Noah Lyles: une inspiration (au-delà du sport)

RÉCIT. Noah Lyles est le premier athlète à parvenir à cueillir le titre sur 100 mètres, tant en catégorie U21, que chez les élites. Puis, il est venu s’adjuger, pour la troisième fois consécutive, le titre sur 200 mètres (19”52). Sa conférence de presse, quelques minutes après son deuxième titre, valait le détour. Voici pourquoi…

En février, Noah Lyles assumait ses propos: il avait promis qu’il réaliserait de grands exploits à Budapest. En s’adjugeant l’or sur 100 et 200 mètres, il a déjà réalisé ce que seuls les plus grands sprinters de l’histoire étaient parvenus à réaliser par le passé. Depuis Usain Bolt en 2015, aucun autre coureur au monde n’était parvenu à doubler la mise sur les deux distances. «Je pense être parvenu à atteindre le niveau que, je pense, seuls cinq sprinters dans l’histoire ont pu atteindre dans leur carrière.» Parmi eux, il y a certes celui dont il s’est juré, un jour, de prendre le record du monde du 200m; il y a le Jamaïcain Yohan Blake, et puis il y a tous les autres Américains, dont Michael Johnson. «Je viens juste de devenir double champion du monde face à une grande concurrence de part et d’autre, et je continue de m’améliorer, de courir de plus en plus vite, chaque jour», lâche-t-il le sourire large.

«Vous savez: je peux faire le beau, faire le fier autant que je veux, à dire que je n’ai aucune pression. Mais il est évident que j’en ai. Peu importe de quelle manière elle arrive et de quelle manière elle m’atteint: j’en ai. Je me souviens m’être levé ce matin et je n’ai pas ressenti les mêmes sensations qu’au matin de la finale sur 100 mètres. Cette fois-ci, il y avait un pincement en plus, qui était bien plus que le simple stress des grands jours. Les 100 mètres, c’est fun. Mais les 200 mètres, c’est personnel. Je prends cette course à moi. C’est là où je vis, c’est la distance sur laquelle j’ai toujours appris à courir. Et c’est là où j’ai enlevé mes premières grandes compétitions. Et c’est la discipline dans laquelle je suis triple champion du monde.»

«Je sais que beaucoup de gars sont venus à Budapest dans le seul but de me concurrencer sur les 200; qu’ils sont venus pour me prendre l’or. Pour être honnête, ils ont tous la capacité pour le faire. Mais j’ai compris une chose supplémentaire toutes ces années; après la finale à Tokyo (ndlr, il remporte la médaille de bronze aux JO), j’ai appris à différencier deux réalités assez proches l’une de l’autre: il y a mériter de gagner et puis, il y a gagner. Je ne crois plus au bonheur de se sentir mériter de gagner un titre. Je ne crois plus qu’à la victoire elle-même. Ce n’est pas parce que j’ai réussi à remporter l’or deux fois de suite qu’il me sera acquis à vie. »

L’histoire de Noah Lyles, ses frasques, ses provocations ne tombent d’ailleurs jamais dans le vide. Face au juste déroulement des événements, ils tombent généralement sous le sens de tout. Et ça passionne les foules, aux États-Unis comme partout ailleurs dans le monde. Netflix s’y est d’ailleurs déjà intéressé; à Budapest, une série-documentaire se prépare dans laquelle l’Américain prendra une part importante du plateau. Noah l’avait teasé, à sa manière: c’est dans ce registre qu’il avait annoncé – une sorte de prédiction divine – qu’il viendrait établir des temps supersoniques en Hongrie. Il évoquait 9,65 sur 100 mètres; 19”10 sur 200 (sachant que le record du monde de Bolt tient en 19”19).

Au final, l’Américain s’en est sorti en coup de vent, mais pas aussi rapide qu’espéré. «Il est clair que j’aurais voulu aller beaucoup plus vite. J’avais envie de battre le record américain une nouvelle fois.» Le record des États-Unis est d’ailleurs chez lui; il l’avait établi en 19”31 aux Mondiaux d’Hayward Field, en Oregon l’année dernière. «Je sais que j’ai toujours les capacités pour le battre à nouveau. Mais je crois que, sur ce plan, j’ai aussi grandi.»

Noah est un garçon qui rêve de laisser son empreinte dans le sport de haut niveau. Il ne le fait d’ailleurs que pour ça. © athletix.ch [Budapest]

Des médailles et un mode de vie

«Je ne vais pas me montrer déçu parce que je claque un 19”52 en finale des championnats du monde. Après six courses, être encore capable de courir 19”5, ce n’est pas rien. Je me souviens du moment, à Doha, lorsque j’ai remporté mon premier titre sur 200m. J’avais enlevé la mise en 19”8 et je m’étais montré vraiment très frustré. Je n’avais pas pu revoir ma course pendant des mois tellement je me sentais mal. Et puis, les années passant, je l’ai finalement revue et j’ai été ébahi de la puissance que j’avais réussi à y insuffler. J’avais réussi cette performance en étant jeune et je me battais contre des monstres du sprint. Et, je crois, que c’était la finale mondiale la plus dure que je n’ai jamais eu à affronter ce soir-là. Je m’étais frustré de cette course, alors qu’elle était le commencement de tout. Oui, j’ai grandi.»

Noah est un garçon qui rêve de laisser son empreinte dans le sport de haut niveau. Il ne le fait d’ailleurs que pour ça. Transcender le sport, c’est sa vie; traverser les générations, son objectif. Usain Bolt ou Michael Jordan sont les types d’exemple que la presse lui attribue souvent comme mentors. «Je suis le genre de gars qui veut être reconnu, mais pas seulement pour ce qu’il fait sur la piste. Je veux que les gens perçoivent mon côté provocateur, mais toujours respectueux, dans la démarche, les gesticulations ou le paraître que je déploie en entrant sur la piste. C’est pourquoi, je suis aussi heureux d’être partie prenante dans une série, mais aussi de faire la une de GQ, et pas que pour mes réussites sportives. Mais pour ma personnalité, parce que je suis un type bien, équilibré, et que j’inspire par mon mode de vie sain. C’est rétro: mais j’ai juste envie d’être cool.»

Noah a d’ailleurs toujours assuré que les médailles n’étaient pas un point de chute, mais une pierre angulaire d’une construction encore plus grande. Son image de style, médailles en or autour du cou, il la discute d’ailleurs chaque jour avec son agent Sharron Elkabas, un autre type bien, chef de sa propre agence: MN2S est, depuis 28 ans, reconnue dans plus 150 pays à travers le monde. «Avoir un impact dans le sport, c’est un destin commun que nous partageons avec mon agent; je ne suis pas seul ici. Mais je rectifie le chemin pour y parvenir: certains disent que les médailles sont moins importantes que l’aura. Mais sans médaille, qui porterait ne serait-ce qu’un peu d’attention à toi? Pour devenir quelqu’un, il faut d’abord attirer l’attention sur soi, et ensuite l’assumer.»

La chose devient marketing: être triple champion du monde sur 200 mètres dépasse, pour Noah Lyles, les simples honneurs. © athletix.ch [Budapest]

«On me bassine avec la NBA, mais le vrai monde, c’est ici!»

Assumer un statut, c’est aussi assumer un système; être interconnecté avec le monde devient dès lors nécessaire. Et pour beaucoup d’entre eux, la mode ou la musique deviennent des portes d’entrée aisées dans une nouvelle dimension. « Je me vois collaborer avec des artistes ou d’autres athlètes de tous bords. Je veux me montrer avec de grands athlètes, déconner avec eux, parce que c’est aussi ce qui fait qu’on va t’apprécier au-delà de ton sport. Et je suis un peu déçu, parfois, quand je regarde autour de moi, de ne voir ni Usain [Bolt], ni Asafa [Powell], ni Johan [Blake] dans le stade quand les plus belles finales ont lieu. Pourquoi on ne les invite pas?»

«Ce qui me révolte un peu, c’est que les finales de la NBA se considèrent comme des championnats du monde. Mais ces gens sont champions du monde de quoi? des États-Unis? Ne me bassinez pas avec la NBA – j’adore mon pays – mais le vrai monde est ici; avec des athlètes qui portent fièrement le drapeau et le nom de leur pays sur la poitrine. Il n’y a pas de drapeaux en NBA. C’est à nous d’en faire plus ici, pour que le monde vienne plus à nous.»

La chose devient marketing: être triple champion du monde sur 200 mètres dépasse, pour Noah, les simples honneurs: «La question, en dehors de la communauté de l’athlétisme, est de savoir ce qu’on peut faire de cette information pour la rendre utile aux gens? On doit sortir de notre bulle: un record du monde peut être excitant pour nous, mais si cela ne l’est pas en dehors du monde de l’athlétisme, c’est qu’on n’a pas fait tout comme il faut. Tout est une question de références: certains seraient très impressionnés si je battais le record du monde de Bolt. Mais pas tous ne le seraient pour la même raison: certains seront impressionnés parce que c’est le record du monde, tandis que d’autres – une majorité – seront impressionnés parce que c’était le record de Usain Bolt. Pensez-y: ce n’est pas tout-à-fait la même chose.»

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