La vision de Julien Quennoz était la bonne: Kenny Guex

L’entraîneur national pour les haies et les relais, Kenny Guex, livre son analyse brute sur la performance majuscule de Julien Bonvin aux championnats du monde de Budapest. Il esquisse aussi les voies d’amélioration qui attendent le Sierrois. Le hurdler tente depuis plusieurs mois de passer sous le seuil des 49 secondes sur le 400 mètres haies – un seuil qui lui aurait donné des chances de figurer en finale des Mondiaux.

Julien Bonvin a réalisé un grand coup en parvenant à se qualifier pour les demi-finales des 400 mètres haies aux championnats du monde de Budapest. Mais au-delà de la performance, c’est le chemin parcouru qui réjouit Kenny Guex, l’entraîneur national préposé aux haies: il a montré être en nette progression ces dernières années, c’est assez visible.

Kenny Guex connaît bien Julien Bonvin; il le voit une à deux fois par semaine en groupe avec d’autres athlètes romands. «Je vois son évolution; et effectivement il progresse, physiquement et mentalement.» Mais au-delà du simple constat, c’est la méthode de travail qui évolue le plus nettement. Depuis la finale disputée lors des championnats d’Europe à Munich en août 2022, Julien Quennoz, son entraîneur, a pris le pari de modifier les plans pour la future saison. «Ils se sont dit que les championnats du monde viendraient tard dans la saison. Ils ont alors décidé de tempérer les entraînements en début de saison, quitte à ne pas réussir à courir très vite durant les premières sorties officielles de l’année. C’est osé, parce que le risque, c’est d’être mentalement affaibli et de ne plus être capable de se relever au juste moment.»

«Les deux Julien ont néanmoins bien géré la situation; ils sont restés calmes, ils ont cru en leur planification et ne se sont pas découragés aux premières difficultés – parce que quand tu cours 51” en début de saison, je peux vous dire qu’il faut rester calme. Il pouvait bien sûr se le permettre parce qu’il était déjà presque qualifié, mais cela n’enlève en rien le défi psychologie de rester de roc face aux situations les plus sensibles.» Bien sûr, Kenny Guex avait été mis dans le secret et a pu prendre part aux discussions avec l’entourage de l’athlète. «Je l’ai eu à l’entraînement dans le courant du mois d’avril, à un moment où il n’allait pas bien. La clef dans ces moments, c’est de ne pas trop le brusquer, le pousser, le charger. Tout l’entourage doit admettre qu’être moins dans le rythme, ça fait partie du processus de construction.»

Le plan a fonctionné; Julien Bonvin était au meilleur de sa forme, au juste instant – son niveau avait commencé à s’élever lors des championnats suisses à Bellinzona, où il a remporté le titre en abaissant, pour la première fois de la saison, son temps en-dessous des 50 secondes (49”47). À Budapest, ses deux courses ont volé proche de ses meilleurs standards. Mais, ça aurait pu aller encore plus vite; en séries, s’il avait parfaitement respecté son schéma de course – en poursuivant un rythme en 13 foulées jusqu’à la sixième haie –, il aurait pu descendre bien plus bas que les 49”19 réalisés. «Sa gestion de course doit maintenant être travaillée. Si seulement son plan de course avait été respecté à Budapest, il se serait établi aux alentours des 48”6 ou 48”7. La puissance physique pour courir ces temps est là. Il s’agit donc d’ajuster des détails sur le plan technique.»

«Si tu regardes, Lore Hoffmann, elle a à peu près la même approche. Je ne connais pas exactement ses plans d’entraînement, mais elle évolue selon une même logique.» La Valaisanne n’est, en effet, pas encore descendue sous les deux minutes sur 800 mètres, alors qu’elle a le potentiel de réaliser des temps nettement inférieurs. En retrait tout au long de la saison, notamment vis-à-vis de la Fribourgeoise Audrey Werro, elle est pourtant la seule des trois représentantes suisses à parvenir à se qualifier pour les demi-finales. «Il y a certes plusieurs façons de procéder pour planifier une saison. Mais, ce que je sais, c’est que ce genre de planification demande d’être en bonne forme le plus clair de la saison. En parallèle, il faut aussi s’assurer de faire suffisamment de points, et donc de bons résultats, pour être sélectionnable dans les grandes compétitions. La saison prochaine sera, par exemple, différente.» Ponctuée par les championnats d’Europe à Rome en juin et les Jeux Olympiques à Paris en août, les athlètes devront s’assurer d’être déjà dans un pic de forme en milieu de saison. «Tout le monde s’accorde ici pour dire qu’on va pas aux championnats d’Europe pour enfiler des perles, quoi.»

© athletix.ch [Budapest]

Grapiller 1” par saison, possible pour Julien Bonvin?

Le Norvégien Karsten Warhlom, sacré champion du monde de la discipline à Budapest, et le Brésilien Alison Dos Santos y sont parvenus (à améliorer leur meilleure marque en carrière de plus d’une seconde en une seule saison). C’est donc possible…

«Ce n’est pas aussi simple que ça. Bien sûr, dans le 400 mètres haies, l’évolution peut être plus rapide que sur le plat. Sur les haies, les progressions sont généralement par escaliers, tandis qu’elles sont plus linéaires sur le plat. Et cela est d’autant plus valable pour Julien parce qu’il a des aspects techniques qui le freinent durant ses courses. On ne juge d’ailleurs pas son temps à ses capacités physiques mais à sa capacité d’application. Il a donc de bonnes chances de s’approcher des 48” ces prochains mois. Mais ne confondons pas tout.»

«La réalité, quand même, c’est que Warholm (ndlr, quand il établit le nouveau record du monde du 400 mètres haies en 45”94) a aussi bénéficié d’année où toutes les innovations technologiques ont convergé en même temps. Il y a eu l’apparition des pointes en carbone, couplées à la qualité d’une piste du stade national de Tokyo, où, là aussi, les performances des athlètes étaient dopées par une nouvelle technologie. En ajoutant à cela la réalité des Jeux Olympiques, toutes les conditions étaient réunies pour que l’écart soit immense.»

Et puis, il y a le champion: Karsten Warholm courait déjà régulièrement en 48” en catégorie U23. Chez les élites, il s’est ensuite très vite imposé à tous les niveaux: il a été sacré champion d’Europe à Berlin en 2018 et champion du monde à Doha en 2019 – à chaque fois en 47”. «Quand il arrive à Tokyo, le travail de progression était déjà très bien amorcé. Cette année, il fait effectivement une progression d’une seconde sur la saison, mais ça a été un processus, par étapes, qui a permis cette situation. Je ne considère donc pas cet écart comme étant tombé de nulle part. Dans les faits, sa progression est plutôt cohérente.»

Pourquoi ça bloque encore pour Julien?

«Parce que son schéma de course (en 13 foulées jusqu’à la sixième haie, 14 jusqu’à la huitième et le reste en 15) est encore assez nouveau. Je ne sais pas combien de courses il a fait avec, mais pas tant que ça. L’année passée, il a voulu l’essayer, mais il ne l’a pas appliqué tout le temps non plus. À la fin, comme pour tout, si tu veux maîtriser quelque chose, il faut le faire et le refaire. C’est comme quand tu montes et démontes ton fusil à l’armée à l’école de recrue. Il faut répéter la chose pour que l’apprentissage devienne concret. Et c’est ce processus d’apprentissage que Julien n’a pas encore pleinement amorcé. Bien sûr, à l’entraînement, il a tenu le schéma plusieurs fois, mais ce n’est pas la même chose. Pour que ça rentre, il faut réaliser la chose à toutes les sorties.»

«Il faut que ça devienne vraiment sa base et qu’il soit à l’aise sur celle-ci. L’autre problème, à l’envers, c’est que quand tu te plantes sur ton schéma plusieurs fois en course, tu empruntes aussi un chemin négatif. Il faudra l’accepter. C’est aussi ça, le risque quand on choisit d’avoir une planification avec un seul pic très tard dans la saison: on manque d’expérience dans l’application du plan de course.»

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