Jann Halexander: « J’admire le courage de MC COCO »

Né à Libreville, au Gabon, le 13 septembre 1982, Jann Halexander arrive à Paris pour y vivre en 2008. Adepte de la variété française, il a commencé dans la musique en 2003. Il publie dernièrement un nouveau clip « Pars et Gogo » en compagnie de la rappeuse MC COCO. Contacté par téléphone, il revient sur son parcours et ses choix de carrière. Interview.

Certains médias vous prennent pour un pionnier de la musique, notamment de par votre statut d’africain faisant de la variété au piano-voix. Comment vous vous sentez personnellement par rapport à cette position qu’on appose sur vos épaules ?

Pionnier est peut-être un mot fort mais c’est vrai que je l’avais déjà entendu à mon égard. Plusieurs personnes intriguées venaient d’ailleurs me voir en concert justement pour cette raison. Beaucoup de journalistes me disaient également qu’avec Laurent Voulzy et Henri Salvador, nous n’étions pas nombreux à promouvoir ce style. Mais je pense qu’on est plus nombreux que ce que l’on croit mais j’ai connu beaucoup de collègues de couleur (Antillais ou Africains) qui ont un petit peu raccroché avec la scène à cause de préjugés dont ils faisaient face de tous côtés. Ce n’était pas évident ni facile. Maintenant, je ne pense pas être un pionnier car pour être un pionnier il faudrait que l’on soit considéré comme un exemple, un modèle et je n’ai pas, à ma connaissance, entendu parler de chanteurs ayant émergé ces dernières années et qui se seraient revendiquées comme ayant été inspirées par moi. Ça n’a aucun sens selon moi ou alors je suis trop modeste (rires). En tout cas, je ne m’estime pas comme étant un ambassadeur de la culture française ou gabonaise. Je chante ma vie et celle des gens que je croise ; des sentiments, plaisirs, failles, doutes. Mais je n’ai pas de vocation à être ambassadeur ou gardien. Je parle au nom des gens en général.

Vous avez dit dans des précédentes interviews ou vidéos que le public vous transcende. C’est le public qui justifie votre place dans la musique. Mais vos compositions sont davantage tournées vers un public généraliste ou plutôt particulier ?

Je m’adresse à tout le monde. Mais c’est vrai que j’ai vu mon public changer au fur et à mesure des années. Il est devenu beaucoup plus mélangé culturellement ; aussi bien des gens de gauche que de droite. Si je suis un minimum engagé politiquement, je ne mélange pas les arts. Et je n’ai pas de public cible. Bien sûr, je peux toucher des personnes venues d’horizons divers mais de manière générale, mon public est constant, pas forcément très élargi mais bien présent. C’est d’ailleurs lui qui me donne toute la légitimité de chanter car un artiste sans public reste souvent informe. C’est le public qui donne ma raison d’être en payant sa place. C’est extrêmement concret.

D’un point de vue alternatif, vous aviez aussi qualifié de démotivant et déroutant la faculté qu’avaient certains magazines et journaux de médiatiser certains chanteurs une fois leur mort. Vous vous êtes longuement arrêté sur ce constat en y consacrant un album entier « Un bon chanteur est chanteur mort » sorti en 2013. Quelle sensation vous portez-vous sur ce phénomène aujourd’hui ?

Je ne parle pas uniquement à mon nom mais aussi bien au nom d’autres artistes ­– Barbara disait qu’il fallait aimer les gens de leur vivant – tout cela prend une dimension « tragique ». Et je refus catégoriquement cela car je n’ai pas vocation à jouer l’artiste maudit ou la figure sacrificielle. Ce qui compte, c’est le présent. Quand je chante, je le fais pour le public. Et même s’il n’est pas nombreux, il est néanmoins présent et c’est le plus important. Je ne suis pas dans l’état d’esprit de réfléchir à ma postérité. Ce n’est absolument pas ma préoccupation. Cela fait aussi partie de mes convictions de base – je suis agnostique et je n’ai pas une grande croyance en une vie après la mort. Un sentiment renforcé bien que j’aie échappé à la mort en 2010 suite à une hospitalisation.

Est-ce que l’on pourrait dès lors décrypter votre musique sous un prisme fonctionnaliste – votre vie nourrit votre musique et votre musique vit à travers votre vie ? Y a-t-il un rapport réciproque entre les deux ?

Absolument ! Sans la musique, la création et l’art, je ne serai pas présent pour répondre à une interview. Quand j’étais plus jeune ­et que je ne pensais pas forcément entrer dans l’univers de la chanson, j’avais déjà cette volonté de réaliser des projets artistiques. À l’époque, je souhaitais devenir une sorte Walt Disney africain. Je dessinais, j’écrivais des livres que j’envoyais en maison d’édition. Il y avait en moi une dynamique de création. Créer pour vivre et pour rapporter quelque chose aux gens. De plus, je ne traite pas uniquement de thèmes tristes et noirs mais j’explore également un registre plus drôle et léger avec un côté parfois sarcastique. Il y a aussi une forme d’humour.

Vous avez connu MC Coco lors d’une soirée en milieu associatif. Mais qu’est-ce qui a fait que tout d’un coup, vous vous soyez dit qu’une collaboration pouvait être un succès ?

J’avais exploré toutes les facettes de la chanson française et je tournais un peu en rond. Quand on aime la vie d’artiste, on est en doute permanent. C’est un univers un peu compliqué et très complexe avec ses réseaux, ses clans, ses chapelles. Et à un moment donné, j’étouffais. Sur un coup de tête – mélangé avec un brin d’intuition – j’ai voulu adapter une de mes chansons en une variante techno ou house. Mais après un essai au piano, il s’est avéré que la forme de la musique avoisinait le rap. Je ne connaissais pas de rappeur mais je connaissais une rappeuse, alors je l’ai contactée. C’est ainsi qu’est né le clip « Déracinés quand même ». Les choses se sont déchaînées très rapidement. Je suis d’ailleurs encore surpris par la vitesse avec laquelle le projet a grandi ; un mois après notre rencontre en studio, nous foulions déjà les plateaux de télévision. Les choses sont vraiment allées très vite. C’est peut-être qu’elles devaient arriver, c’est très curieux. Et comme notre collaboration fonctionnait bien, on a décidé de tourner un second clip : « Pars et Gogo » (2015). On va par ailleurs continuer à mélanger nos deux univers sur des projets futurs bien que j’aie mon propre parcours dans la chanson. J’ai vraiment trouvé une émulation grâce à ce duo avec MC COCO. On est devenu amis et on a beaucoup de points communs. Et surtout, elle aime ce qu’elle fait et croit en ce qu’elle entreprend de faire et ça se ressent.

Il y a beaucoup de similitudes entre vous deux : orientation sexuelle, provenance, etc…

Oui, il y a en effet quelques ressemblances entre nos deux personnages. On vient pratiquement du même endroit, l’Afrique centrale. Coco vient du Cameroun, moi du Gabon. On a tous les deux cet intérêt à faire basculer les choses et à changer le monde social. Nous voulons renverser les tabous et aider la société à avancer. Il y a cette forme de courage que j’admire chez MC COCO. Pour elle, cela semble naturel mais elle a beaucoup de cran.

Parlons maintenant du clip « Pars et Gogo ». Il faut dire qu’il y a eu beaucoup d’écho depuis sa sortie sur la plateforme YouTube…

Oui, on est agréablement surpris. On l’espérait aussi et on espère encore que ça continue. Mais il y a une forme d’alchimie qui a amené notre clip à attirer l’attention parmi le raz-de-marée de vidéos présentes sur YouTube. C’est peut-être également dû à la forme de court-métrage que revêt ce clip mais aussi à l’authenticité à laquelle renvoie les deux actrices, MC COCO et Claire Hoffmann. La scène initiale du clip – qui, par ailleurs, n’était pas prévue lors du tournage ­– est très crédible, ce qui provoque une tension ou une gêne. Mais la liberté d’internet réside justement en la possibilité de créer et d’innover sans avoir une limitation contraignante de durée dans nos clips vidéo. Et pour l’instant, nous sommes satisfaits de notre travail et de la qualité intrinsèque de la vidéo, ce qui n’est pas négligeable pour des artistes.

Le style de ce nouveau clip est atypique en mélangeant scènes de télé-réalité et de reportages. Ce n’est plus seulement une musique qui dénonce ou sensibilise mais elle prend également un côté révélateur. Il y a une forme de révélation dans votre nouvelle composition…

Bien sûr ! La chanson est simple du point de vue du texte et de la structure musicale mais dans le scénario du clip, on assiste à des révélations en pagaille. Une histoire entre deux femmes – pas facile à assumer – reste une scène rarement visible à l’écran de nos jours. De plus, la note de la révélation prend tout sons sens dans le fait que l’on assiste à des scènes qui ne sont pas de propriété publique. On est dans un appartement, tout est confiné. La difficulté de la vie de couple réside justement dans cet espace privé. Qu’est-ce qu’il se passe derrière une porte ? Il s’agit là de tout l’intérêt que porte ce clip à mettre en avant une facette de la relation de couple ; les secrets, les regrets, etc…

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