Nalu, art immanent de voyager et art permanent de composer

Le titre “Ride The Wave” est une invitation à voyager, sans véritable connaissance pourtant des mécanismes qui permettent de le laisser penser. La musique est, de toute évidence, légère – aussi tiraillée toutefois entre la douceur de l’univers de Noa, la percussion douce Wills Gey et le swing – pourtant contenu ici – de Mark Kelly. © Yannick Maron

Vendredi 17 avril sortait le premier album du groupe Nalu, “Ocean Eyes”. Un opus tourné, en ces moments particuliers de la vie humaine en communauté, vers le partage d’émotions. Dans l’idée, n’en reste cette volonté de voyager et faire voyager ; Noa Zalts (24 ans), accompagnée des musiciens Wills Gey, Romain Equey, Marine Wenger et Victor Darmon, invitent également dans cet album le fantasque Mark Kelly qui n’est pas là que pour une simple figuration. Cet échange entre Nalu et l’artiste originaire de Manchester attrape une virevoltante vitalité.

Il faut prendre son temps. Parfois il le faut vraiment, à d’autres un peu moins. Nalu est l’un de ces projets qui – à force de pratique et d’expérience de scène de plusieurs de ses membres – se sont forgés sans l’aide du moindre baromètre. Le temps leur apparaît flou ; l’on en retient juste que le groupe est apparu sur les plateaux de musique en 2017, le premier EP vernis aux Docks, dans le cadre du projet Proxima en octobre 2018, la première tournée en Israël une année plus tard, en octobre 2019, le premier single le 6 décembre et enfin le premier album le 17 avril 2020. Le vernissage initialement prévu, quant à lui, le 25 au Théâtre Oriental-Vevey attendra encore quelque peu. Mais l’engouement et l’excitation de ces artistes de grande inspiration ne désemplit pas ; à quatre, ils empilent les avant-premières en direct sur les réseaux sociaux et s’amusent de ces petits sets improvisés, comme un sérieux – et décalé à la fois – avant-goût savoureux du véritable opus “Ocean Eyes” qui vient d’être dévoilé.

Noa Zalts (24 ans), instigatrice première de Nalu, a donc commencé à s’introduire dans le monde de la musique de façon plus engagée il y a de cela seulement trois ans. Elle l’avait fait aux côtés d’un guitariste qui ne fait – aujourd’hui – plus partie du projet de base. L’évolution du groupe s’est, comme il arrive souvent, quelque peu modifié depuis ses tout débuts ; Marine Wenger, violoniste qui avait rejoint la bande pour l’enregistrement du premier EP, est partie en voyage pour six mois. Victor Darmon lui donne le change. Quant au rôle de guitariste, c’est au mancunien renommé Mark Kelly – véritable Suisse d’adoption – qu’il a été attribué fin 2017, début 2018. L’on ne sait plus vraiment le détail. Toujours est-il que, depuis lors, les racines d’une véritable identité artistique ont été plantées. Wills Gey est à la batterie, alors que le jeune Romain Equey est à la guitare et à la basse. De son côté, Mark – également bassiste et guitariste (à l’électrique) – cultive un éclectisme savant. Lui aussi, s’est finalement attelé à la pratique du banjo par l’influence des autres membres de son groupe – et par effet d’émulation surtout – autant qu’il orne, de son anglais natal et son timbre de voix reconnaissable, le backing voice.

« Mark permet de donner une touche supplémentaire dans l’arrangement, aussi parce qu’on ne pourra jamais affirmer que tous les morceaux soient exclusivement écrits par moi »

Noa Zalts, compositrice et guitare-voix de Nalu

Noa, dans l’histoire, si elle est loin de faire cavalière seule dans la composition des morceaux, semble surtout insuffler une idée de base ; c’est par elle que la plupart du répertoire (bientôt vernis) est passé, qu’il a été forgé. Car c’est bien un travail d’artisanat, de forgeron que l’on narre ici. Tout est une question de douceur flagrante dans les titres proposés, tout est une question de dosage précis, de concession fluide et de partage enivré entre les différents artistes impliqués. Mais pour que l’engrenage tourne, il lui faut une impulsion – aussi déterminée que déterminante. Et de chef d’orchestre, le rôle en revient – sensiblement – à la fille. « Le style de nos musiques part presque toujours de ce que j’amène dans mes compositions de base », explique Noa Zalts, tout en admettant que certains titres soient véritablement composés et co-écrits à quatre (ou six) mains. « Chacun, au vrai, amène une touche personnelle et nous tous, décidons comment nous souhaitons jouer de notre instrument pour chaque occurrence. Notre style est somme toute très collaboratif, avec des backgrounds différents. »

Cette osmose plurielle, en réalité, est surtout illustrée par la relation artistique de longue date que Noa partage, entre autres, avec Mark Kelly, véritable songwriter et performer venu droit de sa Manchester natale. En quelques années, il s’est fait une place certaine dans le panorama musical du bassin lémanique et au-delà des confins de l’Aar. Toujours est-il, pourtant, fin 2016, que les deux ne se sont pas rencontrés dans le but de fonder un projet musical ensemble, à deux. « Le cadre de notre rencontre, bien qu’elle ait été naturelle du point de vue artistique, fut un autre. J’ai commencé à l’aider en assistanat administratif avant de devenir sa manager en janvier 2019. En somme, je l’aide dans ses papiers et il m’aide dans les miens. C’est une collaboration qui se décline sous différents cadres et sous différents pôles », sourit-elle dès lors.

Il en reste, dès lors, que ce sept-titres – “Ocean Eyes” donc – se révèle sous l’arc d’une co-écriture aussi partielle qu’insoumise ; Noa Zalts idéalise, le reste du groupe personnalise et – par sa touche finale – Mark Kelly dulcifie l’ensemble, ou pas ? « Mark permet de donner une touche supplémentaire dans l’arrangement, aussi parce qu’on ne pourra jamais affirmer que tous les morceaux soient exclusivement écrits par moi. De manière générale, ce sont tous les musiciens qui contribuent à l’arrangement et non seulement Mark. Chaque musicien, y compris lui, compose son instrument et m’aide à l’arrangement » Le premier single “Ride The Wave” – une co-composition à la guitare et co-écriture aux paroles (délivré le 6 décembre 2019) – l’illustre assurément.

“Ride The Wave”, une invitation au partage

Le titre est une invitation à voyager, sans véritable connaissance pourtant des mécanismes qui permettent de le laisser penser. « C’est dans les paroles ou peut-être la musicalité… Je ne saurais réellement dire ce qui nous fait voyager dans ce titre », entonne Noa. « C’est un tout », complètera succinctement Mark. La musique est, de toute évidence, légère – aussi tiraillée toutefois entre la douceur de l’univers de Noa, la percussion douce de Wills Gey et le swing – pourtant contenu ici – de Mark Kelly. « Le morceau n’est pas swing, il est droit. Je suis personnellement swing et c’est déjà quelque chose de pouvoir tester de jouer ce genre de chansons avec et sans le swing », assure, de son côté, Mark Kelly avant de poursuivre : « Il y a toujours une différence notoire entre la première version, le premier jet et le second. C’est en élaborant, puis en exécutant le morceau que l’on élabore les meilleurs tests et cela est rendu possible quand chacun se retrouve inspiré par le projet de base. Mark Kelly reste (et restera) Mark Kelly mais, au-delà de cela, je cherche sans cesse à apporter ma touche personnelle dans chaque morceau. No box, but so many colours. »

Dans le cas de Mark, la force de son ressenti, de sa sensibilité artistique est, somme toute, assez simple. Si elle résiste à toute tentative d’explication, à tout mode d’emploi préconçu, elle respecte néanmoins une norme bien commune chez les artistes versés dans le jazz, le swing et le groove. Chez cet homme, il y a une force d’improvisation qui n’en est pas nécessairement une véritable ; disons qu’il porte en lui une sensibilité à fleur de peau, ce qui lui permet de s’intégrer bien différemment à chaque situation de composition auquel il est amené à se dévoiler. « Mark ne va jamais composer de la même manière auprès de Nalu que si c’était pour son propre répertoire personnel », lâche alors Noa Zalts. « Ce n’est pas le même groove, pas le même ressenti. C’est justement ce qui fait que l’univers de Mark et sa participation au projet commun qui est le nôtre n’ont rien de vraiment comparable. »

C’est donc bien une question d’énergie : « Des énergies – au pluriel – effectivement. Elles se révèlent différentes d’un instant à l’autre. Mes compositions peuvent prendre 30 minutes de mon temps, mais elles finissent toujours par muter, se transformer, se modifier au fil des répétitions, des retours et du temps qui passe. Rien n’est jamais reconnaissable. C’est aussi, sans doute, ce qui permet à certains morceaux [ndlr, comme “Ride the Wave”] d’être uniques. La piste donne envie de voyager car, nous-mêmes, avons besoin de voyager entre nos différents univers pour parvenir à un résultat quasi-définitif », complètera alors Mark Kelly.

 « Il y a toujours une évolution constante auprès des autres membres du projet, mais ces influences adviennent de façon plutôt distante. La musique que l’on entend, nous l’intégrons sans le savoir dans nos propres gênes »

 Mark Kelly, guitariste, bassiste invité chez Nalu

« Quand l’on commence à travailler en faveur d’un projet commun, l’on essaye toujours de servir la chanson, chacun essaye de servir le projet par sa personnalité, ses connaissances, son univers et son talent. La chanson devient alors une marque reconnaissable pour laquelle il est toujours utile de chercher à mener vers le niveau au-dessus. » Mark Kelly, en réalité connaît le mécanisme des partages de groupe. De ses années de musique passées à Manchester, il en a gardé quelques bons souvenirs.

Mais c’est sans compter ses 19 années passées sur le bord du bassin lémanique. C’est en 2001 que le garçon s’installe en Suisse et y rejoint les groupes de folk-blues “Innacrisis”, puis “The Passengers”, avant de définitivement lancer sa carrière en solo en 2009, dévoilant depuis lors trois albums de grande profondeur. Cet opus partagé avec Nalu se veut donc un projet tourné vers l’avenir. « Le partage de groupe repose toujours sur une même mécanique, bien qu’elle soit unique à chaque fois. Avec Nalu – et c’est une belle réussite d’y parvenir –, chaque idée est testée, partagée avec chacun des membres du projet. Et ça marche. C’est ce qui fait la beauté de l’exercice ; il y a vraiment des co-compositions à tous les niveaux. C’est un groupe qui pourrait étudier toutes les propositions de ses membres et en faire un projet commun qui tienne vraiment la route », assure-t-il. Sans compter que l’expérience des partages, Mark la connaît parfaitement, lui qui a notamment assuré les premières parties des plus grands (Duffy, Nneka, Charlie Winston ou encore Ayo).

« Nous sommes sans cesse influencés, partout et par tous. Ce n’est pas possible d’être imperméables aux univers que partagent les personnes avec qui l’on partage un set, une répèt’ ou encore une soirée. Il y a une évolution constante auprès des autres mais nous ressentons aussi ces influences de manière plus distante. La musique que l’on entend, nous l’intégrons sans le savoir dans nos propres gênes. » C’est ce qui mène dès lors aussi à la sincérité de l’artiste. « Je suis entier, je ne peux pas tricher », s’exclame alors l’homme. « On ne peut pas cacher son mood, ses émotions… » « C’est la force qu’il a, de jouer au feeling ses propres musiques », accordera à son tour Noa, le sourire visant son acolyte de scène.

« Je suis souvent très déçu du rendu des concerts que je vais voir. Si bien que le dernier groupe que j’ai vraiment aimé écouter en live dans sa totalité remonte un peu. Si je me souviens bien c’était dans un petit club de Montréal. C’est souvent mieux dans les petites salles que dans les gros festivals. Je regarde des vidéos, des lives, ça m’arrive. Mais je ne peux rien y faire ; quand mon oreille n’est pas contente, il faut que je sorte de la salle. » © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Pully]

De la danse à la musique, le renouveau de la scène pour Noa Zalts

Nalu et Mark sont, en effet, partenaires de scène ; tel est qu’on en pointe l’importance des planches pour la santé économique et artistique des projets musicaux. La scène, Noa Zalts l’a découverte depuis plusieurs années mais le cadre de performance a changé. Radicalement. Avant elle la montait pour une performance de mouvement, désormais c’est également par la voix qu’elle s’y produit. « J’ai commencé la musique parce que je commençais à (trop) m’installer dans ma zone de confort avec la danse. La musique est devenue mon challenge nouveau, une véritable échappatoire », lâche-t-elle, un peu pensive. « C’est si fort que ça me maintient en vie, à tel point que ça me fait réapprécier la danse. » Après trois ans de franche reconversion – entre le premier EP et ce nouvel album fraîchement dévoilé –, elle y ressent une juste évolution dans la qualité du rendu et la fraîcheur de la composition. « Le groupe s’est formé et depuis, j’ai vraiment appris de mes partenaires, de ces musiciens de grande expérience. Il y a un tel mélange d’univers que nous avons réussi à en créer un propre, le nôtre. »

 « Je vis de mes concerts, pas seulement du point de vue financier mais parce que c’est un besoin vital, on ne peut pas faire sans le live, sans la scène »

 Mark Kelly, guitariste, bassiste invité chez Nalu

Et pourtant, fait (un peu) marquant, l’expérience des concerts en tant que simple spectateur n’est pas la même – entre Noa et Mark. Chez l’une, on les adore, chez l’autre, on les renie presque. « Noa est allée voir beaucoup de concerts, ce que je ne fais que très rarement », lâche, mots pavés, Mark. « Je suis souvent très déçu du rendu des concerts que je vais voir. Si bien que le dernier groupe que j’ai vraiment aimé écouter en live dans sa totalité remonte un peu. Si je me souviens bien c’était dans un petit club de Montréal. C’est souvent mieux dans les petites salles que dans les gros festivals. Je regarde des vidéos, des lives, ça m’arrive. Mais je ne peux rien y faire ; quand mon oreille n’est pas contente, il faut que je sorte de la salle. » « Cette sensibilité à fleur de peau, c’est vraiment quelque chose », reprend au vol Noa. « J’adorerais apprendre à être aussi fine durant les concerts. »

L’on pourrait pourtant s’attendre à ce que tout paraisse dès lors parfait pour ses propres concerts ; mais là aussi, Mark se révèle fin perfectionniste. « Je ne suis pas perfectionniste, mais très exigeant. Je ne suis d’ailleurs jamais satisfait du rendu de mes concerts. Et c’est ce qui me plaît aussi chez Nalu, c’est qu’on s’en remet toujours aux autres. L’acceptation de tout son est un sujet vraiment sensible pour moi, mais j’y arrive. » Aussi parce qu’il faut bien passer par là pour faire de sa musique, sa vie. « Je vis quand même de mes concerts, cela va de soi. Non seulement financièrement mais parce que c’est un besoin vital. On ne peut pas faire ça sans live. Il serait beaucoup plus difficile de rencontrer du monde si tu ne te produis jamais. »

« C’est une adrénaline qu’on se doit d’appréhender de la meilleure des façons », relève à son tour Noa. « Je ne me sens personnellement pas toujours à l’aise sur scène mais je sais que c’est pour vivre ce genre d’expériences que je fais de la musique. J’ai parfois encore un petit manque de confiance de par la pression d’être au centre. C’est un domaine encore assez nouveau pour moi mais il y a déjà une belle évolution et une bonne prise d’assurance depuis 2018. » Et cela forge à ce point qu’on eut vu Nalu se produire, dernièrement, dans des situations vraiment singulières, comme lors de ce vol retour d’Israël où une longue attente pour problème technique les avait conduits à jouer un set de plusieurs dizaines de minutes dans l’avion. Et avec les moyens du bord, soit avec les instruments qui n’avaient pas été portés en soute. « C’est à l’image de notre groupe », conclura Noa. « La Suisse, dans le domaine de la musique populaire, est encore dans une phase d’élan, il faut se le dire. Mais elle se développe d’année en année. Et nous souhaitons contribuer à ce large processus. » Sans aucun doute, avec “Ocean Eyes”, ils donnent un grand coup de pouce dans le sens souhaité. En attendant, pour sa première sur scène, on en reparlera en temps voulu.