90 ans après, les Switzers et Stade Lausanne s’affrontent à nouveau

86 ans après leur apparition éphémère en 1931, les Switzers, anciennement Geneva Barbarians, se sont élevés au rang de vice-champions d'Europe des clubs de rugby à 7 à Saint-Pétersbourg. Ils n'ont cédé en finale que face au RC Kuban de Krasnodar, aujourd'hui quadruple tenant du titre. [Archives/Switzers - 2017]

Autre moment d’histoire le 4 juillet dernier lorsque la demi-finale des Swiss Super Seven’s à Lugano impose une rencontre inédite entre Stade Lausanne et les Switzers de Genève, deux clubs devenus historiques dans le microcosme du rugby en Suisse. La précédente et unique rencontre entre ces deux équipes n’avait eu lieu que le 28 novembre 1931, sur la plaine de Vidy à Lausanne, avant une longue traversée du désert. Voici les raisons…

« On parlait de réorganiser un jour une rencontre entre nos deux équipes. Mais le sort a fait qu’il s’est produit naturellement. » Gianni Di Martino, fondateur du club des Switzers, se fige quand il réalise que la demi-finale du tournoi national de rugby à 7 de Lugano jouée cet été, opposant son club à Stade Lausanne, marquait le remake historique d’une confrontation tenue 90 ans auparavant, le samedi 28 novembre 1931 au stade de Vidy, sur les bords du Léman.

Le rugby existait déjà depuis de nombreuses années lorsque les équipes de Stade Lausanne, apparue sur les terrains de rugby une année plus tôt, et son opposant genevois, fraîche nouvelle formation du bout du lac, se retrouvent à faire match. Le ton n’a rien d’historique lorsqu’une dépêche du Journal de Genève du lundi communique le résultat d’une rencontre “assez mal jouée” dans l’ensemble.

Le quinze du Stade possède de très bons éléments mais la compréhension du jeu (…) fait encore défaut et ne s’acquerra que par un patient entraînement. Le quinze de Genève, débutant tout frais émoulu, ignore tout de la tactique pour l’instant; mais, là aussi, il y a de bons joueurs et nous ne serons pas surpris de revoir cette équipe très en forme prochainement. Le match de samedi après-midi fut donc assez mal joué, bien que l’on ait vu quelques belles passes et quelques descentes bien menées. Et comme il arrive toujours lorsque les joueurs sont forts physiquement mais maladroits, il y eut des coups durs. Le terrains était du reste glissant et malcommode. Nous ne doutons pas de l’avenir de ce jeu en Suisse romande où l’on compte en ce moment trois clubs.

Journal de Genève, 30 novembre 1931, p.7

De 1930 à 1933, il n’existait effectivement que trois clubs dans la région romande; à sa naissance, Stade Lausanne jouait le plus souvent son honneur face au club de Neuchâtel, autre éternel pilier du rugby en Suisse. L’apparition d’un nouveau club genevois, quelques années avant la renaissance du RC Genève en 1934, est venue diversifier une (seule) fois – selon le peu de matériel retrouvé en archives – l’opposition, sous forme d’un derby lémanique aux couleurs pastels. Sans plus d’informations disponibles, l’année 1931 marquait alors vraisemblablement l’année de naissance des Geneva Barbarians, dont la seule activité réelle enregistrée selon les dires de la presse locale de l’époque remontait uniquement à cette date du samedi 28 novembre. « Le club a dû vivre une année seulement puisque, selon nos recherches, nous n’en avons plus entendu parler les années suivantes », tranche Gianni Di Martino. Et pourtant, c’est justement cette apparition éphémère et furtive des Geneva Barbarians dans le rugby de l’époque qui justifie son caractère d’Histoire.

La première équipe de Stade Lausanne engagée lors des Swiss Super Seven’s à Lugano a arboré un maillot aux couleurs de l’ancienne équipe des années 1930. Leurs ancêtres étaient alors vêtus de maillots rouge et shorts blancs. © Stade Lausanne Rugby Club

La renaissance des Barbarians 79 ans après

Lorsque les Geneva Barbarians renaissent sous l’impulsion de Gianni Di Martino en 2010, ils ignorent tout, à cet instant, de ce passé oublié. Mais la volonté d’inscrire un rugby nouveau dans la boucle genevoise est parallèlement intact. Le rugby à XV étant bien mieux développé que dans le courant des huit décennies précédentes, ce nouveau club souhaite réaliser un pas décisif en direction d’une variante alors très peu – voire quasiment pas – pratiquée en Suisse. Le rugby à 7, alors joué l’été et en période de compétitions creuse, trouve un essor tout-à-fait nouveau dans le pays. Si bien qu’après une année de tournois préparatoires, en triangulaire face à des clubs amis en Suisse, comme en France voisine, les Geneva Barbarians tentent de représenter fièrement leurs couleurs dans les plus grandes compétitions réputées du continent européen. « En 1931, les Barbarians avaient vu le jour pour réintroduire les Genevois en rugby à XV. 80 ans plus tard, nous reproduisons le même plan de relance, mais pour populariser, cette fois, le rugby à 7. À une différence près, c’est qu’aujourd’hui, nous mettons tout en œuvre pour faire pérenniser les choses. »

Le plan de marche est alors ambitieux. En 2011, les Barbarians sont inscrits au tournoi d’Amsterdam pour la toute première fois. Un an plus tard, ils sont invités au fameux tournoi de Rome, durant lequel ils croiseront la route de l’équipe nationale d’Argentine en phase de poules, puis l’équipe des Pacific Islands – formée par une congrégation de joueurs de plusieurs îles du Pacifique – en finale de Shield. Leur parcours de croissance se poursuivra lors du même tournoi de Rome en 2013. Là aussi, ils affrontent plus fort qu’eux. Ils perdent contre l’Afrique du Sud en qualifications avant de s’incliner humblement contre l’Équipe de France en demi-finales. Leur défaite, malgré un splendide essai, avait d’ailleurs été diffusée en direct sur la deuxième chaîne du service public italien.

« Nous mettons tout en œuvre pour que le rugby à 7 se généralise. L’intensité du jeu fait que l’on doit pouvoir avoir, en Suisse, des joueurs spécialisés pour cette variante »

Gianni Di Martino, fondateur des Geneva Barbarians (Switzers)

« Cette mise en avant à la télévision italienne a été un excellent tremplin de promotion pour le rugby en Suisse, reprend Gianni Di Martino. Nous mettons tout en œuvre pour que le rugby à 7 se généralise, faire que des clubs se créent et se spécialisent pour la pratique. L’intensité du jeu fait que l’on doit pouvoir avoir, en Suisse, des joueurs spécialisés pour cette variante. » Le club a alors pris très tôt ce virage, à contre-courant du reste des formations du pays. « Le passage au 7 représente le futur du rugby en Suisse et, avec mon club, je veux être aux avant-postes. C’est pourquoi, encore maintenant (ndlr, 2021), nous sommes toujours le seul club exclusif de rugby à 7 en Suisse. »

Les Switzers ont croisé à plusieurs reprises la route de l’équipe nationale d’Afrique du Sud de rugby à 7. En 2013, puis 2014, les rencontres ont à chaque fois eu lieu dans le cadre du tournoi de Rome. [Archives/Switzers – 2014]

Un engagement avant-gardiste

Pourtant, le renouveau des Geneva Barbarians, 79 ans après, n’a pas été qu’un simple parcours de santé. Dopés par leur nouvelle médiatisation, le club finit par être secoué par un litige juridique. Bien que marque déposée en Suisse, le terme “Barbarians” entre en concurrence avec d’autres clubs présentant la même marque dans le monde, et particulièrement au Royaume-Uni. Barbarians FC Ltd, propriétaire du titre, exige un rendu d’activité au club genevois et énonce une possible infraction de propriété intellectuelle. La série de négociations menée dès octobre 2013 aboutira finalement au changement de nom définitif des Geneva Barbarians. « C’était l’unique possibilité viable à nos yeux pour maintenir notre indépendance et, avec elle, nos ressources pour faire perdurer le club sur le long-terme et à l’international », explique Gianni Di Martino, alors Président du club.

C’est donc sous le nom des Switzers que le club genevois poursuit sa route, avec succès. En 2014, le club remporte le 40e Neuchâtel Seven’s, la plus vieille compétition encore organisée de nos jours. Plus tard, ils recroiseront encore la route de la France, de l’Italie, de l’Afrique du Sud et du Paraguay aux éditions successives du tournoi de Rome et finiront même par décrocher leur premier titre de champions suisses en 2016. Un titre national qui leur ouvre alors la porte des championnats d’Europe de Saint-Pétersbourg en 2017, où ils ne perdront qu’en finale face à l’équipe locale de Krasnodar.

« Nous sommes la seule équipe de Suisse à avoir vadrouillé dans le monde et à avoir obtenu des résultats prodigieux sur la scène internationale »

Gianni Di Martino, fondateur des Geneva Switzers

Il faut dire que, depuis 2018, les Switzers sont devenus une référence dans le macrocosme européen du rugby à 7; finalistes, en 2018, du tournoi relevé organisé en l’honneur des cent ans de la Royal Air Force à Oxford, l’équipe du bas Genève est aussi devenue la toute première équipe de Suisse à remporter un tournoi majeur en Asie. En 2019, après une série de demi-finales jouées entre Venise et Bruxelles, elle remporte le prestigieux tournoi de Bangkok, en Thaïlande, en déboutant notamment hors de la compétition les Chiefs, une équipe de joueurs professionnels venue droit de Hamilton en Nouvelle-Zélande. Un titre qui reste, à ce jour, le plus grand sésame conquis par une équipe suisse en dehors du territoire national. « Nous sommes la seule équipe de Suisse à avoir vadrouillé dans le monde et à avoir obtenu des résultats prodigieux sur la scène internationale, salue Gianni Di Martino. Nous avons joué contre des équipes nationales que même l’Équipe nationale suisse n’a jamais rencontrées. Sans nous ménager, nous avons probablement ouvert la voie à de nouvelles perspectives en dix ans. »

Les Switzers invaincus en 2021

Cette saison, le club de Vessy – cet entre-terres genevois sis dans le domaine du Bout-du-Monde et éloigné des rangées de maisons décaties de l’ancienne époque – a, à nouveau, écrit une page de son histoire. Il s’est d’abord adjugé, début juin, le tournoi de Rovigo en dominant à deux reprises l’Italie sur ses terres, puis l’Allemagne en quart de finale, avant de remporter, deux semaines plus tard, les Swiss Super Seven’s à Lugano, comptant pour les championnats suisses de rugby à 7. Ce deuxième titre national conquis après 2016 les a ainsi qualifiés pour les championnats d’Europe des clubs de Saint-Pétersbourg qui regroupent les douze meilleures équipes du continent. Le club genevois visera immanquablement le titre après y avoir échoué de trop peu en finale il y a quatre ans.

Parmi les rencontres mémorables, les Switzers ont affronté l’équipe de l’Armée du Pays de Galles à Rome en 2014. On aperçoit, dans le camps des Genevois, l’actuel entraîneur et coach national Simon Berruyer (à gauche), ainsi que le frais vingtenaire Sylvain Hirsch (en arrière-plan). [Archives/Switzers – 2014]

Une nouvelle campagne de promotion après les JO ?

Discipline olympique depuis les Jeux Olympiques de Rio de Janeiro en 2016, le rugby à 7 bénéficie, depuis lors, d’une popularité nouvelle dans le monde du ballon ovale. Beaucoup voient dans la pratique de cette variante plus athlétique le futur du rugby dans le monde. Gianni Di Martino avait pris un peu d’avance sur le développement de cette discipline en Suisse; la création de son club avait été décidée quelques semaines seulement après le vote historique du Comité international olympique en octobre 2009 à Copenhague. « Les JO représentent toujours une bonne occasion de mettre en avant le rugby à 7 en Suisse. On peut miser sur le fait que cette pratique sera de plus en plus médiatisée à l’avenir, plus que le rugby à XV. » Un changement de nom et quelques années d’expérience plus tard, les Switzers semblent avoir définitivement pris racine dans le terre-plein helvétique.

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Depuis 2014, le club genevois s’engage pour un double développement du rugby en Suisse. Au-delà de la pratique à 7, il a également monté une équipe féminine engagée, depuis la rentrée 2020, en Ligue Nationale A de rugby à XV. Un centre de formation inhérent au club a également vu le jour grâce au soutien des autorités de la ville et de l’État de Genève. « Avant, nous ne nous présentions uniquement dans des tournois en été. Maintenant, nous avons une structure qui nous permet de nous entraîner toute l’année, de mars à décembre », défend Gianni Di Martino.

« Nous avons depuis peu une structure qui nous permet de nous entraîner toute l’année, de mars à décembre »

Gianni Di Martino, fondateur des Geneva Switzers

Mais, au-delà de tout, c’est la défense des titres conquis à Bangkok et Rovigo et la conquête d’un titre européen à Saint-Pétersbourg qui anime les responsables du club et l’entraîneur Simon Berruyer, en poste depuis bientôt six ans. Leur équipe première est composée, pour la grande majorité, de joueurs licenciés au club. Mais elle adresse également des invitations à des spécialistes du XV; les individualités plus athlétiques et plus techniques de Suisse ou de France voisine sont venues, ces dernières années, leur prêter main forte. « Simon est aussi l’entraîneur national de rugby à 7. Il a toujours fait savoir que tous les joueurs intéressés à rejoindre les Switzers pour les tournois les plus relevés étaient les bienvenus. » En ce sens, Gianni Di Martino prône un échange régulier entre clubs pour favoriser le développement du rugby à 7 en Suisse. Les Switzers étant, pour l’heure, la seule véritable structure dédiée à la variante olympique, c’est vers elle qu’a convergé toute l’attention ces dernières années. Cette évolution les pousse également, désormais, à miser sur la formation de plus jeunes individualités; une équipe U18 devrait bientôt naître de l’effervescence provoquée à la fois par la perspective d’un titre européen en septembre que par la médiatisation portée par les JO de Tokyo.