Un premier pas vers le métavers de l’humour

Photo: © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Montreux]

Tout le monde n’a sans doute pas encore entendu parler du métavers. Plusieurs en ignorent, bien sûr, sa signification. Et pourtant, sous cette notion d’apparence très technique, se cache sans doute le futur des connexions humaines qui seront tissées au niveau universel entre chaque individu de la planète. Un nouvel internet composé d’espaces virtuels, persistants et partagés et qui seront accessibles grâce à une interaction en trois dimensions. On n’y est pas encore; mais ça viendra.

“Faire de l’humour un art majeur de la culture internationale”

Grégoire Furrer, président-fondateur du Montreux Comedy Festival, a annoncé le 1er décembre 2022 la création de deux faîtières de l’humour. La première vise à rassembler les festivals majeurs d’humour en Suisse, et dans toutes les régions linguistiques. La seconde, plus globale, souhaite rassembler tous les acteurs privilégiés de l’humour international avec l’objectif de mettre en commun des méthodes et des ressources. Ces deux faîtières visent, aux échelles locale et globale, à faire de l’humour un art majeur de la culture internationale.

Passé 30 ans, le festival de Montreux a pris un tournant assez ambitieux. Pas nécessaire de parler de toutes les déclinaisons du festival créées aux quatre coins du monde – en Afrique, en Amérique du Nord et en Europe – pour comprendre que Grégoire Furrer n’investit pas seulement dans l’humour pour voyager, mais aussi pour se sentir plus jeune et plus à la pointe des nouvelles technologies qui émergent à vitesse réelle. Pour cet entrepreneur incarné, il s’agit bien sûr d’être le plus interconnecté possible au monde qui change. Et la crise sanitaire ne lui aura, bien sûr, pas fait faire un pas en arrière. Bien au contraire.

Le président et fondateur du Montreux Comedy Festival a pris le pari de renverser le terreau sur lequel son Festival a planté ses racines et bâti ses murs porteurs. Dans les sous-sols du 2M2C, à quelques mètres des bureaux de production, un curieux mécanisme de technologie était en route. Dotés d’un casque de réalité virtuelle, deux humoristes par deux s’immergent dans un monde parallèle au sein duquel ils étaient rejoints par deux comédiens avatarisés et dirigés, eux, à distance depuis Bordeaux et Strasbourg. Pour le dire simplement; c’est une scène entièrement virtuelle que le festival testait de façon, certes, encore expérimentale quelques mètres plus en-bas de l’Auditorium Stravinski. Cet espace était pour l’heure plus intimiste mais, en même temps, autrement plus ouvert au monde. Dans l’absolu, il vise à promouvoir un humour internationalisé, libéré de tout ancrage in loco et allégeant ainsi les contraintes liées aux voyages, à la production et à tout autre élément exogène qui rendent parfois la tenue d’un festival incertaine.

« Les possibilités ce sont accélérées ces derniers temps, mais il nous faut maintenant appréhender ces nouvelles technologies et prendre le temps de les comprendre, étaie Grégoire Furrer, président fondateur du Montreux Comedy. On se rapproche de l’univers du gaming, qui est un antre que nous ne connaissons pas bien. Beaucoup d’artistes ont déjà fait ce pas, mais l’humour pas encore. C’est ce qu’il fait que ça prendra du temps pour amorcer cette transformation aussi. »

Aller chercher les experts du virtuel, à Busan en Corée

L’avantage d’un tel appareillage est compris dans le projet global que Grégoire Furrer a amorcé il y a de cela moins de dix ans. Amusé par les façons multiples pour un programmateur et directeur d’entreprise de faire converger et connecter différentes communautés de l’humour en un seul et même endroit centralisé, le Montreusien voit dans la mise en place des espaces virtuels la possibilité de réunir ceux qui n’auraient pas pu se réunir autrement. En somme, pour continuer de maintenir l’enseigne comme marque de portée internationale et à la pointe de l’innovation, Grégoire Furrer sait ne pas pouvoir se permettre de passer à côté de chaque nouvelle invention révolutionnaire.

Déjà grandement présent sur le continent africain (voir chapitre plus bas), c’est un peu plus à l’est qu’il est allé cherché l’information, l’expertise et le soutien pour mener cette nouvelle révolution technologique de mieux possible. C’est ainsi à Busan, en Corée du Sud, que Furrer est parvenu à trouver une, voire plusieurs, oreilles attentives à son projet. « La Corée a effectivement beaucoup d’avance dans l’utilisation et l’optimisation de la réalité virtuelle. Et, pour y être allé, je sais que l’humour est aussi très fort dans le pays. Ainsi, à défaut de partager des liens culturels étroits, nous serons certainement en mesure de nous retrouver sur un même terrain qui est celui de l’humour », explique-t-il. L’humour multiculturel et multilingue est ainsi en cours avancé d’évolution.

De Montreux à Abidjan: dans le quartier de Cocody

Dans ce sens, la programmation de la 32e édition du Montreux Comedy Festival a tabassé les codes en 2021, en donnant une place si importante à des artistes encore assez peu connus, peu rodés mais fortes promesses de talent. Produits par-ci, par-là, ces artistes d’un peu partout, au bagage déjà plein, sont les premiers d’une génération dorée, décomplexée et authentique.

On ne vous aura pas assez présenté durant la septaine les nouveaux talents de l’Afrique francophone tels que Prissy la Degameuse, Hervé Kimeinyi ou encore Clentélex. Mais tous ont au moins pu travailler, grâce au développement de l’humour dans leur pays respectif amorcé par Grégoire Furrer, sur leur volonté de faire de l’humour une vie, une carrière, une passion. Ainsi, en créant, en septembre 2020, le Dycoco Festival à Abidjan, dans le quartier déjà connu de Cocody, le Montreusien a sans doute, là, relevé l’un des paris les plus fous, mais aussi les plus maîtrisés et travaillés qu’il s’est fixé en quelques années. « On voit que c’est un homme qui aime et qui se dédie à l’humour », a lâché Lenny M’Bunga durant notre rencontre blitz.

Adepte du grand écart, Grégoire Furrer aime puiser dans les viviers d’Afrique et de l’Asie proche pour offrir le spectacle le plus divers et pluriel que possible. Il a aussi réfléchi à la meilleure façon d’intégrer ces nouveaux noms dans des plateaux où le partage d’expérience se révèle le plus riche possible. Après les avoir observés sur place, en Afrique directement, le Président de la marque Montreux Comedy n’a pas résisté à en inviter quelques uns à venir se produire dans un des galas programmés à Montreux. Il s’agit de bâtir des ponts entre communautés, tout en profitant de l’excellent terrain de jeu que représente la Francophonie dans le monde. « Nous avons autrefois connu ça avec le Canada et le Québec, explique-t-il. Il y a 20 ou 30 ans, nous n’aurions pas compris en Europe l’humour d’artistes tels qu’Anthony Kavanagh ou Rachid Badouri. Or, ils traversent désormais l’Atlantique très régulièrement. Aujourd’hui, je souhaite mener ce même engagement aussi en Afrique, avec la conviction qu’un jour un ou plusieurs artistes du continent auront gagné en notoriété en Europe grâce à l’humour. »

Un formidable révélateur de carrières

Avec huit années de théâtre derrière elle, et quatre autres passées sur les planches de l’humour, Cinzia Cattaneo aura certainement touché à l’ensemble des possibles sur scène, de l’improvisation à la comédie. Désormais, c’est dans un format plus soft, mais aussi plus direct, qu’elle travaille son humour. En convergeant vers le stand-up, cette jeune diplômée de l’Université de Lausanne aura sans doute aussi compris la difficulté grandissante de prendre le public à soi dans des mises en scène trop complexes: la rapidité des mouvements et du texte et l’absurdité risquaient autrefois d’impliquer trop intensément le public dans un trouble peu commode. Mais l’artiste ne s’en est jamais caché; tout se joue dans la nuance, la calibration et la gestion du rythme.

Cinzia a, depuis 2017, pris le temps de la maturation sur scène. Pas à pas, elle s’est imposée à Carouge, Lausanne mais aussi en France et en Belgique. Mais c’est à Montreux, début décembre, qu’elle a pu réellement s’imprégner des grands plateaux, en figurant dans le gala présenté par une autre révélation de 2019, Doully. « Montreux est un passage obligé pour les jeunes, assure Grégoire Furrer. Nous sommes un festival qui donne la place aux jeunes mais qui ne leur donne pas pour autant une place alibi. Chez nous, ils figurent au centre de la grande scène. »

De cette manière, le Président du festival aime présenter Montreux tel un formidable révélateur de carrière, ce qu’il est. Il poursuit d’ailleurs la tenue de son académie de l’humour lancée juste avant la pandémie; “Mon premier Montreux” donne depuis l’édition anniversaire de la 30e, la possibilité à un jeune par soir de monter sur scène en première partie des galas organisés, hors retransmission télévisée. Cette année, neuf nouveaux talents ont a nouveau eu l’opportunité d’un passage de sept minutes devant 1’200 personnes assises en salle. Pour des artistes habitués aux petites scènes, le tremplin est doté de grands ressors.

Parmi les artistes triés sur le volet, le Genevois Bruno Peki avait gagné le droit de son premier Montreux en 2019. Une année plus tard, il était aussitôt invité à se produire dans un des galas de la 31e édition. Annulée pour des raisons sanitaire, cette chance s’est ainsi automatiquement reportée l’année suivante. 2021 était alors, dans ce sens, une année spéciale pour beaucoup.