Loïc Gasch en élévation post-olympique

Loïc Gasch a quitté le sautoir d'Hayward Field abattu. Une gêne à la cheville l'a contraint à l'élimination en qualifications des Mondiaux. © Athletix.ch / Ulf Schiller [Eugene]

Loïc Gasch, un jeune homme né il y a 26 ans sur le balcon du Jura, à Sainte-Croix, détient depuis mai 2021, la meilleure marque de l’histoire de la Suisse en saut en hauteur. En effaçant une barre à 2,33 mètres, s’est assuré une présence quasi-certaine à toutes les plus grandes compétitions de ces deux prochaines années. Encore passablement inconnu au printemps 2020, ce gaillard de 191cm partage certainement, aujourd’hui, le statut de révélation de l’année avec le champion suisse du décathlon Simon Ehammer.

Loïc Gasch éliminé en qualifications aux Mondiaux d’Eugene

Mise à jour réalisée depuis Eugene, Oregon (USA)

Le natif de Sainte-Croix a manqué son affaire lors des qualifications du saut en hauteur à Eugene. Gêné par une cheville douloureuse, qui lui provoque également des tensions dans la hanche, le Suisse a passé l’entier du concours à prendre ses marques, en vain. « C’était difficile de trouver du rythme. Quand on n’est pas à 100% physiquement, cela se ressent immédiatement », explique-t-il.

« D’habitude, je recule mes marques de trois pas quand je me sens bien. Ici, j’ai dû les avancer de trois. Je n’arrivais pas à courir et la course d’élan était brouillonne. Je n’avais plus de repères, j’étais perdu. » Avec un élan réduit, Loïc a échoué à moins une reprise à toutes les barres qu’il a sautées. La première à 2,17 mètres, une hauteur nettement à sa portée, avait fourni un premier signal d’alerte. « C’est dur mentalement quand on doute de son corps, poursuit-il. Et avec la pression des grands concours, rien n’a marché comme je le souhaitais. » La douleur, déjà présente de manière bénigne lors des derniers championnats suisse à Zürich, s’est réveillée durant le camp de préparation en Oregon. Avec une incertitude désormais: « J’espère que le temps de récupération sera maintenant suffisant pour les Championnats d’Europe de Münich dans un mois. »

  • «S’il y a frustration, c’est aussi qu’il y a confiance en soi»

    Contacté, l’entraîneur de Loïc Gasch Soidri Bastoini a donné quelques clef de lecture de son élimination prématurée vendredi matin. « S’il y a frustration, c’est qu’il y a aussi une grande confiance en soi. Loïc sait qu’il devra encore plus se donner les moyens pour arriver en pleine forme pour les prochaines échéances à Budapest en 2023 et Paris en 2024. Il connait le niveau des autres et il n’a vraiment plus à être impressionné. Ces conditions, il doit les travailler même s’il les gère déjà très bien. »

Sa mèche flottait au vent, comme un signe de sérénité dans un virage peu grondant. Dans l’écho, quelques applaudissement nourris viennent tout de même marquer l’importance de l’instant; l’enjeu du moment tient en une mesure quasi arithmétique, 2m33. En franchissant cette barre en saut en hauteur, le 8 mai 2021, Loïc Gasch est définitivement entré dans une nouvelle dimension. Celle d’un athlète prisé au niveau international et celle d’un recordman de Suisse. L’exploit, en soi, n’avait rien de surprenant tant le jeune homme le préparait depuis plus d’une année. La performance était même presque attendue mais, de ses propres mots, « il aurait été trop prétentieux de l’annoncer plus tôt. » D’autant plus que le Vaudois lançait à peine sa nouvelle saison; en un meeting d’ouverture, il a fait le grand ménage de ses objectifs personnels. En plus de record de Suisse qu’il reprend à Roland Dalhäuser après presque quarante ans de résistance insolente (effacés les 2,31 mètres du 7 juin 1981), Loïc s’est même adjugé un temps la meilleure performance mondiale de l’année, le menant droit vers les Jeux olympiques de Tokyo, ses premiers.

Dans ce contexte, il a préféré garder le pli de l’humilité – une caractéristique, d’ailleurs, qui le suit depuis toujours – et est brièvement entré dans une période de réflexion où les craintes d’une fois n’adressent plus la parole aux ambitions du jour. De ces temps, où il avait pensé tout envoyer valser, l’athlétisme et tout le reste, le jeune homme de 27 ans en a tiré une leçon. Il sait désormais que rester solide sur sa jambe d’appui, et garder les pieds sur terre, évite à coup presque sûr toute mauvaise chute. Sa notoriété soudaine, il la doit à des années de travail intense, de choix audacieux mais aussi d’un amour inconditionné à son sport. Être convaincu par ce que l’on fait est un premier pas vers l’accomplissement car dans le monde du haut niveau, explique-t-il, l’on n’est jamais à l’abri de rien.

Autrefois, freiné par les blessures

En carrière, il compte à peu près autant de titres de champion suisse que de blessures, onze. Un temps redoutablement freiné par des blessures à répétition, véritables sapes de moral, il a pris un long et franc moment de remise en question. Mais là aussi, c’est le destin d’un sportif d’élite que de soupeser le moindre risque à chaque entraînement et chaque compétition. « J’ai rarement deux fois la même blessure (ndlr, pieds, chevilles, genoux, hanches, dos) donc on ne peut pas dire que je fais quelque chose de faux, explique-t-il. Certes, on joue souvent avec la limite mais c’est aussi la condition pour évoluer au meilleur niveau. Puis, je fais une discipline qui est tout de même agressive pour les articulations. »

De fait, l’épreuve du saut en hauteur, contrairement aux disciplines de course, se révèle plus délicate pour les articulations que pour les muscles. « Le moment de l’appel est, de ce point de vue, particulièrement critique ». Pour l’illustrer, l’ancienne championne du monde en 2007 et 2009 Blanka Vlašić avait payé un lourd tribut en fin de carrière, forcée à la retraite à l’âge de 37 ans pour des blessures à répétition, dont une particulièrement récalcitrante au tendon d’Achille. « J’ai essayé de soigner ma blessure des années durant, espérant être en mesure de revenir face à la barre », écrivait la Croate dans une lettre ouverte en février dernier, tout en annonçant jeter l’éponge, épuisée par des années émaillées « d‘innombrables traitements de réhabilitation et de déception. »

« Je fais une discipline qui est tout de même agressive pour les articulations »

Loïc Gasch, recordman de Suisse du saut en hauteur

Face à ce risque, Loïc Gasch n’est pas pour autant complètement vulnérable. Son mode de vie et son entourage jouent, ensemble, un rôle de garde-fous efficace. Versé à l’étude de la biomécanique, l’analyse et la construction de la performance, l’alimentation, la récupération, les soins et, partant, la rééducation, il amenuise au mieux et de manière préventive les cassures. Sauf quand le coronavirus vient à nouveau s’en mêler. Infecté en 2020, il avait dû observer six semaines d’arrêt suite à des complications à un poumon, au foie et aux muscles.

Loïc Gasch est désormais un athlète pleinement professionnel, lui qui vient de passer presque coup sur coup, à la distance d’une saison, les deux barres apothéoses de l’athlétisme suisse et mondial. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

Agir sur son mental

Si ce grand gaillard de 191cm accepte sa condition, il ne résigne pas pour autant. Malgré ses “seules” dix années de carrière actives, rien n’a jamais empêché le natif de Sainte-Croix de travailler ses ambitions et vivre ses rêves. Il est dès 2022, un athlète pleinement professionnel avec un potentiel d’une grande profondeur.

En dehors des séances de musculation et ses entraînement à l’US Yverdonnoise, Loïc Gasch travaille depuis quelques mois, comme tout grand athlète, avec un coach mental. Cela n’a pas seulement trait à la rigueur de la compétition mais, au contraire, l’aide aussi à surmonter les situations extérieures au sautoir. Après avoir perdu tous ses sponsors il y a un peu plus d’une année à cause de ses multiples blessures, il lui a fallu quelques temps pour retrouver un niveau digne de son talent. Et si aujourd’hui il se réjouit de recevoir de nouvelles propositions, c’est aussi grâce à un travail de fond mené en dehors des pistes. « Je suis arrivé à la constatation que je ne suis plus le petit Suisse mais que j’ai des atouts à faire valoir sur les sautoirs internationaux », avouait-il quelques mois plus tôt. Les meilleurs sauteurs du circuit, à l’aune des champions olympiques l’Italien Gianmarco Tamberi et le Qatari Mutaz Barshim, regardent d’un œil avisé la progression du jeune prodige (lire en encadré plus bas).

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Sa force, il la tient peut-être dans son caractère; bosseur né et pragmatique fou. En pleine pandémie, il fait partie de ceux qui n’ont pas été péniblement affectés par l’arrêt des compétitions. Suite à l’annulation des championnats d’Europe de Paris en 2020, il avait certes tiré la moue quelques jours. Mais par pur esprit de revanche; son regard s’est rapidement porté sur les Jeux olympiques, puis sur les deux éditions des championnats du monde organisés à Belgrade, puis Eugene en 2022. En soi, même quand il est un peu froissé par les événements, il ne perd jamais son sourire bien longtemps. « J’ai un avantage par rapport à d’autres, explique-t-il. J’aime mon sport et les entraînements me procurent beaucoup de plaisir. Le confinement nous a ôté toute possibilité de compétition mais il ne m’a personnellement pas enlevé le droit de m’entraîner. Cette capacité à m’épanouir même sans possibilité de confrontation sur les sautoirs de Suisse ou à l’étranger est sans doute un des piliers de ma progression ces douze derniers mois. »

« J’ai un avantage par rapport aux autres: j’aime mon sport et les entraînements me procurent beaucoup de plaisir »

Loïc Gasch, qualifié pour les Jeux olympiques en saut en hauteur

De plus, Loïc Gasch est un habitué des très longues préparations, physiques et mentales. « Je n’ai aucun problème à consacrer trois ou quatre mois de mon temps pour me préparer à la compétition sans ne jamais m’aligner dans les meetings. Ce n’est, je pense, pas le cas de tout le monde. Et là où nous avons été forts, c’est que nous avons trouvé les solutions pour être compétitifs dès les premiers meetings d’ouverture après le confinement. » Ceci sans compter que le report des JO s’est révélé, pour lui, une aubaine. Avec une année supplémentaire de préparation, il a pu tisser son chemin vers Tokyo avec plus de sérénité et sensiblement moins de pression. « Je savais que faire les 2,33m en 2020, ça aurait été compliqué. »

Loïc Gasch doit désormais assumer son rang d’athlète de premier plan, il a eu une première occasion lors des JO de Tokyo cet été. Il en aura bien sûr d’autres en 2022. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

Retour en promenade passagère

Avec une qualification olympique acquise très tôt dans sa saison, le jeune Vaudois a pu envisager le reste de sa préparation avec une légèreté soudaine, la même qu’il trimbale désormais jusqu’au terme de la saison. « Les 2,33m étant arrivés plus vite qu’espéré, nous avons cassé la dynamique de compétitions qui était prévue pour l’été. Le but était de retourner progressivement au contact de la concurrence et s’y repositionner. » Il l’a fait à Tokyo, avec quelques regrets sur le résultat – éliminé en qualifications. Il a remis l’ouvrage sur le métier à Belgrade en mars 2022 avec, à la clef et en récompense de ses efforts, le gain du titre de vice-champion du monde indoor.

Cette organisation minutieuse et sa récente percée parmi l’élite de sa discipline, l’athlète la peaufine au cas par cas avec son entourage et ses entraîneurs. Par ailleurs, dans ce cercle restreint, Loïc Gasch a connu une période de grands changements au début de l’été 2020, un tournant décisif. Son cadre d’entraîneurs fut le premier à connaître des modifications; aujourd’hui, le jeune athlète le juge plutôt stable. La structure comprend Soidri Bastoini comme entraîneur principal, secondé par Dominique Hernandez, Silvan Keller et Steeve Louissaint.

« J’ai toujours trouvé la force de m’éloigner des environnements dans lesquels je ne me sentais pas bien. Je sais me remettre en question »

Loïc Gasch, recordman de Suisse du saut en hauteur

Tous ont une parfaite connaissance de la discipline et du sport de haut niveau. Bastoini est l’actuel entraîneur national pour les disciplines de sauts horizontaux, soit le saut en longueur et triple saut, tandis que Keller est l’entraîneur en chef des disciplines techniques auprès de Swiss Athletics. Hernandez a autrefois été quintuple champion de France de saut en hauteur entre 1984 et 1989 et Louissaint est un ancien basketteur suisse de 34 ans reconverti en préparateur physique à Malley.  « Les résultats actuels sont la preuve que je suis entouré des bonnes personnes, tranche Loïc. Mes changements d’entraîneurs, au prix d’une stabilité à reconstruire, ont malgré tout payé. J’ai toujours trouvé la force de m’éloigner des environnements dans lesquels je ne me sentais pas bien. Je sais me remettre en question quand il le faut. » Preuve par les faits: en trois ans seulement, le jeune homme a gagné dix centimètres sur la barre, juste ce qu’il fallait pour se faire valoir dans le giron de l’athlétisme international.

Pas spectateur mais acteur

Ceci dit, les performances du jeune homme ont beau être parfaitement proprettes, il n’y a pour l’heure ni mort ni vainqueur dans la bataille des meilleurs. Bien qu’ayant détenu, un court temps dans le courant du mois de mai, la meilleure marque de la saison sur le plan mondial, Loïc Gasch n’accorde plus un grand crédit à cette distinction. « J’ai eu la meilleure perf’ mondiale. Je l’ai déjà eue l’année passée et j’ai appris à composer avec ce genre de pression. C’est une distinction éphémère et qui ne dit pas grand-chose sur l’état actuel des athlètes. Ceci dit, cela me motive à monter plus haut et à rivaliser avec les autres. Je n’ai pas à avoir peur de mes adversaires; je sais que je peux surmonter la concurrence de haut niveau », lâche-t-il. En somme, Gasch doit désormais assumer son rang d’athlète de premier plan. Il a eu une occasion supplémentaire à Eugene.

Gianmarco Tamberi:
«Les résultats de Loïc valent autant que les miens»

Champion olympique lors des derniers Jeux olympiques de Tokyo, Gianmarco Tamberi partage une amitié certaine et une admiration sans commune mesure pour Loïc Gasch. Les deux athlètes prennent souvent le temps d’échanger sur leurs propres situations lorsqu’ils se retrouvent dans le même hôtel. « Ce garçon a réussi une très grande performance en 2021, en passant une barre à 2,33m alors même qu’il avait encore un métier à côté, raconte l’Italien de 30 ans. Ses résultats valent autant que les miens, pas dans la mesure mais dans la grandeur de ce qu’il a accompli jusqu’à présent. Je connais les difficultés d’un athlète qui ne peut pas se consacrer entièrement à son sport. Je le respecte beaucoup pour ce qu’il a fait ces dernières années et pour ce qu’il continue à faire aujourd’hui. »

Faut-il encore préciser que, similairement au monde du saut à la perche, celui du saut en hauteur a pour convergence que l’ensemble des adversaires en lice restent avant tout une grande bande de copains. La pratique d’une discipline dangereuse pour les corps et les articulations renforce cet attachement amical chez les adversaires entre eux. Et peu dérogent réellement à la règle; à Tokyo, le partage du titre olympique entre l’Italien Tamberi et le Qatari Mutaz Essa Barshim a matérialisé cette relation spéciale qui s’est installée ces dernières années entre les athlètes du saut. « Nous formons tous un beau groupe », détaille alors le natif de Civitanova, ville arrêtée entre Ancône et Pescare sur la rive adriatique.

« Avec Mutaz, nous sommes de grands amis qui se connaissent depuis dix ans. Nous nous sommes beaucoup vus en dehors de la piste, ce qui peut-être diffère un peu de la relation que j’ai avec les autres sauteurs du circuit. J’ai assisté à son mariage, nous nous sommes vus ce printemps à Doha et nous nous écrivons et entendons régulièrement. Cela est d’autant plus fort quand on a l’opportunité de partager une médaille d’or olympique avec son plus grand ami. Plus que la médaille, nous avons partagé un rêve que ni l’un, ni l’autre n’osait prononcer étant petits. »

Photo: Oreste Di Cristino / leMultimedia.info [Lausanne]