Le Neuchâtel Sports Rugby Club repart de tout en bas pour écrire son futur

Après deux saisons en LNA vécues en Entente avec le RC Yverdon, le club de rugby de Neuchâtel a pris la dure décision cet été de repartir de tout en bas pour se recentrer sur ses objectifs de formation. La décision, contestée par-ci, par-là en interne, a toutefois été rapidement entérinée au vote par les membres du club. Celui-ci repart ainsi de zéro; il renaît presque de ses cendres au contact de nouveaux entraîneurs et de joueurs fidèles au projet commun. Ancien coach de l’équipe en LNA, Gilles Cerede (49 ans) a même retrouvé ce week-end contre Palézieux son nom sur les feuilles de match. L’ambition en faveur de la relève (et des féminines) jouit donc d’un tout nouveau départ.

Comme un signe de grande humilité et de vaillance que peu de clubs seraient en mesure d’égaler, ce n’est pas le résultat sportif que les équipes du Neuchâtel Sports Rugby Club ont fêté sur leur pelouse du Puits-Godet samedi soir mais cette douce impression de retrouver, enfin, un sens à leur projet sportif. Face à l’équipe de Palézieux, qui avait fait le déplacement depuis le Lavaux à neuf seulement, la rencontre avait tout d’un vrai match de développement, où la pratique du rugby se veut populaire et formatrice. Qu’importe le forfait technique (30-0) finalement, l’ensemble des 27 Neuchâtelois inscrits pour l’occasion ont pu entrer sur le terrain, soit pour leurs couleurs, soit en prêt à l’adversaire comme il en est de coutume dans ces circonstances. Et les sourires perçus sur place disaient déjà beaucoup de l’état d’esprit des joueurs: « Le groupe vit bien. Les joueurs ont très bien réagi à la situation et ont cueilli avec sympathie la possibilité de rejoindre l’équipe de Palézieux pour réaliser un véritable match de reprise. Les U16, les U18 et nos féminines étaient également présents pour marquer le coup », expliquait au terme de la soirée Gilles Cerede, qui a retrouvé les terrains en tant que joueur après avoir guidé l’équipe en LNA ces deux dernières saisons.

« Une grande journée de rugby pour un bon premier match de saison. » Le symbole n’était pas sans signification aucune non plus; le club de Palézieux n’est pas des plus anciens dans l’histoire du rugby en Suisse. En une décennie et lancé par Feu Stephan Albertoni sous l’appellation du RC Haute-Broye, le club a surtout disposé un plan exemplaire pour la formation du rugby en Suisse, et à tous niveaux. L’équipe masculine qui évolue ainsi en LND, la division la plus basse à l’échelle suisse, donne un élan supplémentaire à la détermination présente dans cette région reculée de l’arc lémanique, où figurent une école de rugby, une équipe féminine U18 et une équipe féminine sénior, dont l’Entente avec Monthey et Nyon est championne de Suisse en titre. L’histoire de ces jeunes passionnés s’est, en réalité, construite à la force du poignet, avec une envie première de développement d’une culture rugby dans un coin de campagne où le naturel sportif ne relève d’aucune évidence. L’esprit y est juste. Le même que l’on retrouve chez les personnes dirigeantes du NSRC, à différence faite, qu’à Neuchâtel, le club suit cette dynamique mère depuis plusieurs décennies, voir même plus d’un siècle: depuis 1909.

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Le club aux couleurs rouge et jaune aura certainement commis quelques erreurs dans son développement récent, de la volonté de former une Entente avec un club de la région en 2018 pour survivre en LNA, lourd tribut payé au RC Yverdon qui n’aura, in fine, servi à pas grand chose. Pourtant, à force de caractère, le club a su revenir à ses propres sources: son école de rugby, ses juniors, ses espoirs et son développement futur dont le prix n’a d’égal que le travail de ses serviteurs passionnés et aguerris. En cette rentrée 2020, le club repart de tout en bas. Pas parce qu’il ne mérite pas mieux mais parce que le véritable courage de mettre un voile sur son égo est parfois plus fort et moins ingénu que de se duper soi-même dans une division sape de moral et de force physique. Entre la LNA et la LND, le club a sans doute fait le choix le plus difficile de son existence mais nul ne semble le regretter. « Certaines règles de la FSR font que nous ne pouvons redescendre qu’en LND. Nous l’acceptons mais nous savons avoir les ressources pour tenter une remontée en LNB d’ici trois ans », explique Jérôme Kubler, ancien joueur, capitaine et Président de Neuchâtel Sports. Seulement, maintenant, il va falloir faire preuve de résilience et tenter la remontée – de caractère et d’égo.

Une bonne partie des plus jeunes joueurs du club neuchâtelois firent un saut de l’ange pour affronter les plus gros calibres de l’élite, sans en avoir vraiment fait l’apprentissage nécessaire. © leMultimedia.info / Yves Di Cristino [Neuchâtel]

Respecter sa condition de second couteau

Accepter un rôle de protagoniste tout en sachant manquer les ressources nécessaires pour l’honorer, c’est là tout le dilemme auquel s’est prêté le club de Neuchâtel. Il dispose pourtant de l’égard et d’une révérence certaine pour figurer au plus haut niveau suisse. Or, ce n’est pas dans l’attitude ou le talent que le bât blesse mais dans le nombre. Avec un effectif tout au plus limité, il était concrètement impossible de composer une double équipe, tant pour la LNA que pour l’Excellence A. Cela explique ainsi dans son grand ensemble les difficultés qui furent celles du club au moment de leur promotion acquise en LNA à l’été 2018. C’est à cet instant-ci qu’il a fallu se livrer, une première fois, à un choix inconfortable au possible; accepter ou non la promotion. « Après avoir échoué plusieurs années de suite en finale de LNB, les joueurs n’auraient pas compris que l’on refuse la promotion en LNA quand nous l’avions obtenue sur le terrain, en finale contre Fribourg. Mais, avec le recul, il faut se rendre à l’évidence que ce n’était pas nécessairement un cadeau pour notre club », assure Jérôme Kubler.

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« C’était le cri de toute une génération qui a porté une dynamique importante vers la fin des années 2000 et le début des années 2010. Cette génération qui jouait les premières places de LNB ambitionnait naturellement un jour une promotion dans l’élite, ce qui lui était amplement mérité. Nous nous sommes faits du mal pour honorer au mieux notre statut », complétait Gilles Cerede, ancien entraîneur du club en LNA. Or, de l’Entente avec Yverdon, seuls les sacrifices sont véritablement apparus, sans réel retour de service. Et les résultats sportifs n’étaient de loin pas garantis non plus. Une bonne partie des plus jeunes joueurs du club neuchâtelois firent un saut de l’ange pour affronter les plus gros calibres de l’élite, sans en avoir vraiment fait l’apprentissage nécessaire. « La dynamique de notre club s’est cassée à ce moment-là puisque nous n’avions pas assez anticipé les difficultés d’une promotion; les joueurs n’avaient plus ce plaisir de venir jouer. »

« Nous avons surtout choisi de privilégier les copains, le plaisir et la transmission. La culture rugby n’y est pas assez ancrée comme à Lausanne ou Genève »

Gilles Cerede, ancien entraîneur de Neuchâtel Sports

Le parallèle avec Yverdon est, aujourd’hui, impossible tant l’écart semble surhumain. Le RC Yverdon est, lui, bien resté dans l’Élite avec un objectif d’excellence pur. Le recrutement de plusieurs individualités de Fédérale 2 vient justifier son ambition de remporter, un jour, le championnat suisse. En écrasant le RC Nyon 42-5 pour son premier match, le club du Nord Vaudois joue son rôle de risquetout à plein régime. Un défi financier en pattes d’oie que n’était justement pas prêt à relever Neuchâtel. « Ici, nous avons surtout choisi de privilégier les copains, le plaisir et la transmission. La culture rugby n’y est pas assez ancrée comme c’est le cas à Lausanne et Genève. La topologie et l’histoire de notre ville nous limite pratiquement à un bon niveau de LNB mais pas nécessairement plus haut », argue Gilles Cerede. Ainsi, sans être vraiment un second couteau du rugby national — il est surtout un club historique en Suisse –, le NSRC s’est fièrement éloigné d’un rêve d’excellence qui serait trop onéreux à honorer. « Les résultats n’étaient pas si mauvais en LNA mais on ne peut pas nécessairement aller de l’avant si, au sein du club, certains pensaient que nous étions en train de perdre notre identité », ajoute Thomas Bonneric, joueur du club depuis 2015. « Mais c’est désormais intéressant de se reformater pour un nouveau défi. »

« Les résultats n’étaient pas si mauvais en LNA mais on ne peut pas nécessairement aller de l’avant si, au sein du club, certains pensaient que nous étions en train de perdre notre identité », lâche Thomas Bonneric, joueur du club depuis 2015. © leMultimedia.info / Yves Di Cristino [Neuchâtel]

Loin de toute rancœur

Une Entente sportive, comme il en existe maintes chez les filles, implique un partage humain mais aussi logistique. Des liens se créent entre les différents joueurs et c’est inéluctable. Mais pour rendre la collaboration durable, il faut bien plus qu’une pulsion conjointe de bons résultats. Encore faut-il s’accorder sur le développement de la – ou des – relèves. Et sur ce point, il y avait des impasses au carrefour. « La question est plus complexe de juste savoir si nous souhaitions rester en LNA ou redescendre en LNB. Tout le monde, de base, souhaite se maintenir au plus haut niveau. Mais peu avaient réellement compris que le dilemme seyait entre un jeu de compétition et un jeu de plaisir. Et je crois que nos joueurs n’étaient pas prêts, ni réellement motivés pour de la compétition pure », détaille Gilles Cerede. Au vrai, n’être pas prêt pour la compétition d’élite, c’est avant tout manquer de temps pour cela. Et parfois même de lucidité sur les efforts physiques et moraux que ce genre d’engagement comporte. « J’ai le sentiment que nous avons surtout agi trop vite sous l’impulsion des émotions. Il nous a pris un peu de temps pour comprendre que nous étions littéralement en train de nous détruire en LNA. »

Thomas Bonneric est, à ce titre, le joueur le plus au fait des sacrifices qui furent ceux du club à cette époque. D’aventure, aussi bien joueur en troisième série régionale qu’en Fédérale 2 au Balma Olympique dans la banlieue toulousaine, il fait partie des cadres expérimentés du groupe. Avec Neuchâtel, justement, il a connu trois saisons en LNB, puis l’accession en LNA. Mais, de mauvaise fortune, il s’est blessé début 2019, ce qui l’a longtemps tenu éloigné des terrains la saison passée. Et vu de l’extérieur, le constat semble plus limpide, loin de toute compassion excessive. « Il y a certes eu des mécontents mais un club est sujet à maints faits de vie qu’il faut savoir accepter. Certains joueurs ont peut-être ressenti de la rancœur, d’autres sont aussi partis jouer ailleurs. C’est un choix plutôt logique pour les joueurs qui ambitionnent une sélection avec l’équipe nationale. Mais de ce que je vois ici, les sourires sont revenus et le groupe vit bien (mieux). Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. »

« C’est une bonne occasion pour former de nouveaux joueurs et entamer à nouveau une campagne de promotion avec nos juniors »

Thomas Bonneric, joueur de Neuchâtel Sports depuis 2015

« Je ne ressens personnellement aucune rancœur », continue-t-il. « Neuchâtel est mon club, proche de ma famille et de mes amis. Je ne me voyais, de toute façon, pas le quitter pour une question de ligue. C’est assurément une bonne occasion pour former de nouveaux joueurs et entamer à nouveau une campagne de promotion avec nos juniors. » Et le club neuchâtelois en fait la preuve par l’exemple; la plupart des juniors du club sont régulièrement invités à s’entraîner avec l’équipe première. « Ce n’est pas toujours évident parce que nous avons encore des joueurs mineurs et les demandes de surclassement sont très formalisées mais l’esprit de partage, lui, est assuré. » Voilà ainsi le projet antipode au choix de l’Excellence.

Humilité donc mariée à beaucoup de grandeur d’esprit; il y a ici le terreau de base permettant à beaucoup de clubs de prendre Neuchâtel en exemple pour son projet des plus constructifs. L’admiration y est partagée et c’est un juste retour aux doutes longtemps partagés par les dirigeants du club. © leMultimedia.info / Yves Di Cristino [Neuchâtel]

Sym pathos

Ce projet n’est bien sûr pas né de la dernière pluie; dès 1972, aux débuts de Neuchâtel Sports, après son détachement de l’Université de Neuchâtel, le club entendait survivre en LNA d’alors grâce au soutien d’une jeunesse de feu. Anciens capitaines à deux époques différentes, Daniel Henry et Jérôme Kubler se souviennent de cet élan porté vers la relève qui n’a jamais perdu le nord ces 50 dernières années. Même Gilles Cerede, pourtant arrivé plus tard, rappelle avec lucidité le cœur du projet neuchâtelois: « À mon arrivée au club en 1997, nous avons beaucoup donné pour construire un complexe sportif pérenne, en structurant le club et en assurant toutes les formalités pour développer une école de rugby. C’est en comprenant que la réalité nous dépasse que nous pouvons nous projeter dans le futur. »

Puis continue: « L’humilité a toujours été là à Neuchâtel. Elle n’est pas apparue au gré des circonstances. Quand j’ai complété mes diplômes de formation J+S en 2010, on nous avait demandé de faire un projet de club. J’ai alors étudié la situation géographique, historique et topologique de Neuchâtel et j’ai, dès le début, écrit que le club de la ville était un club de LNB. Nous pouvons évoluer quelques saisons dans l’élite mais nous ne pourrons jamais nous y maintenir indéfiniment. Je pense que nous sommes cohérents avec notre statut et notre situation sportive. » Aussi car, de situation sportive, il y a encore de nombreux paramètres externes à régler pour le bien-être du club, ne serait-ce qu’en termes d’infrastructures. « Depuis 50 ans, nous nous changeons dans deux bunkers, sans eau et sans douches. Cela fait des années que nous cherchons des solutions pour les vestiaires mais il faut que l’on réessaie de changer cette réalité. Il y a tout un travail à faire pour remettre le club sur la lancée qui fut celle des cinquante dernières années », assène toujours Cerede qui ne regrette pourtant pas le choix de réinvestir le terrain historique du Puits-Godet sur les hauts de Neuchâtel.

« L’important n’est pas où l’on va, mais quel chemin l’on emprunte. C’est ce travail d’alchimiste qui compte »

Gilles Cerede, 49 ans et joueur du contingent neuchâtelois

Humilité donc mariée à beaucoup de grandeur d’esprit; il y a ici le terreau de base permettant à beaucoup de clubs de prendre Neuchâtel en exemple pour son projet des plus constructifs. L’admiration y est partagée et c’est un juste retour aux doutes longtemps partagés par les dirigeants du club. « Le tout est de savoir se respecter. Il faut être cohérent avec soi-même. La question sportive n’est que la surface des valeurs réelles et profondes d’un club », rassure toujours Cerede. « L’important n’est pas où l’on va, mais quel chemin l’on emprunte. C’est ce travail d’alchimiste qui compte. Et ne jamais oublier les valeurs réelles qui sont celles du rugby: Sym pathos, soit partager la souffrance dans le combat. » À 49 ans, Gilles Cerede en aura assez vu passer, entre le Sporting Club Salonais (1986-1991) et l’US Olympiades Massif Central à Paris (1996-1997) pour connaître les fondamentaux de son sport.

En LND, ainsi, c’est un groupe requinqué qui mènera fièrement le combat, à la régulière. À la juste. « Il ne nous vient pas à l’esprit que tout sera donné et facile », lâche déterminé Thomas Bonneric. « La pression, nous l’aurons à chaque match. Dans le sport, nous sommes toujours nos pires ennemis. L’esprit de combat restera donc le même et nous sommes tous porteurs d’une grande motivation pour retrouver au plus vite notre niveau de référence. » Et trois ans, pour reconstruire un club, c’est décidément court!

« Rappeler l’histoire de ces gens d’il y a 100 ans que nous ne connaissons même pas montre la force de résilience d’un club qui n’a cessé d’avoir des hauts et des bas. il faut être résilient, ce n’est qu’ainsi que nous devons penser notre futur »

Gilles Cerede