La chute et la rémission: l’histoire de Wayde van Niekerk

Passionné d’Angleterre, résidant en Floride et Africain de cœur, Wayde van Niekerk est sans doute devenu un champion attachant pour la presse qui le côtoie désormais de très près depuis son retour à la compétition en 2020. Gravement blessé au genou en 2017, le sprinter a connu une longue réhabilitation, jusqu’à figurer en finale des championnats du monde; à Eugene en 2022 et à Budapest cette année. Mais sa finale ratée (7e en 45”11) laisse comprendre toutes les failles mentales et physiques qui habitent encore l’athlète (31 ans).

«Il y a des fois où j’ai dû me convaincre que j’en avais encore envie. C’est pas facile à vivre. Mon retour à la compétition n’est pas un signe de puissance, mais un signe de victoire envers moi-même. Pouvoir apprécier à nouveau de courir dans un stade et dans de grands championnats, c’était devenu mon rêve ultime ces dernières années.»

Wayde van Niekerk porte en la ville de Londres un attachement particulier. Il y a beaucoup séjourné quand les jours lui semblaient peu clairs. Dans la capitale anglaise, il pouvait au moins mettre la faute sur l’amoncellement régulier de nuages dans le ciel et ça le déchargeait d’une certaine pression. Mais il y a plusieurs autres raisons pour lesquelles le Sud-Africain adore cette ville et cela tient à un certain héritage sportif que Londres dispose. C’est dans son stade olympique qu’il avait d’ailleurs disputé ses derniers championnats du monde quelques jours avant sa grave blessure au genou durant une partie de rugby jouée chez lui, en Afrique du Sud.

À Londres, il y avait remporté l’or sur 400 mètres; un an après son surprenant record du monde (43”02) et deux ans après son premier titre cueilli à Pékin. Le souvenir est tendre. Et puis, dans d’autres stades, il n’a jamais pu cacher son attrait pour le football anglais, et plus particulièrement pour Liverpool. «Par le football, je suis naturellement attaché au Royaume-Uni et j’ai d’ailleurs toujours cherché à m’intégrer dans la culture et au sein du peuple anglais. Je ne pourrai donc jamais parler en mal de l’Angleterre.»

Le garçon, à 31 ans, zone d’ailleurs souvent dans les stades anglais. Il s’inspire des mythes et de l’ambiance; jusqu’à chanter avec les supporters You’ll Never Walk Alone à Anfield. «Ma femme et moi nous amusons toujours de l’aspect ludique des sports anglais et de la façon dont les gens peuvent être à la fois passionnés et drôles, lâchait d’ailleurs le sprinter à Oslo cette année, en amont du meeting de la Diamond League. J’adore ça et je resterai probablement à vie un grand fan du système anglais.»

À Anfield, pourtant, tout ne s’est pas passé comme prévu (pour Liverpool). Les Reds ont terminé cinquièmes de la Premier League et n’ont pas passé le stade des huitièmes de finale de la Ligue des Champions. «Ce n’est pas grave, on ne juge pas la saison qu’aux seuls titres, argue le Sud-Africain. Et puis, je vais vous raconter quelque chose…» C’est à cet instant que Wayde sort de son rêve typiquement anglais pour revenir à sa propre réalité, plus difficile mais aussi plus inspirante.

«Au football comme en athlétisme, j’ai pu comprendre qu’on ne peut pas être au meilleur de sa forme tout le temps et partout»

Wayde van Niekerk, recordman du monde du 400 mètres

«Être un sportif, c’est mesurer un équilibre entre les périodes de succès et celles de remises en question, entonne-t-il. Au football comme en athlétisme, c’est la même chose. En tant que supporter, j’ai pu éprouver ce que cela signifie d’avoir mal pour son idole. Mais j’ai aussi pu comprendre, d’un autre point de vue, qu’on ne peut pas être au meilleur de sa forme tout le temps et partout.» Wayde devient alors compatissant; en tant que fan, il n’a pas ressenti la tristesse de la défaite, ni même la déception d’une occasion manquée. Il a, en revanche, appris, ces cinq dernières années, qu’une force peut naître de chaque blessure.

Le retour à la réalité (et le soutien de Chesney et Elijah)

Wayde a passé cinq ans dans une zone de fortes turbulences. Blessé en 2017, lors d’une partie de rugby qu’il jouait en toute simplicité chez lui, en Afrique du Sud, il n’avait plus remis les pieds sur une piste d’athlétisme avant le 22 février 2020, à Bloemfontein. « C’était un premier moment de fierté; je me suis rendu compte à quel point j’ai pu manquer aux gens. C’était aussi le tout premier pas vers un retour à mon plus haut niveau.» Mais les séquelles de sa blessure, elles, perdurent encore.

«La lutte pour garder espoir et confiance a été quotidienne», avait-il précisé au terme de sa demi-finale à Budapest. Qualifié, seulement au temps en 44”65, pour la finale du 400 mètres, sa deuxième de rang après celle à Eugene l’année passée, le sprinter avait sans doute déjà senti ses limites face à la concurrence. Mais il croyait toujours en ses chances de titre. Parce qu’on lui a appris, même à passé 30 ans, qu’il faut toujours y croire. «Au final, c’est à qui la veut le plus (ndlr, la médaille d’or)», avait-il alors lâché. Les finales mondiales sont, bien sûr, les endroits idoines pour se révéler, aux autres et à soi-même. En Hongrie, ce n’était peut-être pas encore la bonne heure. Mais elle peut encore venir, à Paris en 2024. Depuis sa dernière finale à Londres en 2017, le Sud-Africain a toujours su qu’il reviendrait se battre pour une médaille mondiale (même si cette conviction a souvent été portée et soutenue par sa femme Chesney).

«C’est un objectif que je m’étais fixé en 2020: emmener ma femme et mon enfant partout où je voyage pour des compétitions»

Wayde van Niekerk, recordman du monde du 400 mètres

«J’y crois toujours… Je corrige: ma femme y croit. Moi, j’ai eu des jours où je voulais tout laisser tomber. Il y a eu des jours où je ne voulais pas me lever pour aller m’entraîner, d’autres où je ne voulais pas me lever tout court. Et quand je me levais, je pouvais ressentir tout le poids du monde sur mes épaules. Ressentir l’attente des fans était difficile et je ne pouvais même pas ressentir positivement leur affection.»

«Et puis, mon entourage est, à chaque fois, parvenu à me libérer de tout ce poids – et à me pousser vers de nouvelles limites.» Son entourage, bien sûr, c’est son équipe, sa femme et, dans une mesure beaucoup plus instinctive, son fils Elijah Luca. Sa femme et son fils voyagent désormais avec lui, se fondant discrètement quelque part dans son espace pour ne pas le déranger, mais suffisamment pour l’encourager. «C’est un objectif que je m’étais fixé en 2020, explique l’athlète. Je veux les avoir à côté de moi ces prochaines années, partager mon expérience, ma vie d’athlète, et toutes les joies que je pourrais en tirer en cas de victoires.» La voie de la rédemption s’emprunte donc en famille. Celle des sacrifices aussi.

«Avez-vous déjà vu trois Sud-Africains concourir à ce niveau sur 400 mètres? Non, donc je suis très fier de ces gars; et je dois dire qu’ils m’inspirent aussi. Ils sont si jeunes, et ont un futur si brillant qui les attend qu’on ne peut que se réjouir de leur réussite»

Wayde van Niekerk rend hommage à ses compatriotes Zakithi Nene et Lythe Pillay, qualifiés pour les championnats du monde à Budapest sur 400 mètres

Photo: athletix.ch [Budapest]

Un coureur (toujours) capable de courir en 44”

«J’ai une fenêtre d’opportunités pour remporter des titres. Je veux m’assurer de ne pas les galvauder.» Quand les éléments tournent en sa faveur, Wayde van Niekerk en profite toujours pour les prendre à son avantage. En Hongrie, il a pu notamment compter sur la satisfaction d’une saison qui lui avait plutôt réussi jusqu’ici. «J’ai su rester patient et j’ai su rester moi-même. Ces derniers mois ont été beaucoup plus positifs que négatifs et je sais que j’aurais pu tirer profit de cette énergie pour me rapprocher du podium», a-t-il repris au terme de sa finale.

La déception est évidente, même pour un champion en rémission d’un mal persistant et invisible. «Au vue des six années qui ont passé, en connaissant mon état de forme d’alors et mon état de forme d’aujourd’hui, je suis en mesure de croire que j’aurais pu être meilleur que ça, tonne-t-il en zone mixte. J’ai couru de façon désastreuse. Je suis un athlète en 44” sur la liste de départ et là, je n’ai pas été capable d’exécuter ma course comme je l’aurais dû.» Wayde a couru à huit reprises cette saison en moins de 45”, comptant les temps réalisés en séries et en demi-finales. En finale, il a pourtant terminé 7e en 45”11.

Néanmoins, sur toute la durée de la compétition, et malgré des résultats insuffisants, Wayde van Niekerk a su garder le cap face aux pressions multiples – les siennes et celles extérieures. C’est probablement ce qui l’extirpe du déni dans lequel il aurait pu plonger, hier comme aujourd’hui. «C’était un travail quotidien et un peu stressant, explique-t-il après sa finale. Ce sont des rythmes auxquels il faut que je me réhabitue. Même répondre aux questions (ndlr, des journalistes) est devenu un travail mental conséquent auquel je n’étais pas confronté avant.» Le processus de reconstruction n’est dès lors pas terminé pour le Sud-Africain, il vient juste de prendre une nouvelle dimension.

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