Portrait – Thomas Wiesel, le Romand qui dérange certains s’exprime

Depuis ses chroniques d’actualité à la radio et sur le web, Thomas Wiesel se fait connaître pour son humour engagé mais gagne une notoriété controversée. Sa page de personnalité publique est d’abord censurée sur Facebook en janvier quand il moque l’UDC puis, le 15 avril dernier, sa chronique à charge contre le Président turc Erdogan déchaîne à nouveau ses détracteurs dans les commentaires. Pas abattu, le jeune Lausannois répond publiquement deux jours plus tard qu’il se remet toujours en question mais défend un humour engagé. Portrait d’un jeune romand qui n’a pas dit son dernier mot.

Lausannois de cœur et ex-comptable, Thomas Wiesel s’est lancé dans l’humour pour raconter des bêtises plutôt que d’en faire. On dit souvent de lui que c’est un intello parce qu’il a étudié à HEC Lausanne et que son humour est très référencé. Tenons-nous en plutôt au fait qu’au-delà de ses provocations qui en ont dérangé plus d’un, Thomas Wiesel parle de lui avec modestie et n’oublie pas d’où il vient, ni ceux qui l’ont aidé. « Pierre Naftule [ndlr : qui a notamment collaboré avec Marie-Thérèse Porchet et Yann Lambiel] a mis à profit son carnet d’adresse pour moi, explique-t-il ; les gens ne me connaissaient pas mais ils connaissent mon manager et ils lui ont fait confiance. Et j’ai rencontré Naftule en étant auteur pour Rochat, donc tout est parti de Nathanaël [Rochat]. C’est lui qui m’a montré qu’il était possible de faire ce métier en Suisse. Je pensais faire trois mois, quatre scènes, et redevenir comptable, mais ça fait quatre ans et demi et je touche du bois. » Aujourd’hui, son succès grandit dans toutes les villes romandes. Vendredi soir par exemple et comme depuis plusieurs mois, la salle de 480 places du Casino-Théâtre de Genève était quasiment pleine pour son spectacle et celui d’Olivia Moore qui enchaînait sur le sien. « C’est un luxe auquel je ne m’habitue pas et serai jamais blasé, confie-t-il. »

« Les humoristes qui ont un pouvoir de changement m’impressionnent beaucoup ! »

Dans l’humour, Wiesel voit les choses un peu différemment de ses collègues. Ses spécialités sont le stand-up et les chroniques d’actualité, deux formats où il trouve toute la liberté qu’il lui faut pour être satirique. Son stand-up s’inspire des humoristes anglo-saxons, qu’il apprécie particulièrement. Il parle de lui avec autodérision et se dévoile : « J’essaye de me demander ce que j’ai vécu de différent des autres, ce qui a marqué ma vie, donc je parle du décès de ma mère, de ma stérilité, et depuis peu de ma relation libre. Ce sont des choses qui sortent de la norme. » Si parler de la mort d’un proche peut choquer, c’est pour lui une façon de porter son deuil et qui, faite avec habileté, impressionne la salle. Or, c’est là un talent original que de faire rire en vivant un moment cathartique. De plus, ses t-shirts qui ne passent pas inaperçus rendent son style atypique pour un humoriste de Romandie. Sortir des normes, voilà ce qui le caractérise.

Thomas recadré
Thomas Wiesel après son spectacle, fatigué mais tout sourire.   Photo : Oreste Di Cristino

Sa controverse vient de ses engagements. Il conçoit la satire de ses chroniques comme un contre-pouvoir face aux puissants. « Aux Etats-Unis, raconte-t-il, John Oliver est dans l’engagement citoyen et donne des indications à son public en disant « écrivez à telle personne, renseignez-vous sur ceci ». Hannibal Buress a fait un sketch à Philadelphie sur Bill Cosby, le célèbre papa de la télé américaine qui avait des accusations de viols et de contraintes sexuelles passées sous le tapis parce qu’il était était adoré. Il a fait 15 minutes de gags sur ces accusations et ce sketch a donné lieu à de nouvelles enquêtes des médias et de nouvelles victimes se sont avancées sur la question ! C’est un sketch sur scène qui a précipité la déchéance de cet homme, qui est un criminel. Les humoristes qui ont un pouvoir de changement m’impressionnent beaucoup ! » Même s’il s’oppose à l’UDC, il rappelle qu’il n’est pas affilié à un parti. « Je préfère mon rôle d’observateur en politique même si les gens du bord opposé diront que je ne suis pas observateur mais engagé et militant. J’ai des idéaux qu’on identifie de gauche parce que je suis humaniste et égalitariste, mais il m’arrive aussi d’être d’accord avec la droite. »

« Faire rire pour faire réfléchir »

Très autocritique et consciencieux sur son travail, il répond souvent aux commentaires que lui font les internautes. Il préfère ne pas se dédouaner et considère que cela fait partie du métier. « Quand il y a des commentaires pertinents, j’aime répondre ; s’il y a des questions, je suis là pour ça et quand il y a des commentaires moins pertinents et respectueux, parfois je réponds de manière moins pertinente et respectueuse. Pour moi, l’anonymat semi-relatif de Facebook, puisqu’en principe chacun met son vrai nom et sa vraie photo sauf que beaucoup ne le font pas, ne devrait pas excuser des propos parfois insultants et abjects. Ça, je ne laisse pas passer. » Wiesel aime à la fois faire rire et réfléchir et sait qu’en parlant de politique, il prend le risque de se mettre ses auditeurs à dos. « J’ai fait des chroniques engagées notamment contre l’UDC où j’ai perdu des centaines de gens qui aimaient bien ce parti et ne supportaient pas que je le critique. Tant pis, je ne vais pas changer mes opinions et faire semblant d’aimer tout le monde. » Cette démarche citoyenne explique le but de son humour : « La société est polarisée entre des individus qui ont tous des avis différents et s’engueulent, observe-t-il. Parfois, l’humour attrape l’attention des individus et certains vont peut-être penser que la réflexion de l’humoriste n’est pas idiote. C’est difficile et je fais bien plus rire les personnes d’accord avec moi que ceux qui ne le sont pas. D’ailleurs, cela me gêne et j’aimerais qu’à terme j’arrive à faire rire tout le monde. C’est difficile, mais ce qui est difficile m’attire. »

Outre les critiques qu’il reçoit, sa base de fans devient de plus en plus importante. A l’avenir, il souhaite que l’humour anglo-saxon dont il se sent héritier s’exporte davantage. Son coup de cœur, c’est le roast, une tradition américaine lors de laquelle une vedette, nommée pour l’occasion roastee, est la cible de plusieurs humoristes. L’exercice est devenu si populaire qu’être roasted est souvent considéré comme un honneur. Plusieurs chaînes américaines en organisent et lors de chaque gala annuel des correspondants de la Maison-Blanche, le Président en fonction est présent et est roasted après le dîner. « Il l’ont déjà fait avec Charlie Sheen, Justin Bieber, Donald Trump, raconte Thomas, et j’adore ! En France, Canal+ a eu un projet de télévision où j’étais prévu en tant qu’auteur mais il a été annulé parce qu’ils ont pensé que les vannes méchantes, ça ne passerait pas. » En attendant d’autres projets en France ou en Suisse, Thomas Wiesel poursuit son chemin à la radio comme dans l’émission de Michel Zendali les Beaux Parleurs et pour son humeur de la semaine le vendredi sur One FM. Surtout, il remplit ses salles pour son plus grand plaisir.

Son spectacle : Vu à la télé, mais pas beaucoup !

Une heure et demie de stand-up mené avec intelligence, avec des blagues soigneusement recherchées qui font tabac. Le plus intriguant, c’est sa dose de courage à creuser dans son intimité et à susciter le rire. Rire de tout, il sait le faire.

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