Sans accès aux vestiaires, dans le respect des mesures sanitaires, et dans un cadre d’entraînement retravaillé, l’école de rugby du Servette Rugby Club a été contraint de réadapter ses conditions d’entraînement à Genève. Toutefois, malgré moins de contact et avec des séances d’autant plus portées sur le respect de l’adversaire et de l’autre, le club tire profit d’une situation inédite pour davantage instruire des jeunes hommes et jeunes femmes avant de former des joueurs et joueuses de rugby. Une réalité exacerbée par la pandémie.
Le rugby est l’école de la vie, disent-ils. Cela n’a jamais été plus vrai alors que le monde est plongé, depuis presque un an maintenant, dans la crise sanitaire la plus importante de ces 100 dernières années. Il y a d’abord l’appel à l’humilité; sans accès aux vestiaires, fermés en conséquence du risque élevé de contagion, les 180 enfants (dont 23 filles) allant des cinq aux treize ans qui pratiquent le rugby en ces temps d’hiver apprennent à s’entraîner dans des conditions plus rudes qu’auparavant. « Les jeunes viennent à l’entraînement déjà changés et tout rassemblement est interdit », précise Gabriel Lignières. Puis, vient l’appel à la prudence, en prenant garde d’adopter les bons gestes barrière et les distances physiques de sécurité. Le contact social est, quant à lui, bien garanti, un socle de base nécessaire pour assurer la pérennité d’un sport en plein essor en Suisse. Cela prouve bien que malgré les restrictions, l’innovation et la créativité sont toujours possibles.
C’est au centre intercommunal de sports, loisirs et nature des Evaux, que l’on retrouve Gabriel Lignières une première fois en septembre 2020. L’ancien international espagnol a pris la responsabilité à temps plein de l’école de rugby au Servette RC en septembre 2017. En même temps, il prit les rennes de l’équipe première qu’il mena à un titre de champion de France en 2018 et à une promotion historique en Fédérale 3 l’année suivante. Son école est l’une des plus grandes, en effectif, de Suisse et compte un peu moins de 200 jeunes actifs sur le plan sportif, dont plus de la moitié a moins de dix ans.
6% des enfants licenciés au Servette RC provient de France voisine.
Autant dire que pour eux, en contexte pandémique, le poids des restrictions sociales égale celui du ballon ovale qu’ils arrivent à peine à tenir entre leurs mains. Et pourtant, aucun d’entre eux ne semble enclin à abandonner le terrain. « Ce sont des jeunes très disciplinés et attentifs à ce qu’il se passe autour d’eux, explique Gabriel Lignières. Le cadre de nos entraînement se révèle très bénéfique pour eux. » Le club Grenat a même enregistré une augmentation de près de 20% du nombre de licences durant la crise sanitaire qui perdure depuis le mois de mars 2020, et ce malgré une situation difficile de transit entre la Suisse et la France. Une difficulté supplémentaire pour le club dont une minorité de jeunes licenciés provient du pays voisin.
Une dynamique territoriale et sociale
La pérennité de l’école de rugby servettienne s’explique aussi par sa forte vision sociale et sa présence territoriale remarquée dans l’ensemble du canton de Genève. Le 3 mars 2021 – hors restrictions formelles liées à la propagation de la Covid-19 –, le club inaugurera un troisième centre d’entraînement au Lignon, quartier de la commune de Vernier. Les deux premiers étant implantés à Onex et à Vessy. Territorialement, le Lignon est une cité de grande mixité sociale. Centre urbain au sein duquel 2800 logements abritent pléthore de ressortissants d’origines différentes (104 nationalités), il est devenu l’exemple d’une certaine justice sociale, autrefois jugée utopique dans le courant des années 1960. Et pourtant, entre 1963 et 1971, cette “petite ville” de banlieue a su se développer tout en échappant à une gentrification galopante. « Le rugby peut certainement y avoir une place importante dans le développement des jeunes, soutient toujours Lignières. Nous pouvons sans doute contribuer à faire naître quelques vocations. »
« Notre action a une forte connotation sociale: nous menons un projet pédagogique centré sur l’humain et qui entoure un plan de formation sportif complet »
Gabriel Lignières, responsable de la préformation au Servette Rugby Club

Le club, dans sa mission d’éducation par le sport, s’est rapproché de nombreux acteurs locaux de la cité-satellite, rencontrant les représentants de la commune, s’intégrant dans les maisons de quartier et favorisant les cours d’initiation dans les écoles – ce qui, en soi, reste chose courante en Suisse. « Notre but est de façonner des hommes et des femmes, des citoyens et des citoyennes avant de faire d’eux de bons joueurs et joueuses de rugby. Notre action a une forte connotation sociale: nous menons un projet pédagogique centré sur l’humain et qui entoure un plan de formation sportif complet. »
Entre 4’000 et 6’000 élèves initiés au rugby dans les écoles genevoises.
L’absence notoire de toute pratique du rugby dans le quartier est l’autre raison stratégique de l’implantation future du Servette RC au Lignon. « Nous ne faisons de concurrence à personne, nous investissons les régions et quartiers où le rugby n’est pas encore pratiqué. Notre école et notre académie sont avant tout pensées en faveur du développement sportif et cognitif des jeunes genevois. Nous avons, en cela, des moyens humains qui nous permettent de mener notre projet à bien. »
À ce jour, entre 4’000 et 6’000 élèves ont été initiés au rugby dans les diverses écoles du canton; cela prouve à quel point le club Grenat est en mouvement malgré les circonstances actuelles difficiles. En quête constante de pérennisation et de stabilité, l’année 2021 sonnera décisive pour l’entourage servettien.
Une école de rugby labellisée
Dans ce champ, les labellisations pour la qualité du travail de formation par le sport se comptent en étoiles. Dans le panorama sportif du canton, le Servette RC est le premier club de rugby à détenir un label trois étoiles délivré par l’Association genevoise des sports qui valorise la qualité des actions menées par les associations en faveur du développement du – et par le – sport.
Cette même distinction existe aussi derrière la frontière. Le club genevois évoluant dans les championnats français, il est dès lors aussi jugé pour la qualité de sa formation par la Fédération Française de Rugby (FFR). Actuellement, le club est crédité d’une étoile – une labellisation prestigieuse pour un club d’origine suisse. Et loin de là, les responsables de l’école et de l’Académie de rugby au Servette RC s’en contentent. « En septembre 2021, nous souhaitons présenter notre dossier auprès de la FFR pour l’octroi d’un label deux étoiles. Nous sommes à la tête d’un projet innovant qui n’existe encore pas en France. Nous sommes implantés sur trois sites et détenons des antennes un peu partout dans le canton », assure Gabriel Lignières. Mais pour cela, il faudra encore augmenter les effectifs pour atteindre une quarantaine d’enfants dans chaque catégorie de jeu, des U6 aux U14. En tout, cela reviendrait à passer le palier des 200 enfants licenciés.