Floyd Beaumont & The Arkadelphians: « Le Blues d’avant-guerre retenait une grande liberté de tons et de contenus »

Floyd Beaumont & The Arkadelphians « rule » au mystère. Leur provenance (d’Arkansas ?) et leurs influences nourrissent le silence. Quoi qu’il en soit, c’est avec une âme paisible et teintée d’histoire que le chanteur Enno Geissler et ses acolytes ont retrouvé le chemin de Crissier pour y réaliser leur troisième apparition en tant qu’artistes. Interview avec le chanteur du groupe genevois depuis 2009. Interview.

Ce n’est pas la première fois que vous participez au Blues Rules Crissier Festival (ndlr, BRCF 2011 et 2013), mais j’ai l’impression que cette édition est un peu particulière, notamment en ce qu’elle propose de retourner aux fondamentaux. Qu’est-ce qui vous parle dans cette notion de « preachin’ the blues » ?

Le sujet du festival de cette années réunit, dans la devise, deux courants qui ont souvent été considérés comme antinomiques. Il y avait les prédicateurs, mûs par la religion, la bonne vie que l’on devrait vivre et le blues qui a souvent été perçu telle une musique mauvaise, celle du diable. Il y a toute une imagerie et une rhétorique autour de cela. Dans les communautés afro-américaines des années 1920 et plus tard, il était surtout tenté de se distancier de ce genre musical qui était très connoté avec l’existence d’antan, soit celle de l’esclavage et des périodes de vie difficile. Donc il est intéressant de réconcilier ces deux mouvements et beaucoup de bluesmen ont essayé de conjuguer les deux aspects. Certains étaient prédicateurs et chanteurs de blues et notamment Son House (ndlr, de son vrai nom Eddie James House) avait écrit « Preachin’ Blues » – que l’on a interprétée – qui détient un point de vue assez ironique sur la religion. Les deux participent à la vie humaine des forces auxquelles nous sommes soumis qui nous tiraillent entre deux pôles et cela témoigne d’une dynamique très intéressante. Cela nous a permis de puiser dans un répertoire gospel qui est musicalement très foisonnant mais très peu représenté hors des églises.

Vous vous sentez donc bien dans ce sillage et dans toute l’évolution de ces deux courants, somme toute, assez proches puisque vous êtes alors spécialisés dans l’interprétation d’un blues acoustique d’avant-guerre (1920-1950) qui se marie parfaitement avec le thème de cette année.

Oui, c’est exact. Le blues d’avant-guerre – on ne s’en rend plus compte aujourd’hui car l’écoute de cette musique a été rendue très difficile pour des raisons de qualité sonore – contient des messages sous-jacents et codés et ce blues retenait une grande liberté de tons et de contenus mais les chanteurs s’étaient un peu voilés pour que le grand public, et surtout le public blanc qui était un public de censor, ne s’en aperçoive pas. Il est donc tout particulier de retrouver ces significations cachées et de faire revivre des musiques qui sont assez en phase avec notre époque, qui connait des bouleversements et des difficultés de tous genre. On essaie donc de faire le pont entre ces deux riches époques.

Quand on vous voit sur scène, avec votre tenue vestimentaire et surtout l’introduction de votre set avec ce court monologue très américanisé, on a l’impression que vous êtes tout sauf genevois – puisque votre groupe s’est fondé à Genève en 2009. Mises à part les légendes que vous aimez nourrir sur votre personnage et notamment sur sa provenance prétendue de l’État d’Arkansas aux États-Unis, il apparaît que vous aimez vous imprégner de cette large culture américaine du début du XXe siècle ?

Oui, je pense que l’on peut dire cela. Il y a une scène de blues en Suisse, le blues grand public connu de tous mais il y a aussi d’autres petits courants moins connus qui méritent qu’on s’y intéresse. Personnellement, il est vrai que ma musique revêt un grand intérêt historique qui nous permet de détailler le contexte autour de ces morceaux. Peu importe d’où l’on vient. C’est vrai que depuis quelques temps, nous sommes majoritairement perçus comme un groupe romand plus que genevois mais je crois que notre cœur bat pour cette musique américaine.

Vous êtes, si je ne me trompe, proposés en 2010 en tant que chanteurs alors que vous faisiez partie du public et en 2011, vous vous produisez pour la première fois sur la scène du Blues Rules. Cette année marque votre troisième participation au festival. Votre relation avec celui-ci relève donc de toute une histoire.

La relation particulière a commencé lorsque deux des membres du groupe (un qui y figure toujours, l’autre non) ont travaillé en tant que bénévoles lors de la première édition. Ils faisaient alors le tour des tables et débarrassaient les verres vides et les assiettes et, plus par boutade, ils ont lâché auprès des organisateurs que l’année suivante, ils devaient nous programmer. Et la boutade a tourné au miracle; en 2011, nous avons été programmés ici à Crissier et depuis, c’est une histoire d’amitié entre les programmateurs et nous et avec le festival bien sûr. L’ambiance est très familiale et conviviale. Nous sommes d’ailleurs très flattés qu’ils aient repensé à nous pour une troisième fois.

Créez un site ou un blog sur WordPress.com