Promues en LNF-A cet été sur décision de l’Assemblée des délégués de la Fédération Suisse de Rugby, les Switzers ont parcouru un long chemin pour enfin réussir à s’imposer au plus haut niveau. Aussi, la préparation fut sérieuse; de leur stage de cohésion fin août à Isérables (VS) à leur première victoire dans l’élite face à l’Albaladejo ce week-end (7-10), leMultimedia•info a suivi l’équipe en immersion pleine ces quatre dernières semaines. Et le constat est édifiant.
La dernière fois que les Switzers avaient croisé la route de l’Albaladejo, le rugby proposé était d’un tout autre niveau; les deux formations étaient encore engagées – l’une comme l’autre – dans la division inférieure et luttaient pour une promotion qui, in fine, valait le mérite – pour l’une comme pour l’autre. Mais les Genevoises n’ont cessé de garder un goût amer d’une rencontre qui les avait vu perdre au large par 51-0, neuf essais à rien pratiquement. Certes, en avril 2018, l’équilibre des forces était tout autre; en plein développement, ces jeunes filles pratiquaient le rugby depuis peu et à un âge pleinement anticipé. Or, un peu plus de deux ans plus tard, la progression se révèle palpable. « Nous avons ressenti notre match contre l’Albaladejo comme un match retour. Un match plein. Parce que c’est contre elles (et contre Bâle aussi) que nous pouvons juger (et prouver) que notre niveau a pleinement évolué. » Agathe Schwaar (29 ans), joueuse et doyenne du groupe, a certainement la maturité nécessaire pour ressentir l’enjeu de ces premiers déplacements pour les Switzers. Et son sourire sur le bord du terrain à Chavannes était bien énonciateur du chemin parcouru.
« Nous n’avons peut-être pas la capacité de figurer vers le haut du tableau mais nous en avons certainement le mérite »
Agathe Schwaar, joueuse des Switzers
Naturellement, ainsi, les Switzers ont vraiment gagné en maturité. « Cela fait depuis plusieurs années que nous tentons de nous rapprocher de notre meilleur niveau. Aujourd’hui, je pense que nous pouvons nous satisfaire de notre progrès. Nous avons grandi et sommes toutes moins impressionnées à affronter des équipes de LNA et je sais qu’on commence à nous regarder différemment parce que nous méritons de figurer parmi l’élite », assure toujours Agathe Schwaar. La jeune femme était l’une des premières à avoir rejoint le club à ses tout débuts fin 2014. Fière, elle assume même: « Nous avons peut-être pas la capacité de figurer vers le haut du tableau mais nous en avons certainement le mérite. Nous sommes les seules de la ligue à avoir considérablement augmenté notre effectif. » Le club des Switzers compte, justement, près de 27 individualités licenciées dont l’âge médian avoisine seulement les 20 ans. Les plus jeunes (de 14 et 15 ans) n’ont pas même l’âge réglementaire pour être alignées en match. Et sur les dix U18 que compte le contingent, cinq sont même surclassées pour jouer en LNA. Mais elles en demandent toutes plus, le temps d’attendre leur tour. « Pour toutes, c’est impressionnant de jouer face à des joueuses parfois deux fois plus âgées et plus matures. Mais toutes, aussi, n’ont pas peur de les affronter. »

La cohésion toute dans les hauteurs du Valais
C’est dans les hauteurs d’Isérables, dans le cœur du Valais, que les Switzers avaient véritablement lancé leur nouvel exercice fin août. En plein stage d’intégration qui aura duré trois jours d’effort collectif, les jeunes filles – nouvellement promues en LNF-A, parmi les meilleures formations de Suisse – ont mis à épreuve leur assiduité à la pratique d’un rugby de haut niveau. Dans les faits, bien sûr, aucune d’entre elles ne le pratique dans un rythme proche du professionnalisme mais, le temps d’un stage en altitude, elles ont pu se révéler plus dures au mal que jamais. C’était par ailleurs une volée inédite; pour la première fois, 25 jeunes filles du contingent se sont retrouvées entre elles, seules en équipe, jour et nuit au jeu du partage des expériences et des ambitions. Il faut dire, aussi, que c’est la première fois qu’elles évoluent dans la catégorie élite nationale. « Un changement de cap qui implique une préparation travaillée et au mieux », lâche leur entraîneur Gianni Di Martino. « Pour une fois, elles se collent véritablement au programme de préparation de joueuses professionnelles. Certaines avaient déjà connu pareille expérience lors de notre tournoi à sept à Bangkok en 2018 et l’effet avait été durablement ressenti sur leurs performances sportives. »
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Aussi, tout est fait pour que les filles se sentent à leur aise: « Ici, il y a vraiment l’impression que nous nous occupons véritablement d’elles. Et cela fait une très grande différence », note Nick Blackwell, arrivé en juillet 2019 en tant que coach des avants. Et cette impression est vraiment partagée. « Toutes les filles sont aussi chez les Switzers pour Gianni. C’est lui qui nous a donné la passion du jeu depuis le début. Nous lui rendons l’importance qu’il nous accorde depuis des années maintenant. Le contact humain est vraiment privilégié ici et à tous les niveaux », constate à son tour Agathe.
Ainsi, ce qui compte vraiment pour les entraîneurs, c’est de pouvoir compter sur des filles qui ont l’ambition de s’engager dans le rugby sur le long terme. Si bien que plusieurs joueuses sont amenées à réfléchir, de façon plus diserte et incisive sur leur futur à jouer dans le monde du rugby, au-delà et en-deça de leur rôle de joueuse. Certaines, à l’aune d’Agathe Schwaar et Flavia Marini, étaient même versées, à Isérables, à l’étude précise des règles d’arbitrage, en dehors de toute autre perspective d’engagement auprès d’un club dans une dizaine ou une vingtaine d’années. « Je me vois, de toute évidence, contribuer dans le monde du rugby », précise Agathe pour qui un retour au jeu se révèlera toujours plus difficile, compte tenu d’une blessure récalcitrante au genou. « Je me verrais bien arbitre et Gianni nous pousse vivement dans une direction qui nous permette de vivre le rugby même après nos années passées sur le terrain. Je n’ai jamais perdu pied dans ce sport qui m’a clairement fait sentir à ma place dès mes débuts », poursuit la jeune femme qui a notamment vécu quelques menues expériences au Japon et en Chine, où l’ovale est encore peu développé.

D’Isérables à Bourgoin-Jallieu, en quête de référence
À la résilience à la dureté des séances d’entraînement s’adjoint celle des matches tests de référence. Et la réalité du terrain n’est jamais choisie au plus grand hasard. Coutumières des parties préparatoires en France, les Switzers ont, une fois de plus, choisi d’affronter plus expérimentées qu’elles lors de leur match de pré-saison, contre les Fédérale 1 de Bourgoin-Jallieu. N’en reste qu’au choix ambitieux s’était instantanément arrimée une appréhension palpable. « L’on comprend le besoin de se confronter à une équipe dont l’encadrement est plus professionnel et technicisé que le nôtre. Mais une semaine avant la reprise du championnat, il y avait aussi la peur des blessures. Et le problème, chez nous, est qu’à cause de l’absence d’un physio au sein de notre staff, les filles pensent, parfois à tort, que chaque mal est un moindre mal. Et elles se mettent ainsi en danger à retourner sur le terrain malgré certaines douleurs », explique alors Agathe. « Il faut aussi les comprendre, nous avons tellement connu par le passé des matches avec un manque notoire de remplaçantes que chacune a adopté un caractère dur au mal qui les amène sans cesse à repousser leurs limites sur le terrain. »
« Il faut pouvoir dire à Gianni que quand on sent qu’on risque la blessure, il faut arrêter »
Mauranne Krieg, capitaine des avants des Switzers
Mauranne Krieg, capitaine de l’équipe genevoise, abondait dans ce sens: « Gianni a un peu tendance à sous-estimer nos douleurs. Or, il faut que l’on soit un peu plus souples avec notre corps et nous rendre davantage compte quand il est malmené dans des situations trop sévères. » À Zürich, passablement, cinq filles ont subi de leur corps – dont une commotion – le caractère physique des Valkyries. « Les contacts étaient lourds et appuyés », soutient toujours Mauranne. De son rôle, la jeune femme de 26 ans joue souvent la prudence, le risque étant de revenir trop tôt après une blessure profonde. « Il faudrait toujours consulter. Ce sont de grandes filles, nous ne pouvons pas les obliger à aller voir un médecin ou un professionnel de santé. Mais certaines doivent se responsabiliser et apprendre à faire attention avec leur corps. »
C’est peut-être ici que l’on se rend compte un peu plus de l’influence positive, tout autant que guerrière, de Gianni sur ses filles de club; là où la faiblesse des esprits opère, le coach les oblitère avec force de caractère. À Bourgoin-Jallieu, l’exemple devient cas d’étude. Face à une équipe évoluant souverainement en Fédérale 1 française, Gianni Di Martino voit très clairement l’occasion de tester la résistance physique et mentale de ses joueuses. « La différence de niveau entre les filles de Bourgoin et les nôtres n’est, contrairement à ce que l’on pourrait croire, pas abyssale. Au contraire, dans l’intelligence de jeu, elles se révèlent même égales », assurait l’entraîneur genevois. « Je comprends que certaines filles appréhendaient ce déplacement à une semaine de la reprise du championnat. Mais c’est justement sur ces défaillances parfois psychologiques que nous souhaitons travailler. La peur des blessures n’est, en fait, qu’un problème au niveau affectif, personnel et c’est en jouant qu’on s’en défait. Ce n’était par ailleurs qu’un match amical; si les choses tournaient mal et qu’une déroute se profilait, nous aurions, à n’importe quel moment, pris la décision d’arrêter. » Car, ici, à la différence de ses joueuses, ce n’est pas le risque de blessure qui aurait inquiété le coach, mais une défaite psychologique, une claque morale à quelques jours du renouveau.
« Pour faire un sport d’élite, il faut être un peu barjot »
Gianni Di Martino, entraîneur des Switzers
Finalement, c’est un bel équilibre de jeu qui s’est profilé, le même observé tant à Zürich lors de leur match contre les Valkyries (34-12) que contre l’Albaladejo à Chavannes (7-10). Ne serait-ce que pour avoir pris connaissance de l’encadrement et du niveau rugbystique dispensé à Bourgoin-Jallieu, Gianni Di Martino avait d’emblée compris quel type d’adversité aurait permis à ses joueuses d’évoluer concrètement. « Tout comme nous, Bourgoin est une équipe qui est composée de nombreuses joueuses qui débutent dans le rugby. Partant de là, l’on peut s’attendre à ce que les deux équipes présentent des lacunes dans leur jeu. Par contre, c’est dans la préparation athlétique que l’on perçoit davantage une différence. C’est par ailleurs sur la base de ce discours que j’ai donné le tout pour motiver et rassurer mes joueuses. Et elles l’ont compris. Elles ont compris que, finalement, pour faire un sport d’élite, il faut être un peu barjot et oser aller de l’avant sans craindre le pire. » Cela semble déjà admis chez les plus jeunes individualités du groupe.

Le renouvellement de l’Équipe de Suisse passera (certainement) par les Switzers
L’évolution est surtout mentale. Elle est technique aussi, à défaut d’être physique. Avec leur succès sur le terrain de l’Alba, le déclic psychologique a sans doute eu lieu pour les Switzers, pour qui la jeune Emmeline Perrève (20 ans) a joué son tout premier match à Lausanne. Elles paraissent menues, d’un gabarit égal à tout poste confondu. « On évite la musculation, la mauvaise musculation surtout », appuie Agathe. Et par là, la culture du développement physique n’y est pas implanté en profondeur, si bien qu’à la lutte corps contre corps, elles doivent encore se résigner à perdre du terrain. Mais la détermination et leur vivacité en attaque ne les prive d’aucune perspective de victoire. Et pour le staff genevois, c’est là le plus important. « Nous préparons les filles à assurer des exécutions avec la balle. On ne peut jamais gagner au plus haut niveau dans le rugby en ne disposant uniquement de qualités physiques. Nous ne sommes plus dans un jeu de puissance, mais un jeu d’intelligence », aiguillonne pour sa part Nick Blackwell. Ce même principe, il souhaite l’inculquer au sein de l’équipe nationale. Et il s’y engagera concrètement.
Concrètement aussi, il est noté un changement de balance entre les Alémaniques et les Romandes. Pour lui, l’arrivée récente de filles en provenance de Nyon, du CERN et des Switzers au sein du contingent helvétique permettra d’accentuer toujours plus le changement de vision nécessaire au sein de l’équipe nationale. Le jeu tactique y serait plus apprécié que le physique pur. Et en cela, les Genevoises auront certainement un beau rôle à jouer. « Elles sont jeunes, enthousiastes et ont un potentiel appréciable. Elles ont encore besoin d’un peu de temps mais leur progression les amènera à découvrir l’équipe nationale très prochainement. Leur chance leur sera toujours octroyée un moment ou un autre », assure Nick. Chez le Switzers, seule Mauranne Krieg a pour l’heure déjà connu une sélection avec la Nati, à Yverdon-les-Bains en novembre dernier. Mais elle n’est bien sûr de loin pas la seule à y prétendre sérieusement. Cependant, pour y faire, certains détails grinçants dans le jeu sont encore à gommer, la concurrence nationale étant un poids naturel (et mental) auquel aucune n’est encore habituée.
« On peut évoluer en LNF-B et être sélectionnée avec l’équipe nationale; les différences de club n’ont plus lieu d’être en Suisse de nos jours »
Nick Blackwell, entraîneur des avants aux Switzers et coach national
Un tournant générationnel aura lieu, encore et toujours, au sein du contingent suisse; guindées par de nombreuses jeunes filles de 18 ans – un peu moins, un peu plus –, les Switzers se positionnent en favorites pour l’animer. Nick Blackwell l’assure aussi: le transfert d’expérience entre les aînées et les jeunettes a déjà commencé dans une perspective de rendre l’équipe nationale féminine la plus inclusive possible. « On peut évoluer en LNF-B et être sélectionnée avec l’équipe nationale; les différences de club n’ont plus lieu d’être en Suisse de nos jours », aiguillonne-t-il. « Je sais que des filles des Bâle, de Saint-Gall ou encore de Neuchâtel ont naturellement leur place pour suivre des stages en Équipe de Suisse », le dernier ayant eu lieu le 5 septembre dernier à Colovray avec plus d’une trentaine de joueuses. Ceci se fait aussi la preuve que le rugby en Suisse croît, et à grande allure.
De son côté, de toute évidence, Gianni Di Martino se porte garant d’une certaine diversité; entraîneur passionné de rugby à sept et à treize, il mise l’entier de ses entraînements sur un jeu de mouvement où les muscles bombés n’ont d’importance qu’en seconde instance. Une vision qu’il adapte parfaitement chez les Switzers. « On a aussi dû se restreindre à l’idée que nous n’avons pas les moyens de rivaliser sur le plan physique. Aucune d’entre nous n’a été formée dans ce sens. C’est notre manière de casser certains clichés, en passant », commente en parallèle Agathe. Cela n’empêche, pourtant, que Nick a axé plusieurs séances en début d’année sur du renforcement physique, mais l’arrivée progressive de nouvelles joueuses et le nécessaire confinement pour raisons sanitaires, a, là aussi, cassé une dynamique. Il reste pourtant fort à parier que la remise à l’ouvrage musculaire reprendra au début de l’hiver. Une fois achevé, il semblerait bien que les Switzers puissent pleinement rivaliser pour le haut du tableau de LNF-A.