO]. Je m’en sors très bien qu’avec cela.
Il y a l’ombre, certains soirs, de récits familiaux qui ressortent dans les histoires que vous racontez sur scène ?
Cela apparaît à l’évidence dans mes spectacles. En réalité, dans l’improvisation, l’on ouvre toujours les dossiers qui sont au-dessus de la pile. Il n’y a évidemment pas la recherche minutieuse que l’on effectue à l’écriture. L’on pourrait par ailleurs trouver de très grandes similitudes entre mon autobiographie et mes représentations. Mais pas seulement; il y a également des expériences du jour-même et même des référents littéraires (Honoré de Balzac, Charles Ferdinand Ramuz,…) qui entrent en jeu. Ce n’est pas tout-à-fait de l’inconscient puisque je m’en rends compte mais rien n’est calculé.
Le retour à l’improvisation est une renaissance ?
L’improvisation demande un grand développement personnel dans le genre. Il y a beaucoup de choses qui font, dans la vie, que l’on se décomplexe plus à certains moments. J’ose plus, je propose un spectacle en solo avec une affiche improvisée qui témoigne aussi d’une prise de confiance. Je n’aurais pas pu le faire il y a dix ans et c’est très agréable d’y parvenir aujourd’hui.
Prochaines représentations:
“Tout est prévu”
MEX • Les 4 saisons de Mex
31 mars 2017, 21h15;
CHÊNE-BOURG • Point Favre
1er Juin 2017, 21h15.