Finley Gaio, le garçon qui progresse en silence

Le Bâlois a vécu ses premiers championnats du monde à Budapest. À 24 ans, celui qui n’a obtenu le passeport suisse qu’en 2017, a réussi une saison marquée par des blessures, des remises en question mais aussi par pas mal de tours de force. Entre son accident survenu en 2020, son amitié avec Simon Ehammer, son engagement avec l’armée suisse, son séjour auprès de Lindon Victor aux États-Unis et sa présence à Budapest, la carrière du jeune homme mériterait bien d’être posée à plat.

Finley Gaio porte dans son nom la richesse de ses multiples origines – il est le fils d’un père italien et d’une mère américaine. Rien ne le reliait naturellement à la Suisse dans sa jeunesse, mais comme tout fils d’immigrés, il a appris à l’aimer avant de la défendre. Le garçon est né en 1999 à Maisprach, dans le district de Sissach, l’un des cinq que compte le canton de Bâle-Campagne. La région semble parfaitement conservée, son histoire avec. Le lieu est atypique et isolé dans ces étendues de plaines vertes qui laissent penser aux grands prés protégés du pays d’Appenzell.

Finley Gaio est un peu comme son compère d’entraînement, Simon Ehammer. Il a grandi dans un environnement calme et secret, où toute ambition est dûment soutenue – par la nature, par les riverains et donc par la providence. Basel-Land et l’Appenzellerland ont tous deux en commun d’être des terres d’inspiration, de bon vivre, au caractère d’airain émanant de ces larges lieux de pâture. Les deux garçons partagent même plus que ça: ils se sont trouvés par amour pour leur sport, par passion pour l’athlétisme, la course et la discipline. Décathlètes l’un comme l’autre, ils ont suivi à peu près le même parcours de vie. Le premier est entré dans une école de commerce à Reinach, le second a suivi une formation de gestionnaire de commerce de détail. Puis, à côté, ils ont chacun créé leur environnement de confort dans leur club respectif. Simon a grandi à Teufen, à dix minutes de Saint-Gall, Finley à Liestal, à une demi-heure de sa commune natale. Et quand l’Appenzellois évoque l’atmosphère familiale de son club – professionnel, méticuleux et motivant –, le Bâlois lui enlève les mots de la bouche.

«Simon et moi nous connaissons depuis déjà très longtemps. Notre relation est vraiment chouette»

Finley Gaio

«Simon et moi nous connaissons depuis déjà très longtemps, lâche-t-il. Nous avons partagé la même chambre à l’armée et nous sommes arrivés ensemble à notre premier grand championnat au niveau international. On se chambre parfois aussi mais c’est une chouette relation que j’ai avec lui. Nous nous réjouissons mutuellement de nos réussites.» À Budapest, pour la première fois au niveau élite, les deux compères d’entraînement partagent la même scène mondiale. Si Finley Gaio arrive en bleusaille dans la délégation suisse, Simon, lui, revient pour y défendre une médaille de bronze gagnée de haut vol à Eugene, en Oregon l’année dernière. C’est ici que la proximité entre les deux athlètes peut servir au Bâlois; s’ils ne sont pas engagés dans la même discipline, les deux se partagent le même statut, celui d’un spécialiste multiple venant se mesurer aux spécialistes purs. De ces profils un peu particuliers, la Suisse en compte donc désormais deux – et dans le giron mondial, ces talents caméléon ne sont pas légion.

« Il me semble que pour la Suisse, je contribue à créer une dynamique positive, expliquait le jeune Bâlois avant de s’envoler pour Budapest. Dans le style et le fond, Simon et moi pouvons entrer dans cette catégorie d’athlètes capables de s’élever au plus haut niveau dans une discipline unique, comme Damian Warner (33 ans) ou Kevin Mayer (31). À cette différence près, nous sommes super jeunes. » On le dit d’ailleurs: en décathlon, on devient plus fort avec l’âge.

Novembre 2020: un accident qui aurait pu lui coûter sa carrière

Cette amitié, Simon et Finley l’ont renforcée aussi à coups parfois durs. En novembre 2020, lors d’un entraînement dans le cadre du programme ER Sport élite à Macolin – il vise à combiner de manière optimale le sport d’élite avec les obligations militaires –, le cadet des deux est victime d’un accident qui aurait pu lui être fatal. L’événement avait eu lieu sur le sautoir de la perche – Finley avait été gravement défiguré par sa perche qu’il avait mal jetée en avant lors d’un saut qu’il s’était refusé de tenter.

«Ma mâchoire supérieure et ma mâchoire inférieure étaient cassées, trois dents ont été enfoncées, l’une d’entre elles a été complètement arrachée, et ma lèvre était coupée», avait-il témoigné au Blick en sortant de l’hôpital. Simon était là lors de son accident; il avait d’ailleurs guidé l’ambulance. «Quand j’ai réalisé ce qui s’était passé, j’ai ressenti un coup, avait-il témoigné quelques jours plus tard. Voir son coéquipier comme ça, c’est brutal.»

Un détour par les États-Unis

Trois ans plus tard, foulant la piste du Centre national pour l’athlétisme de Budapest, Finley réévoque son accident, avec suffisamment recul. Et avec suffisamment de force mentale pour s’en servir comme déclencheur. «Au début, j’avais du mal à me sentir vraiment libéré au saut à la perche, explique-t-il. Mais mon coach, mon préparateur mental et moi avons beaucoup travaillé ensemble pour parvenir à retrouver mon niveau. Nous avons d’ailleurs pratiquement recommencé à zéro. Aujourd’hui, la discipline n’est toujours pas facile pour la tête, mais j’ai réussi à me restabiliser à un niveau décent, sans pour autant avoir atteint le niveau d’avant.»

Le Bâlois a toutefois fait preuve, ces trois dernières années, d’une grande abnégation; la reconstruction a été lente mais efficace. Le jeune homme est reparti là où il disposait d’une solide base de confiance. Un petit coup de pouce est ensuite venu l’aider. Repéré après les championnats d’Europe de Münich en 2022 – où il était parvenu jusqu’en finale des 110 mètres haies –, il avait profité, en décembre, d’une opportunité de s’entraîner trois semaines aux États-Unis auprès de Lindon Victor (30 ans), l’un des décathloniens les plus talentueux du moment. Son entraîneur, Chris Huffins, avait par ailleurs remporté une médaille de bronze au décathlon lors des Jeux Olympiques de Sydney en 2000. Lindon est particulièrement à l’aise dans les disciplines de lancer; là où Finley a sans doute encore le plus à apprendre. «Dans le domaine, j’ai certes beaucoup progressé cette année, explique-t-il. Mais pas autant que je l’aurais souhaité. Je pense néanmoins que j’ai fait un pas supplémentaire dans la bonne direction.» Pour preuve: le 28 mai, il a dépassé, pour la première fois, le seuil symbolique des 8’000 points au décathlon à Götzis. Plus tard, sa qualification, et sa sélection, pour les championnats du monde de Budapest l’a sans doute encore plus propulsé dans une nouvelle dimension. Ceci, alors même qu’il n’avait pas pu défendre toutes ses chances en début de saison en raison d’une blessure.

Son clin d’œil à l’armée suisse

De ces instants où il était incapable de faire du sport les jours qui ont suivi son opération en novembre 2020, Finley Gaio les garde en pensées: les douleurs, le manque de sommeil et les pleurs. «Cette vision était une vision d’horreur pour moi». Le jeune homme est un passionné, humble et réfléchi; il vit de sa passion pour l’athlétisme, de ces heures passées à l’entraînement – le costume de militaire dans le vestiaire – et de ces séances parfois intenses entre Macolin et Liestal.

Il n’oublie pas non plus qu’il a aussi pu continuer à vivre de cette même passion, de ces mêmes émotions grâce au soutien du commandant du programme ER Sport Élite de l’armée suisse Hannes Wiedmer. «Hannes s’est engagé en ma faveur dès le lendemain de mon accident à Macolin, raconte Finley. Grâce à lui, j’ai pu poursuivre ma préparation sportive, en parallèle de mon service militaire, et maintenir un bon niveau. Si j’avais dû quitter l’ER après mon accident, le retour à l’entraînement aurait été beaucoup plus difficile».

Crédit photo: athletix.ch [Budapest]

Le décathlon avant tout

«La prise d’expérience, c’est ce qui comptait le plus ici», explique-t-il en sortant du stade de Budapest dimanche matin. Le Bâlois n’a pas été en mesure de se qualifier pour les demi-finales sur 110m haies. En 13”61, il a échoué à cinq centièmes d’une qualification au temps – une marque pourtant très proche du standard sur lequel il avait réussi à s’établir tout au long de la saison. « Je suis déçu, ma course n’était pas propre. Et quand une course n’est pas parfaitement propre, sur les haies, on est vite sur la touche.»

La déception l’emporte; d’autant plus quand on se sait capable de mieux. Mais l’important n’est certainement pas là: sentir l’ambiance, les airs, les protocoles et la concurrence dans des championnats du monde faisait partie du projet de départ. «Ce sont toutes des choses que je connais déjà. Ne pas être dépaysé est déjà un avantage.» Puis, vient un bout de nostalgie: «J’aurais adoré pouvoir m’aligner sur le décathlon. C’est naturellement dommage de quitter Budapest après une seule course.»

Comprenez: le décathlon compte plus que tout. Là où Simon Ehammer avoue ne pas vouloir choisir entre la discipline multiple et le saut en longueur, Finley, lui, a beau être le deuxième Suisse le plus rapide sur 110 mètres haies, il n’a aucun mal à marquer ses préférences. « Je me suis beaucoup concentré sur les haies ces derniers mois parce que j’avais le sentiment de ne pas être assez solide dans mes courses, explique-t-il. Mais je sais maintenant que mon niveau est redevenu décent. Les minimas du décathlon pour les Jeux Olympiques étant très élevés, les bases de progressions doivent être posées dès maintenant.»

Pour préparer 2024 justement, le jeune homme s’apprête à passer les derniers mois de l’année dans ses confins natals, à Maisprach. Et comme tout grand athlète, il en profitera sans doute pour une franche introspection.

Créez un site ou un blog sur WordPress.com