Sous la circuiterie chaude d’Etienne Machine

Arno Cuendet lance à la guitare “Indian Summer” sur la scène de Festi'neuch présente le Phare, à Neuchâtel. Il s'agit du premier concert open air après plusieurs mois de césure pour le groupe lausannois Etienne Machine. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Neuchâtel]

Le groupe Etienne Machine a sorti, le 26 mars dernier, son premier album “Off & Off” qui dévoile les contours d’une musique aussi éclectique que décoiffante. Sur une base electronica, les six artistes qui le composent ont progressivement ajouté des instruments lourds et massifs, versant ainsi dans un style hybride au croisement du rock, du trip-hop et de l’électro. Ce six-titres, enregistré au studio de la Fonderie à Fribourg, et en prises directes, dévoile ainsi l’histoire d’un groupe lié par l’amitié mais aussi par des connexions musicales et artistiques évidentes.

Cela fait quelques années que ce groupe de cinq ou six amis a commencé à dessiner le contour d’un univers musical nouveau. Arno Cuendet, Thibaut Besuchet, Maic Antoine, Mathieu Nuzzo et Justine Tornay ont récemment sorti un micro-album six-titres, “Off & Off” issu de plusieurs mois de travail en collaboration avec le label Blizzard Audio Club. Actuellement, ils sont cinq car le dernier, Julien Palluel, poursuit ses études aux Pays-Bas. Mais tous cosignent cet opus qui, sans le vouloir vraiment, inscrit dans le marbre une identité artistique tout à fait hétéroclite. Cette sortie découpe au hachoir tout style traditionnel et présente sur plateau d’argent un panaché d’art-rock, de musique électronique et de trip-hop.

Le mélange, en tout cas, est bien savant. Il est issu d’une production intensive qui a vu naître un répertoire de musiques assez ample. Pour cet album, le groupe a créé plusieurs titres dont certains dorment encore dans les tiroirs. Il a ensuite sélectionné ceux qu’il jugeait plus aboutis – les autres seront retravaillés sous un arrangement miracle encore à définir. Autrement dit, l’on ne trouvera pas de joyau brut dans ce petit recueil, seulement des morceaux travaillés, réfléchis et approuvés par le groupe: ce qui représente une marque certaine de qualité. Ce faisant, il s’évite de dévoiler trop tôt une création qui n’aurait pas passé le stade de la maturité. « Ce choix est une guerre constante, à chaque fois qu’on sort un morceau, on sait qu’on aura jamais le recul nécessaire pour savoir s’il nous convient à 100%, explique Arno. Je pense que nous avons cherché une parade pour éviter de sortir un titre trop tôt mais nous ne sommes pas pour autant vaccinés du problème, qui existera toujours. »

« Nous sommes des partenaires d’études avec des connexions musicales évidentes »

Arno Cuendet, cofondateur d’Etienne Machine

Quoi qu’il en soit, l’ensemble du projet repose sur les talents de personnes de confiance. Sur les six titres, cinq ont été mixés par le même ingénieur-son, Alexis Sudan, qui les suit aussi lors de concerts. Le dernier titre a été mixé par Thomas Gloor qui est l’associé d’Alexis en studio: « Ce sont des gens qui nous connaissent bien parce qu’ils nous ont accompagnés en live ou en studio, explique Arno. Ce sont des gens qui ont aussi leur mot à dire sur les titres. Nous nous faisons confiance, les yeux fermés. »

Justine Tornay, la voix hypnotique d’Etienne Machine. Elle est à l’image des compositions du groupe, mêlant une électro pralinée et un rock endiablé. Quelles autres facettes la jeune femme est-elle encore en mesure de nous présenter sur scène? © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Neuchâtel]

À la base, une compilation de plusieurs EPs

Off & Off” n’est que la première sortie physique du groupe. Celui-ci n’existe, d’ailleurs, sous sa composition actuelle, que depuis trois ans et demi. Formé, au début, par Arno, le batteur Thibaut et le claviériste Julien, le groupe a petit à petit pris forme avec l’âge. Le trio de base s’est rencontré en classes préparatoires. Puis, une fois entrés à la Haute École de Musique de Lausanne, ils ont fait la connaissance de Maic, Mathieu, puis Justine. « Nous sommes, en réalité, des partenaires d’études qui avons des connexions musicales évidentes », relève Arno. Tous suivent une formation pour devenir musiciens professionnels. Reliés par une amitié forte et sincère, ces Lausannois sont des touche-à-tout: musiciens, producteurs, paroliers, remixeurs mais aussi fondateurs du collectif “La Machinerie”.

Le groupe avait sorti un premier EP en 2018, doté de musiques aux voix éparses et variées. « Il était issu de nos influences trip-hop du moment, avec des productions à la Massive Attack », explique toujours Arno. « Cette période n’est pas révolue, le style a simplement évolué. Nous avons pris le chemin inverse; de l’électronique pure, nous avons glissé vers un rock d’avant-garde. » Preuve matérielle avec la sortie d’un second EP en juin dernier, nominé dans la catégorie rock du M4Music 2020. L’apparition de guitares saturées et des batteries massives, couplées aux synthétiseurs et aux séquenceurs, révèle toujours plus le genre. Elle donne naissance à un tout hybride et qui ne souffre d’aucun manque de cohésion: « Ce sont toujours les mêmes musiciens et la même production. »

« Plus l’on avance dans le temps et plus nous sommes concis dans nos têtes. Le label contribue aussi au cadrage »

Arno Cuendet, guitariste et claviériste d’Etienne Machine

C’est au même moment, à l’été dernier, que le groupe signe un contrat avec le label de production Blizzard Audio Club et rompt avec les formats courts. Après deux EPs, Etienne Machine a pris le pas de travailler sur un album sensiblement plus complet; d’un deux-titres, ils sont, en réalité, passé à six. Et celui-ci est sorti le 26 mars dernier. « Notre volonté initiale était de sortir une succession d’EPs sur une période relativement longue. Mais la pandémie nous a amenés à rassembler l’ensemble de nos sorties programmées en un seul vinyle, soutient le jeune meneur du groupe. On appelle cette sortie “album” parce qu’il dure 30 minutes mais, en réalité, il ne s’agit que d’une étape intermédiaire dans notre progression, entre nos EPs déjà existants et un album plus long à paraître bientôt. » Loin d’être une barrière, cette nouvelle organisation force les cinq artistes à plus de pragmatisme, ce qui, par expérience, finit par renforcer l’identité. « Plus on travaille, plus nos morceaux sont courts. Plus l’on avance et plus nous sommes concis dans nos idées. On aura bientôt tous 25 ans, et on a commencé à engranger de l’expérience. Et le label aide aussi au cadrage. »

Composition à coups de bobines chaudes

Dans le processus de composition, l’ordinateur est aussi peu présent; le groupe aime davantage l’analogique que le numérique. « Nous travaillons avec des machines ou copies de vieilles machines, de la circuiterie, des bobines chaudes. C’est une beauté que l’on retrouve dans cette électronique », lâche Arno.

Ce retrait vis-à-vis de l’électronique pure se remarquera aussi sur scène. Gravés sur disque, tous les titres ne nécessitent (presque) plus aucune adaptation lors de concerts. Sur les planches, quand ils les foulent, c’est une reprise fidèle de la version studio que l’on découvre: avec sensiblement peu de retouches. Le vrai défi advient lorsque le groupe ne se produit pas au complet; en formation réduite, Etienne Machine doit, là, redoubler d’ingéniosité. « Ces situations nous donnent pas mal de fils à retordre. Retomber dans du semi-acoustique avec des boîtes à rythme, des synthétiseurs, les guitares et les voix est un travail sérieux auquel nous sommes sensibilisés. Il nous faut vraiment repenser toute la structure des morceaux mais l’exercice est très intéressant. »

« L’identité visuelle est très importante de nos jours. On ne peut pas nier son impact, tant sur les pochettes que lors de concerts »

Arno Cuendet, sur le travail d’illustration de Stéphane Nappez

De plus, par-delà la dimension musicale, le groupe soigne également son image de marque et son identité visuelle. La mécanique se dérobe, sur les clips, mais aussi sur les visuels de scène, pour permettre l’alliance contre-nature des vieilles machines avec la création dynamique et moderne d’images d’illustration savamment orchestrées. C’est le dessinateur et écrivain Stéphane Nappez qui s’est chargé de les réaliser, donnant vie à des animations cousues-main qui habillent désormais pleinement les musiques du quintet. « Ces créations relèvent quasiment du court-métrage, toque Arno. L’identité visuelle est très importante de nos jours. On ne peut pas nier son impact, tant sur les pochettes que lors de concerts. »

Résidences et collaborations multiples

En termes de concerts, de toute évidence, subsiste le calme plat; pandémie oblige. Leur unique date du 30 avril à L’Amalgame, à Yverdon-les-Bains, avait sans surprise été reportée à une date encore à définir. Pourtant, malgré l’absence de public, le groupe a néanmoins tenu un récital dans la salle. « Nous avons beaucoup de vidéos enregistrées dans les conditions du live sur la scène de L’Amalgame qui sortiront bientôt », détaille Arno. Une manière habile de contourner l’arrêt des représentations. De plus, avec une petite trentaine de concerts à leur actif – dont une mémorable à la Case à Chocs, à Neuchâtel –, le groupe souhaitait avant tout se consacrer sur la sortie programmée de leur disque. « 2020 n’aurait de toute évidence pas été l’année la plus riche en concerts pour nous. On ne fait pas énormément de scène quand on n’a pas de disque à présenter. »

Sans compter que les cinq membres du groupe bénéficient d’un réseau de collaborations très étendu. Arno Cuendet a, par exemple, signé une résidence avec Aliose dans leur propre chalet, et une seconde aux Docks de Lausanne. Guitariste et claviériste pour le duo, il contribue aussi avec le groupe Monuments.

D’autres collaborations de qualité existent encore au sein du groupe d’amis; le bassiste Maic avec le rappeur suisse Stress, Mathieu, claviériste, avec la chanteuse pop lausannoise Mané ou encore Thibault, batteur, avec le champion de half-pipe et musicien valaisan Pat Burgener. « Nous travaillons tous dans des projets différents en tant que purs performeurs », souligne Arno.