Maserati, ses racines monégasques et le pari du tout-électrique

Envoyé spécial à Monte-Carlo (Monaco)

Avec une puissance maximale de 350kW, soit 75% de plus que les Formule E de première et deuxième générations, et une capacité de régénération de 600kW grâce aux technologies avancées de freinage, la Gen3 mise en service dès cette année, incarne l’une des plus grandes innovations que l’industrie automobile électrique ait connu dans son histoire. Dotées de quatre roues motrices et 40% de consommation énergétique durant les course provenant des sources régénératrices, les Formule E de 2023 repoussent toutes les limites qui restreignent encore, de nos jours, le développement et la promotion de la mobilité électrique. C’est le moment charnière qu’a choisi Maserati pour se lancer à nouveau, 66 ans plus tard, dans la course automobile, et cette fois avec le pari du tout-électrique.

Sous un soleil régnant en maître sur la Rascasse, Edoardo Mortara apparaît en pleine discussion avec son compatriote Sébastien Buemi. À en croire leur langage corporel, les deux Suisses plus expérimentés de la grille laisseraient presque entendre que la journée ne pourrait pas être plus belle. Mais le premier des deux sait bien que le passage face aux médias, installés le long du Quai Antoine Ier, sera la première étape d’une soirée plus mouvementée. D’ailleurs, deux hommes évitent de croiser le regard – ce qui apparaît inévitable après un accrochage entre deux coéquipiers. Le Genevois est l’un d’entre eux et il sait que, plus tard, en séance de débriefing, il donnera de son mieux pour éviter une mauvaise guerre intestine – généralement celle des égos – au sein de son écurie.

En novembre dernier, Maserati MSG Racing a annoncé enrôler Maximilian Günther aux côtés de Mortara pour la saison 2023 de Formule E. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’Allemand partage le baquet avec un Suisse; la saison d’avant, il avait travaillé avec l’Aiglon Sébastien Buemi chez Nissan e.Dams. Tout au long de sa carrière, Günther a été considéré comme un pilote talentueux, ce qu’il est. Mais c’est aussi parce qu’il a souvent été l’homme des occasions manquées qu’il a atterri en Formule E, dont il représente pourtant aujourd’hui – selon son écurie – le futur. « Max est le plus jeune vainqueur de l’histoire de la Formule E, détaille le communiqué d’annonce de Maserati. Avec trois victoires et à seulement 25 ans, Max est l’un des talents les plus prometteurs du sport automobile. Avec Edo, il formera l’une des équipes les plus compétitives de la saison. » L’Allemand pointe actuellement au 12e rang du classement des pilotes, le Suisse 20e. Et Maserati stagne en bas du classement des constructeurs, alors même qu’elle avait signé tous les meilleurs temps des tests de pré-saison.

Bien sûr, rien n’avance selon les plans projetés – la rivalité entre les deux n’est pas tendre non plus en course. L’accrochage des deux Maserati à la sortie du virage numéro un à Monaco, et l’abandon de Günther, envoyé dans le décor par Dan Ticktum, n’arrangera en rien la situation. Pourtant, il serait faux de laisser entendre que les deux coéquipiers ne s’apprécient pas; les deux hommes partagent des valeurs et une vision similaires de la course automobile. Ils ont tous les deux un sens acéré du détail et une irascible rage de succès, ce qui ne manque pas d’animer les paddocks quand rien ne va dans le bon sens.

Maserati, première marque italienne en Formule E

Edoardo Mortara prend congé de Buemi au moment où il fait face à la presse. Son sourire n’est pas usurpé, assurera-t-il. « Ça va quand même dans la bonne direction. On est de plus en plus compétitifs. Je me sentais bien dans la voiture, ce qui n’a pas toujours été le cas cette année. » Avec ces mots, le Genevois n’est pas du genre à baisser les bras. Toutefois, après six victoires et treize podiums en carrière et les honneurs d’un titre de vice-champion du monde la saison passée, le décalage est saisissant. « Il faut croire qu’il n’y a pas de demi-mesure, explique tendrement le Suisse. Mais je sais qu’à un moment donné, tout ira mieux. Ça ne peut pas toujours mal se passer. »

Le défi est aussi nouveau pour Maserati, 66 ans après son dernier tour de piste. La dernière fois que la marque avait été remarquée en course automobile remonte à 1957, année du sacre de Juan Manuel Fangio en Formule 1 avec la 250F. Le Trident avait tiré sa révérence après ce coup d’éclat. Six décennies plus tard, il réapparait dans le pinacle du sport automobile avec la conviction que l’innovation de l’électrique a une place à prendre, réorientant ainsi leur histoire et diversifiant l’héritage pour la postérité – il devient dès lors la première marque italienne à rejoindre la FE.

Maserati s’est historiquement illustrée dans la production de gammes complètes de voitures exclusives, immédiatement reconnaissables à leur singularité et à leur Trident. Elles ont par ailleurs toujours été une référence dans le monde de l’automobile. Chacune de leurs voitures – à l’image de la berline de luxe Quattroporte, la Ghibli ou encore la Levante – se présente d’ailleurs comme la réinvention permanente de la plus pure voiture de sport à l’italienne. Leur design, leur technologie embarquée, leur confort, leur élégance ou encore leur garanties de sécurité en ont toujours fait des modèles de référence à travers le monde. Mais les temps changent, et les intentions de la marque au Trident aussi; elle travaille sur la production de sa toute première gamme électrique, la Maserati Folgore. De même que, d’ici 2025, apprend-t-on, tous les modèles de la maison seront proposés en version entièrement électrique, le modèle à essence étant appelé à disparaître dès 2030.

C’est ainsi qu’à l’annonce du désinvestissement du groupe Venturi en Formule E – qui était présent sur le circuit depuis la saison inaugurale en 2014 –, Maserati s’est rapidement positionnée pour le suppléer. Dans le giron de la FE, d’aucuns assuraient que l’équipe resterait la même, quand bien même elle changerait de nom. Mais elle semble toutefois avoir inéluctablement évolué. L’écurie – renommée Monaco Sports Group après le passage de témoin – a bien sûr conservé les mêmes dirigeants à sa tête; le groupe d’investisseurs mené par Scott Swid et José Aznar Botella, qui souhaitaient autrefois investir en F1, restent en place. « L’ethos et les valeurs restent les mêmes », avaient-ils assuré dans un communiqué en septembre 2022. Mais rien n’est jamais aussi simple.

Maximilian Günther, pilote de Maserati MSG Racing en amont du Monaco E-Prix. © Maserati MSG

Une nouvelle structure sous la direction de James Rossiter

Une nouvelle motorisation, une nouvelle voiture et les micro-changements qu’elles impliquent rendent le travail plus incertain. Jérôme D’Ambrosio, qui avait fait ses premières marques en tant que chef d’équipe sous la houlette de Susie Wolff en octobre 2020 avant d’assumer seul la charge de guider l’écurie vers un titre de champion du monde, a décidé de quitter ses fonctions à l’aube de la nouvelle saison. Avec lui, l’organisation des ingénieurs de course a également été remaniée. « Il a fallu que je me réhabitue à la nouvelle structure, explique Edoardo Mortara. J’ai certes retrouvé certains ingénieurs avec qui j’avais travaillé dans le passé mais il faut toujours un temps d’adaptation pour que la relation se construise. »

C’est le Britannique James Rossiter qui tente actuellement de donner à la Tipo Folgore la place de choix qu’elle mérite. Son engagement ne souffre d’aucune discussion; ancien directeur sportif auprès de DS Techeetah, son expérience de travail auprès de Stellantis, la maison maire de Maserati, doit encore plus renforcer la synergie au sein de l’équipe. En parfait connaisseur de la discipline et de la marque, il assume son rôle de trait d’union dans la pyramide. « Il arrive dans une période charnière pour nous et pour la Formule E dans son ensemble, détaillait Scott Swid dans un autre communiqué. James est ambitieux de nature et en plus d’être un fin stratège, il a aussi participé au développement de la Gen3, ce qui est un grand avantage pour nous. »

La Gen3, c’est la monoplace de troisième génération dévoilée l’année dernière par l’organisation de la Formule E et la FIA, la Fédération internationale de l’automobile. Chaque saison, la FE, avec à sa tête l’Espagnol Alejandro Agag, travaille sur la conception d’un bolide qui puisse toujours plus concilier sans compromis haute performance, efficacité et développement durable. La Gen3 représente, aujourd’hui, la version la plus aboutie de ce développement technologique. Elle est ainsi devenue voiture de référence à compter de cette saison. Après plusieurs années de roulage avec la Gen2, les pilotes et les écuries ont donc été contraintes de se réhabituer à un habitacle toujours plus à la pointe de la technologie.

À l’heure des monoplaces de troisième génération

C’est ici même, il y a tout juste une année, dans les locaux du Yacht Club de Monaco, situé à la sortie du tunnel, sur le Quai Louis II que la Formule E et la FIA avaient dévoilé les contours de la nouvelle monoplace de troisième génération. Abrégé Gen3 pour les routiniers, ce nouveau prototype, qui concentre une quantité impressionnante d’innovations technologiques sous un capot, a l’avantage d’être toujours mieux adapté aux courses en milieu urbain.

Avant lui déjà, les différentes générations de voitures mises à l’étude depuis 2014 avaient toutes représenté une avancée majeure dans la conception d’une mobilité électrique de qualité. Représentant un premier pas en direction d’une meilleure durabilité, la voiture de première génération (Gen1), qui a été utilisée lors des quatre premières saisons de Formule E entre 2014 et 2018, avait permis un premier virage à succès dans le tout-électrique. La GEN2, apparue lors de la saison 2018, avait, quant à elle, surtout mis en évidence la capacité de ces bolides à pouvoir se régénérer en énergie, à gagner de la puissance en pleine course (grâce à l’activation du mode attaque), tout en améliorant la longévité énergétique des batteries qui pouvaient alors tenir 45 minutes.

Depuis lors, en travaillant sur l’aérodynamique, sur les moteurs mais aussi sur la technologie de freins, les ingénieurs d’ABB et les représentants de la FE n’ont cessé de repousser les limites de la machine. Développée par des ingénieurs et des experts en développement durable de la FIA et de la Formule E, la Gen3 représente aujourd’hui la valeur étalon d’un bolide capable de s’adapter à la fois aux contraintes du sport de haut niveau, mais aussi aux nombreux défis énergétiques de la mobilité du futur. Mieux: précisément là où le développement aérodynamique est en constante évolution en Formule 1, la Formule E annonce, elle, davantage investir dans l’ingéniérie logicielle – un champ de perspectives entièrement inédit dans l’industrie du sport automobile. « Les améliorations de performance de la Gen3 seront effectuées sous forme de mises à jour logicielles directement dans le système d’exploitation avancé de la voiture », annonçait la FIA dans un communiqué. Voilà donc le contexte nouveau et révolutionnaire dans lequel Maserati réinvestit ses voitures de course.

En souvenir de la Tipo 26, la première voiture victorieuse en circuit

C’est à Modena, ville d’origine de la Maserati, que la Tipo Folgore avait été présentée au grand public début décembre. « Avoir dévoilé notre toute première voiture électrique a été un moment historique pour Maserati, explique Giovanni Sgro, directeur de la marque en Corse. Elle est à la fois le témoin de notre authenticité, de notre audace et de notre esprit de compétition, par-delà même les circuits. » La Tipo Folgore rend d’ailleurs hommage à la toute première voiture de course, la Tipo 26, qui avait remporté la Targa Florio en 1926. Cette course s’est déroulée jusqu’en 1977 sur le circuit des Madonies qui empruntait une grande partie des routes côtières de la Sicile – c’est Alfieri Maserati, en personne, qui avait ramené la plaque de bronze mise en récompense à Bologne.

Près d’un siècle plus tard, la Folgore – qui plus est alimentée par la technologie avancée de la Gen3, la plus performante de l’histoire de la Formule E – représente une ère nouvelle pour le manufacturier romagnol. Sous son revêtement bleu intemporel, la voiture surprend aussi par son esthétique épurée. Elle n’a certes pas encore trouvé son point d’équilibre en course mais les apprentissages actuels, y compris ceux gagnés lors des dernières courses à Berlin et Monaco, resteront autant d’atouts dans la préparation d’une gamme de véhicules électriques destinés à la fois à la compétition qu’à la conception de nouvelles berlines de luxe.

Les Maserati d’Edoardo Mortara et Maximilian Günther dans les garages de la Pit Lane du circuit de Monaco. © leMultimedia.info [Monte-Carlo]

Créez un site ou un blog sur WordPress.com