La championne du monde du semi-marathon, Ruth Chepngetich a remporté le semi-marathon d’Istanbul le 4 avril dernier, établissant également le nouveau record du monde de la discipline. C’est la première fois qu’un semi-marathon a vu trois femmes terminer sous le seuil des 65 minutes ; l’épreuve la plus rapide de tous les temps, en pleine période de Covid-19. La veille, dans la commune de Belp près de Berne, la fondeuse du TG Hütten Fabienne Schlumpf avait, de son côté, également battu le record de Suisse du marathon pour sa première compétition officielle sur la distance. De quoi laisser penser que la pandémie n’a pas eu que des effets négatifs sur la forme et le mental des athlètes (féminines) de longues distances.
Dix-huit mois plus tard, elle est toujours parmi les favorites sur les épreuves de longues distances. Malgré le manque de compétition en conditions réelles, à cause de la situation sanitaire dégradée depuis plus d’une année, la jeune femme maîtrise toujours aussi souverainement les épreuves de fond. Ruth Chepngetich, à tout juste 26 ans, a battu sous le vent tamisé d’un week-end pascal à Istanbul, le record du monde du semi-marathon en 1h04’02, un an et demi presque jour pour jour après avoir décroché la médaille d’or au marathon des championnats du monde de Doha fin septembre 2019. Cet exploit – et cette constance – n’est pas négligeable dans la mesure où la Kényane est seulement la deuxième femme dans l’histoire à aligner pareilles distinctions en carrière. La fondeuse norvégienne Grete Waitz la précède dans ce palmarès sensiblement sélectif.
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Pourtant, Ruth ne semble pas, au premier abord, être l’athlète la mieux taillée pour pareille performance. Entraînée pendant quelques mois par Samuel Cheruiyot Bii puis par elle-même, elle a commencé les compétitions relevées sur les longues distances assez tard, du moins en dehors de son pays. Sa première hors-sol eut lieu au semi-marathon de Rabat en 2016, où elle a couru les 21,1km de course en 1h11’33. Les six minutes qui la séparaient alors du record mondial, elle les a avalées à force de détermination. La jeune femme n’a d’ailleurs jamais cessé de voyager au sein même de son pays. Grandie dans la vallée du Rift, à Kericho, où elle s’est éprise de l’athlétisme à l’école primaire, elle a d’abord rejoint un groupe d’athlètes basé à Chepseon, à 40 kilomètres de sa ville natale, avant de s’établir plus au sud, à Ngong, dans le comté de Kajiado qui confine avec la capitale Nairobi. C’est par là que la jeune femme a poursuivi ses efforts à l’entraînement – 170 kilomètres de course hebdomadaires –, parfois en compagnie de confrères masculins sur les hauts plateaux du comté, à près de 2’000 mètres d’altitude. C’est aussi la raison pour laquelle elle n’est entraînée que par elle-même : « Tant que j’ai des partenaires masculins qui m’annoncent le rythme à chaque entraînement, je sais rester sur les bons rails », affirmait-elle dans une interview au quotidien africain The Nation.
« Tant que j’ai des partenaires masculins qui m’annoncent le rythme à chaque entraînement, je sais rester sur les bons rails »
Ruth Chepngetich (KEN)
championne du monde du marathon et recordwoman du monde du semin-marathon
Dans cette partie du monde, traversée par l’Équateur, les épreuves d’endurance sont certainement les plus valorisées et les plus pratiquées. C’est aussi là où les conditions sont les meilleures pour suivre la délicate ligne de crête qu’impose une préparation rigoureuse au plus haut niveau, d’autant plus en temps de pandémie. Celle-ci semble, de plus, avoir exacerbé le potentiel auprès de nombreuses athlètes peu impactées par un confinement forcé en Afrique sub-saharienne. Malgré le manque manifeste de compétitions, toutes semblent avoir maintenu un rythme de progression régulier.

Le Kenya en puissance dominante
Au-delà de Ruth Chepngetich, la délégation kényane dispose d’atouts presque intouchables sur le plan tactique. Dans ses plis, le pays compte au moins son Buur et son Neil. Entre les deux, figure à coup sûr l’actuelle championne du monde du semi-marathon. Peres Jepchirchir allie, à 27 ans, condition physique et forte détermination. En octobre dernier, elle domina la concurrence lors des Mondiaux de Gdynia en Pologne, son deuxième grand titre au niveau international. Élégante et svelte, elle a aussi un esprit de collégialité bien développé. Lors de son dernier titre sur les rives de la Baie de Gdansk, elle avait avant tout dédié sa victoire à l’ensemble de ses semblables kényans.
Jepchirchir a couru son tout premier marathon sur les hauts plateaux de son pays au début de l’année 2014. À cet instant, peu étaient parvenus à saisir son grand potentiel sur les épreuves de longue distance. Tout comme Ruth Chepngetich, elle a grandi dans les quartiers de Kericho dans une famille composée d’agriculteurs. Lancée dans la course à pied lors de l’école primaire, elle avait, au tout début, suivi les conseils de son entraîneur Gabriela Nicola, juste avant que celle-ci ne finisse par rejoindre son Italie natale. Dès 2016, elle prit alors le pas de continuer à s’entraîner seule. Suivant sa propre route, elle parviendra d’abord à décrocher son premier titre aux championnats du monde de semi-marathon à Cardiff, puis à établir le record du monde de la discipline un an plus tard à Ras Al Khaimah alors qu’elle était déjà enceinte de sa fille Natalia.
Il lui faudra quelques années avant de la revoir sur le devant de la scène, tant sur les 21,1km que sur la distance complète du marathon. Sa forme complète, celle qui l’avait propulsée sur le podium mondial à Cardiff, elle l’a pleinement retrouvée en 2020, alors que la pandémie avait considérablement affecté nombre de ses partenaires de course. À Gdynia, elle est finalement entrée dans le cercle très fermé des athlètes féminines à avoir remporté au moins deux titres mondiaux sur la distance du semi-marathon. La Britannique Paula Radcliffe et les Kényanes Tegla Loroupe et Lornah Kiplagat l’avaient autrefois précédée.
À ses côtés, Brigid Kosgei appartient aussi au groupe d’athlètes qui comptent dans son sillage. La jeune femme de 27 ans est, à ce jour, la détentrice du record du monde féminin du marathon. Avant sa performance au marathon de Chicago le 13 octobre 2019, cette marque semblait être totalement tombée dans l’oubli. La précédente, celle de Paula Radcliffe, tenait depuis 2003.
Brigid n’a, pour sa part, pas eu un début de carrière similaire à celle de ses consœurs. Née et grandie à Kapsowar, petite ville de montagne perchée à 2’300 mètres d’altitude, elle s’est davantage consacrée à l’athlétisme lorsque sa mère a été contrainte de la déscolariser par manque de ressources financières en 2012. Quelques années plus tard, en 2015, croyant en son potentiel, Erick Kimaiyo – un ancien grand athlète et deuxième du marathon de Berlin en 1997 – l’invite à rejoindre son groupe d’entraînement dans son comté d’Elgeyo-Marakwet. Entraînée à temps plein dans son camp de préparation, elle parvient à remporter son premier marathon lors de sa première course à Porto la même année. Depuis lors, sa progression n’a jamais connu de baisse de régime. Intouchable en 2019, elle avait décliné une invitation pour représenter son pays lors des championnats du monde à Doha en septembre. Consacrée à sa carrière, son objectif repose, comme pour l’ensemble des athlètes de son pays, sur le marathon des Jeux Olympiques délocalisé à Sapporo cet été.
Ababel Yeshaneh, la révélation éthiopienne
Dans ce microcosme, l’Éthiopie n’est plus en reste ; depuis les championnats du monde à Doha, certaines athlètes du pays sont parvenues à écrire une histoire nouvelle de l’athlétisme éthiopien sur le plan international. Parmi elles, Ababel Yeshaneh qui détenait, avant Ruth Chepngetich, la marque mondiale du semi-marathon qu’elle avait établie à Ras Al Khaimah, aux Émirats Arabes Unis le 21 février 2020. Cette jeune femme de 29 ans reste, à ce jour, la seule Éthiopienne à avoir détenu un record du monde sur des épreuves de course sur route.
Cet exploit résonne toujours dans ce pays d’Afrique de l’Est qui, bien qu’il ait toujours été un vivier reconnu d’athlètes de grande endurance, est toujours resté dans l’ombre du Kenya. L’éclosion des athlètes éthiopiennes au plus haut niveau a pourtant été le fruit d’un long combat. Au début des années 2000, la marque nationale féminine du semi-marathon restait bien trop timide pour s’immiscer dans le rang des meilleures performances mondiales. Ce n’est par ailleurs qu’en 2009 que Dire Tune, Asselefech Mergia et Abebu Gelan étaient parvenues, ensemble lors de la même course à Ras Al Khaimah, à descendre en-dessous du seuil des 68 minutes, marquant le début, certes, d’une progression constante au sein du pays dans les épreuves de course sur route mais accusant toujours un retard d’une, voire deux minutes sur les athlètes kényanes de l’époque.
En 2018, lorsque Ababel Yeshaneh – déjà elle – était parvenue à abaisser le record d’Éthiopie en-dessous du seuil des 66 minutes, la Kényane Joyciline Jepkosgei venait tout juste d’abattre le record du monde à Valence à 1h04’51. Sur la distance du marathon, l’histoire avait suivi un récit plutôt similaire. Mais la crise de la Covid-19 semble avoir rabattu quelques cartes. Les écarts de performance semblent s’être amenuisés, dessinant la perspective d’un marathon olympique à Sapporo ouvert à toute bonne surprise.
Ababel a commencé les compétitions de grande envergure dès 2011, à l’âge de 19 ans. Spécialisée dans les courses de moyennes distances, elle avait déjà représenté l’Éthiopie lors des derniers Jeux Olympiques de Rio en 2016 en terminant quatorzième de la finale des 5’000 mètres (sur piste). Son début décidé sur les distances de fond date d’un peu plus tard ; son record national d’Éthiopie sur semi-marathon à Copenhague en 2018 et sa sixième place au marathon de Tokyo en 2019 présageaient déjà une progression réconfortante pour l’athlète.

Une concurrence relevée pour Fabienne Schlumpf
Lors du week-end de Pâques, Fabienne Schlumpf est arrivée à ses fins sur le tracé du marathon de Belp, situé à la marge de l’aéroport. Pour sa première participation à un marathon officiel, elle a établi un nouveau record de Suisse (2h26’14), abattant ainsi facilement les limites qualificatives pour les Jeux Olympiques de Tokyo.
Reconnue au niveau national pour ses grandes qualités sur les épreuves de moyennes distances, l’athlète licenciée auprès du club local de Hütten – localité de la commune de Wädenswil dans le canton de Zürich – avait programmé, depuis avril 2019, ses grands débuts en marathon. Vice-championne d’Europe sur 3’000 mètres steeple et en cross, elle détient désormais quatre records de Suisse, dont celui du semi-marathon qu’elle avait établi le 21 mars dernier à Dresde, en Allemagne.
Guindée par cet état de forme idyllique, la Zürichoise de 30 ans semble avoir enfin franchi le Rubicon dans une période qui semble parfaitement s’y prêter. Sa planification à long terme a par ailleurs suivi une ligne de conduite précise. Entraînée en Suisse et au Portugal, sans la moindre blessure qui avait mis un terme prématuré à sa saison en 2019, elle avait déjà fait forte impression, en juin 2020, en étant sacrée championne de Suisse des 10’000 mètres à Uster pour sa première participation sur la distance hybride.
« La transition vers le marathon a été réfléchie et j’ai longtemps travaillé pour que mes attentes soient satisfaites »
Fabienne Schlumpf
recordwoman de Suisse du marathon, qualifiée pour les Jeux Olympiques de Tokyo
Mais la concurrence sera rude cet été. Menée par la présence de plusieurs lièvres masculins à Belp – sur un rythme moyen de 17 minutes tous les cinq kilomètres (une de plus par rapport à la marque mondiale de Brigid Kosgei) –, Fabienne Schlumpf aura plus forte affaire sous le climat subtropical de Sapporo. « Je comprends le défi qui m’attend pour cet été, lâchait-elle après avoir coupé la ligne d’arrivée à Belp. Cette transition vers le marathon a été réfléchie et j’ai longtemps travaillé pour que mes attentes soient satisfaites. Mes pacemakers étaient réglés comme sur une horloge, ils m’ont protégée comme ils le font souvent à l’entraînement et je suis pour l’heure très reconnaissante de leur travail de fond. »
Il s’agira désormais d’augmenter au mieux possible le rythme de course, intégrant également un plan tactique minutieux. Sa préparation, elle la peaufinera sur les hauteurs de Saint-Moritz ce printemps dans des conditions qu’elle jugera meilleures pour affronter à la fois les Jeux Olympiques de Tokyo mais aussi ceux de Paris en 2024. Dans ce cadre, assurément, la détermination est mère de toutes les vertus.
L’athlétisme de demain compte-t-il toujours avec les épreuves de fond ?
Le dopage est parfois vecteur d’un simple mais arrachant cri du cœur, la dépression touchant sévèrement plusieurs athlètes kényans, souvent les mêmes qui se révèlent spécialistes des épreuves aujourd’hui attaquées par les nouvelles régulations de World Athletics en Diamond League. Parfois ces déprimes profondes résultent d’une sévère mise au ban, parfois par pur dépit. Et si l’on admet que la course d’endurance est vie pour bon nombre de ces athlètes concernés, l’on peut aisément admettre que la diminution de la considération portée à leur(s) discipline(s) impacte lourdement sur leur moral et leurs performances. Voilà pourquoi les épreuves de fond (sur…