« Première compétition avec l’ensemble de mes amis au moment où je commence à retrouver mes sensations, dans le rythme et dans l’élan, que j’avais lors de la saison indoor. » En interprétant ces mots de Mondo Duplantis, l’on se rend bien compte qu’il venait de réunir les meilleures conditions pour sauter haut à Lausanne. Il aura rendu hommage aux promesses jetées sans ménagement sur ses épaules; le Suédois s’est imposé sur la Place de l’Europe grâce à son envolée solitaire à 6,07 mètres, un nouveau record national de Suède, autant que celui de la Diamond League. Seule la pénombre de la nuit tombante lui aura entravé la voie vers le record du monde en plein air (toujours pointé aux 6,14 mètres de Sergey Bubka en 1994). Mais rien ne saurait tarder tant la progression du prodige de 20 ans se révèle fulgurante…
Un nouveau record du monde pour Mondo Duplantis, 6,21m à Hayward Field
Mondo Duplantis n’a pas fini de faire rêver le monde du saut à la perche. Le Suédois a battu une nouvelle fois son propre record du monde, le portant à 6,21 mètres. Quelques heures après que Tobi Amusan ait battu à deux reprises le record du monde du 100 mètres haies, Duplantis a réalisé le troisième record du monde de la soirée, le quatrième sur les dix jours de compétition des championnats du monde à Eugene. C’est la cinquième fois de rang que le perchiste parvient à améliorer la marque mondiale de la perche. Il y était parvenu la première fois en février 2020 à Torun, dépassant d’un centimètre l’ancienne marque de Renaud Lavillenie (6,16 mètres).
Mais cette fois est un peu particulière. C’est la première fois que le Suédois parvient à battre le record du monde dans une compétition en plein air. L’ancien record du monde en stade ouvert était encore détenu par Sergey Bubka, établi en juillet 1994. C’est aussi la 48e fois qu’il parvient à passer une barre à plus de six mètres.
L’Américain Christopher Nilsen s’est emparé de la médaille d’argent (5,94m) et le Philippin Ernest John Obiena le bronze. 5,94m constitue d’ailleurs également depuis ce soir le record d’Asie. C’est aussi la première fois que les Philippines parviennent à remporter une médaille dans des championnats du monde.
C’est la tombée de la nuit qui a dû arrêter l’élan du jeune prodige Mondo Duplantis à Lausanne. Après s’être livré à une bataille tranchée avec Sam Kendricks pour la victoire sur la Place de l’Europe, le Suédois a juste pris le temps de placer son ultime barre un centimètre plus haut que les 6,14 mètres que Sergey Bubka avait effacés en 1994 (pour établir le dernier record du monde en plein air de l’histoire) sans véritablement les tenter par crainte de blessure. Sans la pénombre, il eut été probable que Mondo le fasse; sans commettre le moindre écart à toutes les hauteurs auxquelles il s’est aligné, jusqu’aux 6,07 mètres que son adversaire Kendricks n’a pu franchir, il a creusé un écart monstre avec la barre à chaque saut. Le tout, au final, n’était que démonstration. Et personne ne s’en est caché au Flon.
« C’est pour ce genre de spectacle que le public attend que nous soyons à nouveaux alignés tous ensemble dans un meeting. La belle chose avec Mondo, c’est que sa puissance et sa vitesse nous happe et nous pousse à dépasser nos limites à chaque fois. Monter aussi haut, cela n’aurait pas été possible sans lui. Il faut reconnaître son talent et sa force mentale en compétition. Nous avons tous vu sa progression depuis tout jeune, il mérite sa réussite », lâchait alors Sam Kendricks, pourtant champion du monde en titre à Doha.
« Quand on est champion du monde en titre, on devient immanquablement l’homme à battre. Et c’est peut-être ce qui a tant poussé Mondo ces deux dernières années aussi »
Sam Kendricks, champion du monde en titre du saut à la perche
De ce titre, pourtant, l’Américain n’en tire aucune gloire, sinon un bon prétexte pour rendre les compétitions entre lui et ses adversaires plus intenses encore. À nouveau, ce mercredi soir à Lausanne, le duel final entre Mondo et lui n’appartenait à aucune banalité: « Quand on est champion du monde en titre, on devient immanquablement l’homme à battre. Et c’est peut-être ce qui a tant poussé Mondo ces deux dernières années aussi. Je fais le parallèle avec 2015, à une époque où je rêvais de battre en meeting Renaud [Lavillenie] qui dominait alors la discipline. Ça donne de la grandeur à nos performances quand on sait que l’on a battu le champion du monde. »
Lire également: ATHLETISSIMA N’AVAIT PAS LE CŒUR À RENONCER À SON ÉDITION 2020
« Je ne me souviens même pas de mes passages. Je sais que j’ai fait un saut qui m’a d’abord permis de passer les 6,02 mètres, puis les 6,07. Mais plus que cela, je n’ai pas en tête les détails techniques de mes réussites », lâchait à son tour Mondo Duplantis. Et abondait: « Ce qui est plaisant et motivant, c’est de constater que la compétition a été nourrie par les meilleurs athlètes du circuit qui ont, de plus, tout donné pour faire du meeting à Lausanne une soirée d’exception. » Si bien que tous, à l’exception des Américains Cole Walsh et Christopher Nilsen, ont établi leur meilleure marque saisonnière à Lausanne. Différence faite, bien sûr: c’est que dans le cas de Duplantis, il a surtout claqué un nouveau record national de Suède, le record de la Diamond League et la meilleure performance mondiale de l’année. Rien que cela…

De simple newcomer au record du monde
Du petit Américain tout souriant au grand du cercle fermé des six mètres. Il y a encore une année, l’on utilisait le même vocable pour témoigner de la progression fulgurante de Sam Kendricks dans la discipline. Il est d’autant plus incroyable de renouveler le récit – presque proprement identique – quelques mois plus tard pour un autre jeune prodige de la perche. Mondo Duplantis suit, en réalité, la voie de ses plus grandes idoles; avant lui, Renaud Lavillenie et, plus récemment, son dit compatriote d’origine.
Sauf que, au détail près, Mondo a choisi de représenter la Suède en compétition. Quoiqu’en dépit de cela, l’on admettra que le parcours du jeune homme reste celui d’un surdoué. Et aussi celui d’un homme discret dans la plus pure performance: « Mon but est toujours celui de rester le dernier homme debout. J’ai appris à sauter à la perche avant même de savoir marcher. Tant que l’on m’offre la possibilité de sauter, je serai heureux. » Cette humilité n’aura changé ni d’avant, ni d’après et c’est bien ce qui lui forge sa sympathie.
À la seule différence d’avant – soit avant son titre aux Championnats d’Europe de Berlin en août 2018 –, c’est qu’il est passé au statut de perchiste professionnel. Et, même si « honnêtement, cela ne change pas grand chose mis à part un salaire à assurer », sa personnalité au regard de la concurrence en est ressortie grandie. « Plus qu’autre chose, il a su s’établir en modèle de sportif à haut niveau », expliquait joyeusement son pair d’épreuve Sam Kendricks. Avec ses 6,05 mètres et sa médaille d’or continentale à Berlin, Mondo avait, alors, non seulement évolué à un niveau de reconnaissance mondiale mais il l’avait surtout fait avec rigueur et une rapidité fulgurante. Ce qui n’a cessé d’étonner depuis lors.
« Je ne pense pas avoir régressé depuis ma médaille à Berlin. Et cela est dû à la présence continue des meilleurs perchistes du monde dans mon entourage, à l’entraînement mais surtout en compétition. » Sans la présence de ses amis d’épreuve Sam Kendrick, Renaud Lavillenie ou encore Piotr Lisek, sous-entend-t-il, il n’aurait jamais atteint une telle hauteur, aussi vite. Et on veut bien le croire; la place à l’erreur, quand on affronte à chaque sortie les derniers podiums olympique et mondial réunis, reste de l’ordre de l’infime. Lausanne n’en fut qu’une preuve de plus.
« Ce qui peut arriver demain, je n’en prends guère cure parce que se projeter inutilement vers l’avenir n’est pas toujours aussi porteur que cela »
Mondo Duplantis, recordman du monde du saut à la perche
De même, c’est ce qui fait que son évolution n’est de loin pas arrêtée. Lui-même avoue ne pas avoir la moindre idée de ses limites. Sous-entendu, qu’actuellement il n’en a pas encore vu l’ombre. Et, en réalité, il s’en fiche pas mal: « Je sais ce que j’ai accompli et qui je suis aujourd’hui. Ce qui peut arriver demain, je n’en prends guère cure parce que se projeter inutilement vers l’avenir n’est pas toujours aussi porteur que cela. Je ne vis que dans le présent. » Ainsi, avant de battre coup sur coup et à une semaine d’intervalle cet hiver le record du monde en salle (6,17 à Torun, puis 6,18 mètres à Glasgow), il n’imaginait pas pouvoir atteindre un tel faîte. Du moins, pas inopinément tant sa jeunesse est encore très marquée. « Have a good day baby, but not too good », lui avait par ailleurs texté Renaud Lavillenie quelques heures avant de perdre son record du monde, ayant parfaitement compris l’état d’esprit conquérant du jeune homme.
C’est que parfois, il suffit d’essayer pour se convaincre d’y arriver. Et ici, son audace le porte mieux que quiconque et c’est largement suffisant. Mieux, Mondo Duplantis semble être averse à la pression commune; là où les autres ressentent le stress de la compétition, Mondo la supplante d’une confiance personnelle, comme si parfaitement superflue. « Mondo est incroyable. Je n’ose jamais répondre à sa question quand il me demande comment ça va. Parce que je sais qu’il saura, de ma réponse, dans quel état de forme et d’esprit je suis. Parallèlement, lui, il reste toujours calme et on voit quand il est dans un bon jour. Dernièrement, je dois dire qu’il a toujours été parfaitement en accord avec ses performances. Autrement dit, il est toujours très détendu. Et c’est impressionnant », expliquait alors à Lausanne Sam Kendricks.

Mondo restera Mondo
Son choix d’adopter la nationalité suédoise à 15 ans, de par ses origines maternelles, fait du jeune homme né à Lafayette en Louisiane (États-Unis) un homme de bon caractère et de bonne famille (père et mère étant autrefois des athlètes de classe mondiale). Et même si son succès a été bâti par un réel travail de conviction, sa notoriété dans l’athlétisme découle, là aussi, d’une franche destinée. Son père Greg et sa mère Helena, respectivement ancien perchiste américain et heptathlonienne suédoise, sont, aujourd’hui encore, ses entraîneurs attitrés, les mêmes qui lui ont fait découvrir le sautoir dès ses premières années de vie.
Il sautait, à l’époque, auprès de ses frères Andreas et Antoine. Des trois, il est pourtant le seul à avoir atteint le plus haut niveau dans la discipline. Aussi, par la force de son éducation sportive et humaine, Mondo battait déjà ses premiers records du monde dès l’âge de sept ans et c’est, « selon une légende familiale qui s’est révélée fausse », à cet instant qu’on lui aurait décerné son surnom “Mondo”. Les quatre mètres, il les a passé à 13 ans déjà. Le mètre suivant a suivi deux années plus tard. Les six mètres, en 2018. Le record du monde, en 2020. Autant qu’on puisse encore préciser que, cette année, Mondo est devenu le quatorzième perchiste de l’histoire à être parvenu à battre le record du monde à plusieurs reprises; les deux derniers en date, Sergey Bubka (1991) et Rodion Gataullin (1989), restent assez (sinon très) anciens.
« La seule chose que je puisse faire, c’est d’être le meilleur mondo duplantis possible. Mais je ne serai jamais le nouveau Usain Bolt »
Mondo Duplantis, vice-champion du monde de saut à la perche
S’il a tout pour devenir le nouveau porte-étendard de l’athlétisme mondial, Mondo Duplantis rejette de manière plutôt sensible et polie la comparaison au maître du sprint mondial Usain Bolt. De même celle avec d’autres icônes de ce sport que sont Emil Zatopek (fondeur), Valery Brumel (saut en hauteur) ou encore Bob Beamon (saut en longueur). « Je ne peux pas dire si je serai le nouveau Usain Bolt. Il est tellement difficile de comparer, aussi parce que je ne me suis jamais lancé dans le saut à la perche pour la notoriété. Mon objectif n’a pas changé; la seule chose que je puisse faire, c’est d’être le meilleur Mondo Duplantis possible. Et pour cela, il y a encore plein de détails dans tous les domaines qui sont largement perfectibles. »
Selon certains, il a déjà démontré être un des meilleurs athlètes au monde. Pour d’autres, il a encore beaucoup à prouver. Cette dernière variante n’a, en réalité, rien de faux; il est jeune (20 ans) et il a établi des records mondiaux à chaque catégorie d’âge. « Mais les records ne font pas un palmarès. Être champion du monde, puis champion olympique sont des titres qu’il n’a pas encore acquis. Et c’est pourtant ce qui fait aujourd’hui la réputation d’Usain Bolt », commentait René Auguin, manager de Renaud Lavillenie. Un avis souvent partagé par le patron d’Athletissima Jacky Delapierre. Mais soit; Mondo Duplantis n’a pas à épater la galerie, il a juste à rester le jeune athlète talentueux qu’il est. Et dans le regard d’un public averti, ça fait déjà tout.

Retrouver ses marques (et ses amis) après le confinement
De bien, le confinement aura au moins permis à Mondo de passer, pour la première fois, plus de trois mois d’affilée dans son pays d’adoption: la Suède. Comme tous, des suites de la prévention sanitaire qui a paralysé le monde du sport une demi-année durant, Duplantis a subi le contre-coup d’une saison qui avait explosé lors de la tournée en salles. Mais de ces premiers mois de l’année 2020, il n’a, semble-t-il, rien perdu. Mieux, sa hauteur n’a cessé d’augmenter sur les sautoirs, laissant paraître un regain de force, de vitesse et de technique à chaque sortie. Si bien, qu’avant le meeting de Lausanne et les 6,02 mètres de Sam Kendricks, Mondo Duplantis était resté le seul athlète à avoir effacé le seuil des six mètres cette année.
Comme si l’arrêt forcé lui avait permis de prendre le recul nécessaire pour mieux revenir, en force. « De mars à mai, la perspective d’une saison-off avait complètement assombri notre programme de l’été. J’ai été surpris de constater que tout était fermé à mon retour en Louisianne après l’indoor Tour. Et le plus dur était sans doute d’être aussi loin du public. Mais en contre-partie, j’ai pu profiter de ma famille, ce qui malheureusement n’est pas très fréquent. »
« Ma mère s’est rendue compte que je ne mangeais pas assez de légumes. Elle m’a beaucoup observé ces derniers mois. Alors j’ai commencé à en manger plus »
Mondo Duplantis, vainqueur du City Event à Lausanne
Le temps passé avec sa famille fut aussi celui d’une large introspection. Et à tous les niveaux. Responsable de sa préparation physique, Helena Duplantis s’est laissée à une plus franche observation du mode de vie de son fils. « Ma mère s’est rendue compte que je ne mangeais pas assez de légumes. Elle m’a beaucoup observé ces derniers mois. Alors j’ai commencé à en manger plus. La préparation optimale pour le retour en piste passait aussi par là. »
« Aujourd’hui, je suis surtout reconnaissant de pouvoir vivre de ma passion, y compris dans ces moments où le calendrier des compétitions est totalement chambardé à cause de la pandémie. Nous, les perchistes, avons l’immense privilège de pouvoir faire une vingtaine de compétitions en 2020, alors que d’autres sont contraints dans leurs efforts », assurait finalement le jeune homme à la veille du City Event. Sa victoire – et son succès global – en réjouit plus d’un, en Suisse, en Suède qui l’eût accueilli à bras ouverts il y a de cela cinq ans, et ailleurs. Finalement, le mariage de styles chez Mondo Duplantis est aussi drôlatique qu’authentique; du rap louisianais à la culture achevée de l’athlétisme scandinave, il a tout pour construire son propre mythe.