Parole aux principaux candidats des Élections Fédérales du 18 octobre 2015. À un mois de l’échéance des législatives, leMultimedia.info livre une série d’interviews avec les pressentis acteurs de cet été électoral. Au programme aujourd’hui: Lio Lena (Verts’libéraux).
Vous avez un long passé de diplomate pour l’État chinois qui vous enrichit du point de vue de l’expérience politique et un passé culturel non-négligeable de votre adolescence en Russie qui vous garantit un état de santé psychologique et moral renforcé. Est-ce que toute l’expérience que vous avez accumulée durant votre vie – entre la Chine, la Russie et l’Europe – est un atout en vue des élections fédérales ?
Évidemment, sur la scène internationale, la Chine joue un rôle très important. Et surtout, elle doit faire face à tous ces problèmes diplomatiques complexes. Et c’était déjà le cas lors de ma jeunesse. À cette époque, la Chine devait se développer dans tous les domaines. Elle était entrée en conflit avec l’ex-URSS sur des questions politiques et devait trouver sa place parmi les grandes puissances. Pour cette raison, la formation diplomatique chinoise a toujours été très exigeante. On apprend à analyser tous les aspects d’une situation, les points délicats du monde entier. Une manière systématique et rigoureuse pour apprendre la meilleure stratégie pour défendre les intérêts du pays. Donc c’est pour cette raison que le niveau des diplomates chinois est très élevé. Ce sont de très grands professionnels. J’ai donc suivi cette formation en diplomatie internationale dès l’âge de 14 ans. Et je l’ai ensuite pratiquée pendant plus de 15 ans pour le gouvernement chinois au cours de nombreuses négociations avec les chefs d’États européens, américains et océaniens. Donc il est clair que cette expérience est très précieuse pour moi, non seulement pour les élections mais de manière générale, pour comprendre tous les enjeux de la politique suisse.
Vous avez travaillé dans des mines de charbon étant jeune et vous avez très rapidement pris conscience des problèmes écologiques que le monde revêtait. Beaucoup plus tard, en Suisse, vous avez ouvert un restaurant chinois sur les hauts de Pully et vous vous êtes définie comme étant « patronne de PME ». Finalement, est-ce que votre entrée chez les Verts libéraux était une évidence, compte tenu de votre statut d’entrepreneur et de vos préoccupations toujours plus accrues sur le bien-être de la planète ?
(Rires). C’est une excellente question. Vous savez quand on m’a envoyée à travailler dans des mines de charbon, pendant la révolution culturelle, j’avais 11 ans. Mes parents, qui étaient tous les deux médecins pour les chefs d’États, avaient été internés dans des camps de rééducation. À ce moment-ci, mon principal souci n’était pas de savoir si le charbon était écologique ou pas. À cette époque-là, je suppose même que le mot « écologique » n’existait pas dans la langue chinoise. Toutefois, aujourd’hui, je pense que les questions écologiques sont prioritaires dans le monde entier et qu’elles nécessitent des réponses urgentes. Mais je ne crois pas que les réponses puissent venir uniquement de l’État. J’ai suffisamment travaillé dans un gouvernement qui prétend régler tous les problèmes de la société pour savoir que ça ne marcherait jamais dans une démocratie. C’est pour toutes ces raisons, que mon choix de rejoindre les Verts’libéraux m’a paru effectivement assez évident.
Vous disiez que « les PME n’avaient droit à rien » dans une précédente interview. Est-ce que la réforme sur l’imposition des entreprises (RIE III) va dans le bon sens selon vous – bien que tous les partis du centre-droit la soutiennent ?
Je défends énormément les droits des PME suisses. C’est un sujet sur lequel nous nous sommes battus au Grand Conseil il y a quelques jours. Ce que j’ai constaté jusqu’à présent, c’est que les PME étaient défavorisées face aux grandes multinationales. C’est évident que la faillite d’une petite ou moyenne entreprise est moins choquante qu’une faillite d’une très grande entreprise qui supprime des centaines d’emplois d’un seul coup. Mais ce sont tout de même les PME qui fournissent la plus grande partie du PIB et la majorité des emplois en Suisse. La réforme sur l’imposition des entreprises, mis à part qu’elle nous est imposée par l’Union Européenne, a le mérite d’alléger les charges des entreprises suisses et de mettre toutes ces entreprises sur un pied d’égalité en termes de fiscalité. Bien sûr, le Canton verra ses recettes diminuer alors que de nombreux investissements seront encore nécessaires ces prochaines années. En particulier, dans le domaine des infrastructures qui sont nécessaires pour le bon fonctionnement de l’économie. La question, pourtant, est de savoir si un taux d’imposition plus élevé fera réellement fuir les grandes entreprises du territoire suisse. La réponse est loin d’être évidente.
Êtes-vous fermement convaincue que le libre marché et les questions écologiques soient étroitement liés l’un à l’autre ?
Je pense que le rôle de l’État est de créer des conditions favorables pour faire converger les intérêts économiques et écologiques partout où c’est possible. Mais c’est à l’économie de prendre les initiatives concrètes pour améliorer leur bilan énergétique ou réduire leurs émissions polluantes. Si les conditions cadres les y encouragent, les règlements, les normes, les taxes, toutes ces contraintes doivent se limiter au minimum car elles ont surtout pour effet de pousser les entreprises à contourner leurs initiatives écologiques, y compris en délocalisant leurs activités dans des pays où l’économie est plus libre.
Vous voulez instaurer des mesures qui favorisent l’emploi aux personnes victimes de toutes discriminations. Est-ce que vous incluez dans ces discriminations les personnes âgées (environ la soixantaine) qui peinent parfois, sur le marché du travail, à retrouver un emploi ?
Vous savez mon statut de femme me permet de répondre aisément à cette question. Donc je défends déjà fermement l’emploi des femmes. Cela ne veut pas dire que je ne défends pas les autres personnes victimes de discriminations. Pour moi, c’est très simple. Dans une société concurrentielle comme la nôtre, il est stupide et irresponsable de se priver des compétences qui existent sur le marché et cela uniquement à cause des préjugés qui frappent certaines catégories de population. Toute personne motivée est capable d’apporter sa contribution dans certains domaines qu’elle soit une femme, âgée, handicapée ou encore appartenant à une classe sociale peu désirée. Il va sans dire que les conditions de travail doivent être adaptées aux conditions physiques et intellectuelles de chaque personne, pas seulement pour être gentil mais parce que c’est comme tel que cette personne pourra remplir sa tâche le plus efficacement.
Quel regard portez-vous sur la retraite ? Serait-il bénéfique de la retarder ?
Dans les prochaines décennies, le financement de l’AVS dépendra de toutes sortes de facteurs que personne ne peut prévoir comme la natalité, le progrès de la médecine, l’immigration, la structure de l’économie, le développement technologique, etc… Personne ne peut alors définir objectivement l’âge de la retraite idéale pour les vingt prochaines années à venir. Dans ces conditions, la seule voie raisonnable est celle de la flexibilité. Elle existe déjà de manière limitée dans la législation actuelle mais il faut aller plus loin dans cette voie. Cela nous ramène d’ailleurs à la question précédente. Ce qui compte, c’est que l’économie puisse bénéficier des motivations et des capacités là où elles existent plutôt que de fixer des limites rigides aux personnes qui ont été épuisées par un travail pénible qui sont incitées à continuer et, à l’inverse, qui interdisent de travailler plus longtemps aux personnes qui ont encore la force et l’envie. Est-ce que, physiquement ou encore intellectuellement, nous sommes toujours aptes à maintenir un emploi vers l’âge de 85 ans – comme par exemple, Monsieur Jacques Neirynck ? Personnellement, je ne sais pas. Je sais seulement qu’actuellement la limite est fixée à 65 ans et que cette limite est infondée. Certains ont encore la volonté à 70 ans, d’autres préfèreraient arrêter même avant. Il faut donc plus de flexibilité tout en gardant à l’esprit que le futur appartient également aux jeunes. Il faut également faire l’effort, parfois, de passer le témoin à la jeunesse. Le chômage des jeunes est, par exemple, inacceptable.
Vous soutenez une politique forte d’innovation et d’exportation de la Suisse sur les marchés européens et mondiaux. Serait-ce une catastrophe si les accords bilatéraux venaient à être remis en cause par la clause guillotine suite à l’initiative du 9 février ?
Je trouve un peu ridicule d’annoncer des catastrophes à chaque fois qu’une difficulté apparaît à l’horizon. Les accords bilatéraux ont été orientés prioritairement vers l’ouverture des marchés et les possibilités de l’économie. À l’inverse, l’initiative contre l’immigration de masse a donné la priorité à un principe qui se réfère à la souveraineté de la Suisse. Et même si cet article constitutionnel met quelque peu à mal l’économie suisse, il faut se résigner au fait que c’est un choix de société qui a été fait. Mais en même temps, c’est une expérience dont les résultats ne sont pas entièrement prévisibles parce qu’ils ne dépendent pas uniquement de nous mais aussi d’une Union Européenne très instable politiquement et économiquement. Évidemment, quand on a voté cette initiative, il y avait pas mal de jeunes étudiants en Suisse qui devaient suivre le programme Erasmus pour aller étudier en Europe et ça m’a fait énormément mal au cœur de voir ce programme gelé. Il va de soi, selon moi, qu’une solution s’impose face au blocage (futurs ?) de certains domaines. Nous n’avons pas le choix. Nous devons penser à notre avenir et à la jeune génération qui va nous suivre. Donc, je suis convaincue que, si au fil des années, la situation économique de la Suisse devait se dégrader dangereusement, les autorités et le peuple suisse sauraient prendre les décisions appropriées pour redresser la situation. J’en suis convaincue. C’est pourquoi, il va y avoir encore beaucoup d’efforts à fournir.
Il est facile d’apposer toute la faute à l’UDC pour avoir privilégié, si je peux dire, ses intérêts égoïstes aux intérêts publics. Mais n’est-ce pas là non plus la faute à un chantage excessif tenu par les instances européennes ?
J’ai écrit un article sur ce sujet récemment (ndlr, « Spectacle de bouffons », 10 mars 2014, 24 heures, lien URL). J’étais dans la diplomatie pendant 25 ans et personnellement, je pense que quoi qu’on ait fait dans notre pays, c’est le peuple qui l’a décidé. Ce n’est pas l’Union Européenne qui décide. Si on a accepté une initiative qui nous a créé des difficultés, c’est à notre peuple de corriger cette erreur. Ce n’est pas à l’Union Européenne de nous donner l’ordre de ce que nous devons réellement faire.
L’initiative RASA se propose de rayer de la Constitution l’article 121a. Est-ce une bonne idée de revoter sur la matière ?
On verra les résultats aux urnes. Si c’est une bonne ou une mauvaise idée, je n’ai pas les compétences pour le dire. C’est notre peuple qui doit définir la réponse. Si le peuple accepte cette contre-initiative, et bien c’est tant mieux pour les initiants, si le peuple la refuse, alors on doit accepter cette volonté. J’apprécie énormément notre démocratie, le véritable point fort de la Suisse. Si on nous enlève cette démocratie, la Suisse s’effondre. C’est pourquoi il faut protéger les précieux droits du peuple.