Sofia Gonzalez aux portes des Jeux Paralympiques de Tokyo

Sofia Gonzalez s’apprête, à bientôt 20 ans, à connaître ses premiers Jeux Paralympiques à Tokyo. Bien qu’amputée d’une jambe, elle est devenue spécialiste du sprint (100m) et du saut en longueur, les deux disciplines qui lui sont accessibles pour les Jeux. Néanmoins, au-delà de ses performances sportives, la native de Vevey est un exemple de résilience et de persévérance. Ses limites, elle les pose elles-mêmes. Souvent aussi pour se rendre compte qu’aucune barrière psychologique ne peut briser son élan. De Nottwil à Dubaï, son parcours – à défaut d’être atypique – est l’illustration parfaite qu’il faut croire en ses rêves.

« Pour une sportive qui s’est réalisée avec son corps, c’est encore plus terrible », confie Christine Arron. « Pour nous, sprinteuses, les jambes, c’est qui tu es, ce sont tes alliées. Perdre sa jambe, c’est un peu de son identité qui s’en va », reprend Frédérique Bangué. Les deux femmes étaient membres de l’équipe de France féminine de relais, championne d’Europe en 1998 à Budapest et vice-championne du monde en 1999 à Séville. Leur coéquipière de l’époque, Katia Benth (44 ans) venait – vers la fin de l’été 2019 – de perdre sa jambe gauche des suites d’une maladie auto-immune et de complications sanguines sévères. Une amputation inévitable à Paris dont le traumatisme révèle le caractère sacré et identitaire des jambes, non seulement en tant qu’athlète et sprinteuse, mais aussi en tant que femme. Reconstruire un égo, un “soi”: une reconstruction qui laisse deviner l’épreuve de sa propre reconnaissance. Car si le caractère de championne perdurera à vie, les apparences, elles, deviennent aujourd’hui trompeuses. Pour Katia Benth, il faudra – à nouveau – révéler la saillie derrière la façade.

« Notre handicap fait notre force. Nous connaissons tellement bien notre histoire que nous savons que de limites, il n’en existe que de mentales »

Sofia Gonzalez, athlète paralympique

Pour Sofia Gonzalez, cet apprentissage a été quelque peu différent: la jeune femme de 19 ans n’a pas eu à se réapproprier son corps. Elle l’a, au contraire, bâti dès son plus jeune âge autour de son handicap. Amputée de la jambe droite à sa naissance pour pallier une malformation congénitale, la jeune femme tire avantage de sa situation; au choix, ses parents ont choisi l’amputation plutôt que la chaise roulante.

Sa liberté de mouvement, la jeune femme la conçoit avec une grande rigueur d’esprit et une force mentale infaillible – ce qui in fine compte pour essentiel. Sa différence est son attitude, écrit-elle. « Rebelle des stades », elle l’est également de la vie. Conquérante et résiliente, rien ne lui arrive jamais par fatalité: « Notre handicap fait notre force. Nous connaissons tellement bien notre histoire que nous savons que de limites, il n’en existe que de mentales. Aujourd’hui, je suis surtout une femme et une athlète », assurait-elle par téléphone.

Dans le canton de Vaud, elle est connue pour son interprétation de la Messagère lors de la Fête des Vignerons en 2019. À l’international – et à Macolin, au siège de Swiss Paralympic –, elle est en revanche davantage perçue comme la meilleure chance suisse aux Jeux Paralympiques de Tokyo en 2021. Autrement dit, d’une représentation à une autre, Sofia Gonzalez se réalise pleinement. En l’espace de cinq ans seulement – et avec le soutien absolu de sa famille –, la jeune lycéenne a tracé sa voie dans le giron de l’athlétisme. Sa première lame de compétition, elle la doit par ailleurs surtout à une conviction profonde: elle a un talent à faire valoir.

Dynamique et sportive

Sofia a toujours été dynamique. En s’essayant dès son plus jeune âge à la précision de la danse classique, à la rigueur de l’équitation ou à la glisse du ski, elle a toujours choisi de faire du sport. Cela vient certainement aussi de sa petite sœur qui l’a toujours portée dans l’élan de ses choix. Elle était d’ailleurs là, sa petite sœur, avec son père et sa mère, assise à côté d’elle dans ces tribunes chaudes du Stade olympique de Londres en 2012. Assistant aux épreuves d’athlétisme lors des Jeux Paralympiques, c’est la première fois que Sofia découvrait les lames de compétitions dans les épreuves de sprint et de sauts. « C’était un premier déclic. Je me rendais enfin compte que je n’étais pas seule dans ma situation », explique-t-elle. « Peu après, je me suis renseignée sur le matériel de course: leur forme, leur résistance, leur disponibilité sur le marché. Mais je me suis aussitôt rendu compte qu’en acquérir n’était pas seulement une affaire de volonté, et encore moins de quelques centimes. » Coûteuses, ces lames de course représentent – encore aujourd’hui – un investissement conséquent, un pari osé sur le futur.

« Aussi fou que cela puisse paraître, c’est la première fois que je courrais de ma vie, à quinze ans »

Sofia Gonzalez, spécialiste du sprint et du saut en longueur

Ce n’est finalement que quatre ans plus tard, en 2016, que Sofia découvre les sensations de ces lames particulières. Louées par la société allemande Ottobock, dans l’optique de les tester, la jeune femme les enfile enfin et les appréhende avec facilité. « J’y avais rapidement pris goût », confie-t-elle. « Aussi fou que cela puisse paraître, c’était la première fois que je courrais de ma vie, à quinze ans. Je me suis sentie libre. » Enfin. Elle commence l’athlétisme dans la foulée, mais seulement en amatrice et sans penser un jour verser dans le plus haut niveau.

Finalement, sans le vouloir, c’est la compétition qui vient la chercher, la première fois à Nottwil, dans le canton de Lucerne en 2017. Cette première apparition dans les starting-blocks était alors rendue possible par le comité suisse paralympique qui la repéra sur les pistes de la Riviera quelques mois plus tôt. Par la suite, le pas fut court entre l’échelon national et international; un an plus tard, elle se retrouve, par ses résultats encourageants, aux Championnats d’Europe de Berlin, où elle termine quatrième des 100 mètres, à un petit rien d’une première médaille continentale. N’en reste, malgré cela, qu’elle découvre un réseau, une ambiance, une motivation nouvelle. Les mois qui suivront, les voyages s’ensuivront; la jeune fille devient jeune athlète. Elle parcourt, lors de la saison 2019, plusieurs villes-étape du calendrier de la Diamond League. Car chaque meeting consacre, depuis sa création en 2010, un créneau – hors du signal des retransmissions internationales – pour une course handisport. Sofia a, entre autres, ainsi pu courir à plusieurs reprises en ouverture des meetings d’Oslo et de Bruxelles.

Sofia Gonzalez à Nottwil en mai 2019. C’est dans cette commune du canton de Lucerne que la jeune femme a connu sa première compétition en 2017. © Lake Prod

Bientôt qualifiée pour les Jeux ?

Ses résultats sont par ailleurs si encourageants qu’elle parvient à se qualifier pour les championnats du monde à Dubaï, aux Émirats arabes unis, cette même année. C’est même à cette occasion qu’elle est devenue plus perfectionniste sur les pistes, assure-t-elle. L’utilisation de nouvelles prothèses plus dures et plus adaptées pour le sprint et le saut en longueur – rendues accessibles grâce à un nouveau sponsor et au soutien de la Banque REYL – lui permettent d’étendre ses limites personnelles. « À la longueur, ma jambe d’appui est celle qui soutient la prothèse. La qualité du rebond est donc primordiale et elle s’obtient aussi par l’achat d’un matériel plus adapté », explique la jeune femme.

L’expérience des grands événements, elle vient donc d’en faire l’économie, même si pas encore à pleine satisfaction. Aux Émirats Arabes Unis, elle aurait pu valider, d’emblée, sa qualification pour les Jeux Paralympiques de Tokyo sur 100 mètres. Là aussi, elle a manqué l’objectif pour quelques fariboles. « Les quatre premières places aux championnats du monde étaient qualificatives pour Tokyo. Mais j’ai terminé cinquième. Toutefois, je sais que j’ai franchi un nouveau cap à Dubaï. » Avec deux nouveaux records personnels, la Veveysanne détient naturellement les minimas pour rejoindre la délégation helvétique au Japon mais son sort est désormais entre les mains de Swiss Paralympic. La jeune femme semble néanmoins faire partie des bons papiers du comité; plusieurs fois par mois, elle s’en va s’entraîner avec l’équipe nationale auprès de l’entraîneur Georg Pfarrwaller.

Seul regret: l’image de ses parents et de sa sœur assis en tribune à Tokyo, neuf ans après avoir connu, ensemble, leurs premiers Jeux Paralympiques en spectateurs, risque de ternir d’ici à l’été 2021, les restrictions sanitaires étant toujours renforcées par les comités internationaux olympique (CIO) et paralympique (CIP). « Ne pas y aller avec ma famille dans le public provoquerait un pincement au cœur », précise Sofia. « Les athlètes ont aussi besoin de penser à autre chose en dehors des courses et vivre en dehors du stade. » Mais qui sait; une lueur d’espoir brasille. « Après une année 2020 terrible, nous sommes convaincus que 2021 sera une année d’espoirs nouveaux. Les Jeux seront l’occasion de célébrer la diversité humaine, un exemple de résilience et le point de départ pour un monde meilleur et plus inclusif encore », statuait dans une formalité excessive le président du CIP Andrew Parsons dans un communiqué de presse le 13 novembre.