Dans le mystère de la solitude et du confinement avec Adriano Koch

Adriano Koch a vernis son deuxième album en carrière au Romandie à Lausanne le 5 mars dernier. Son nouvel opus “Lone” a été rendu disponible au public le lendemain. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

Lone est le titre du nouvel album vernis par Adriano Koch au début du mois de mars 2020; il rapporte à l’isolement, au confinement noctambule tout autant qu’à une véritable et louable déclaration à son instrument d’origine, le piano. Dans un morceau acoustique du même nom – alors qu’il délivre un grand opus toisé d’électronique –, il redécouvre la joie d’un titre entièrement délivré sur piano, seul et isolé du reste. « J’ai passé beaucoup de temps à l’électronique que le tout dernier titre que j’ai composé pour cet album – Lone –, j’ai voulu le dédier à mon instrument, en acoustique pure. » Il explique qu’il faut le voir comme un hommage et c’est une bien belle invitation au partage. L’album est disponible depuis le 6 mars.

Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une nouvelle expérience pour Adriano Koch. La sortie récente de son nouvel album Lone le 6 mars dernier reste dans une continuité d’un projet de vie entamé il y a de cela quelques années; seul face au piano et à la triture d’une électronique qu’il manie allègrement. Son banc d’essai, il l’a déjà tenu en 2018 à la révélation de son premier opus solo Leap – joyeux, festif, onirique –, il s’en était alors définitivement donné à la carrière qu’il rêvait étant gosse. Ainsi donc, si Lone n’est de loin pas encore un album de pleine maturité, il n’a rien, en allure, d’un premier jet artistique. Le tout est abouti à l’expérience gardée du jeune vingtenaire qu’il est. La véritable prise de hauteur du jeune artiste lausannois sied alors plutôt dans l’expérience qu’il a menée pendant deux mois, en plein isolement dans son local de répétition. Ses musiques, il les a pensées et composées dans un confinement crépusculaire le plus total, où les séances solitaires débutaient à 21 heures et se terminaient à l’aube.

« Cela n’avait rien d’une dépression. Il s’agissait vraiment d’une expérience humaine que je voulais mener, à la recherche de mon propre moi, à la recherche d’un sentiment de tristesse qui se révèle toujours très puissant dans la musique. L’euphorie est aussi très expressive mais moins évidente à transposer dans les créations artistiques. » Il faut dire que parler d’expérience, ici, prend un sens plein; si le travail d’assemblage pour le premier album avait nécessité deux seules semaines, il a été élevé à une plus grande échelle à l’automne 2019. Le temps s’était alors figé l’espace de trois intenses mois de repli où la création du pianiste déployait ses pleines forces. « Une volonté d’entrer dans un état second, dans une ambiance et un mood beaucoup plus mystérieux. » Le résultat – un douze-titres – s’en fait bon témoin.

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Adriano Koch a 20 ans. Il a aussi son style, prédéfini. Il produit des sons empreints de reliefs, motifs variés à la pointe d’une technologie électronique revisitée, imbibée de jazz et d’un touché on ne peut plus néoclassique dans sa méthode d’opérer. Car avant d’être un artiste, Adriano se révèle être un admirable adepte d’une frappante méticulosité. On le veut inspiré, courageux et brillant – il est encore un peu plus que cela. De son courage, il en tire surtout une certaine inconscience innocente, d’autant plus lorsqu’il n’hésite plus à démonter la façade avant de son piano droit pour en révéler la complexité mécanique des cordes frappées. De ses poings marqués, il adresse quelques coups à ces lignées de métal dressées et nomme aussitôt l’organique, dans un monde artistique – le sien – pourtant fastueusement empreint de technologie et d’électronique.

Voilà donc que l’artiste crée essentiellement des espaces de flou, d’impensable entre deux mondes radicalement opposés, où les mélanges savants s’y révèlent donc bien possibles. Mais l’on ressent tout de même une légère altération dans la formule artistique proposée; l’électronique gagne du terrain dans Lone, elle se libère davantage, quitte à parfois provoquer plusieurs minutes durant l’éclipse totale du piano. « Le piano peut parfois être noyé dans l’ensemble des sons proposés, c’est vrai. Mais cela n’empêche qu’il est constamment présent. La composition passe d’abord par le piano, même si le résultat ressemble davantage à un modèle électronique. Le piano restera, en réalité, à chaque fois, l’élément central de tous mes projets parce qu’il se révèle aussi à la base de certaines percussions », à l’image notamment de l’Interlude Pt.2 (neuvième titre sur l’album), au sein duquel les percussions sont surtout produites par l’assommage des pédales du piano et de son cadran. C’est bien là le style du jeune musicien.

« L’Indie Pop de Bon Iver revêt un sens difficilement décelable dans la composition mais joue avec des placements mélodiques étranges, entre l’organique et l’électronique »

Adriano Koch

Souvenez-vous de Maxence Léonard, son troubadourisme à la lisière de l’électronique et du rock traditionnel. Un violoncelle, une guitare et des percussions artisanales, un mélange par lequel il nous fallait alors distinguer la complexité du rendu musical de la légèreté du processus de composition, puis de son enregistrement. Souvenez-vous: Maxence Léonard avait surtout cherché à remplacer les traditionnelles basses et batterie par d’autres colifichets de fortune, à l’image – un exemple parmi tant d’autres – d’un porte-clefs garni lui servant d’improbable – et entièrement improvisée – cymbale.

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Une méthode de production de sons qui n’est pas indifférente à l’approche éclectique d’Adriano Koch. Et pour ce dernier, cette appétence de l’écho et des imperfections somatiques de ses instruments remonte à des influences bien précises, « sans doute les mêmes que Maxence a dû écouter plus jeune aussi. Par exemple, l’Indie Pop de Bon Iver revêt un sens difficilement décelable dans la composition mais joue avec des placements mélodiques étranges, entre l’organique et l’électronique. C’est là, une de mes plus grandes et plus franches inspirations », explique alors le jeune homme de 20 ans qui révèle aussi ses écoutes attentives de Jon Hopkins [lire chapitre plus bas: L’imperfection originale des autoproductions].

Pour parvenir à assembler les 12 titres de son nouvel album, le Lausannois s’est sombrement confiné, isolé pour mieux se retrouver avec soi-même. Et il l’assume: « Dans le marché de la musique, l’on est pratiquement toujours tout seul. Et sous tous les points de vue; dans la créativité, comme dans l’administratif, c’est à l’artiste de tout gérer. Il est certain que c’est un métier qui m’isole un peu, mais c’est aussi pour cela que je l’aime. » © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

L’image d’un troubadour jazz exposant une guillerette tristesse

L’image du troubadour, chez Adriano Koch, est d’autant plus servile à une cause artistique réfléchie. Pour parvenir à assembler les 12 titres de son nouvel album, le Lausannois s’est sombrement confiné, isolé pour mieux se retrouver avec soi-même. Et il l’assume: « Dans le marché de la musique, l’on est pratiquement toujours tout seul. Et sous tous les points de vue; dans la créativité, comme dans l’administratif, c’est à l’artiste de tout gérer. Il est certain que c’est un métier qui m’isole un peu, mais c’est aussi pour cela que je l’aime. » Il y a en réalité très peu de Narcisse dans la fonction; l’artiste, face à son propre reflet, n’en retire aucun égo. Mais bien de l’inspiration. « J’ai été face au miroir pendant trois mois, seul face à moi-même. C’est de l’isolement pur, mais à aucun moment, j’en retire une quelconque tristesse », explique-t-il dès lors.

Il y a donc du ténébreux dans l’âme mais pas l’ombre d’une autodestruction. Il y a du noir mais rien qui n’ait trait au néfaste. Le confinement d’Adriano Koch n’est donc qu’une condition temporaire: il en sort donc de temps en temps guilleret, surtout quand il n’est pas engagé dans un processus complexe de composition. « Certains extraits [ndlr, de l’album] n’ont rien de joyeux mais il n’y a pas d’évasion morne là derrière. C’est en faisant de la musique que l’on est à même de ressentir des émotions diverses et variées et c’est l’expression de celles-ci qui enjoue la pratique de la musique. C’est justement ce que je trouve beau. »

« Il y a des répétitions de phases, des harmonies de rythmes, de la polyrythmie dans le but de créer un état de transe. C’est peut-être le propre de l’électronique, d’ailleurs »

Adriano Koch

“Lone” dévoile, dans le fil de ses titres, une linéarité intelligente. Quoique de linéaire, l’album n’en revêt surtout qu’une cohérence de style mais sans chronologie aucune. Pour être juste, l’on en reviendra à la structure de cet opus, découpé en « trois parties intuitives, dont deux chapitres séparés par deux interludes de deux minutes qui relayent l’entier du propos musical. » Car, il est vrai, si Adriano aime les morceaux énergiques et dopés à la vitamine de l’électronique, il fait attention de ne pas tout dévoiler de sa fièvre marotique; « il ne faut pas que l’auditeur se sente en permanence, et dès le début, agressé par un style arracheur. Il faut aussi jouer avec le rythme, sans avoir peur de le casser de temps en temps, pour ne pas tomber dans l’ennui d’une routine », aiguillonne l’artiste.

C’est pourquoi, vers la fin, le (dixième) titre Elodie se révèle être un condensé de douceur, accablé ensuite par deux morceaux – Wrestle et Arouse – retrempés dans un cuveau massif d’électro. « Je viens du monde jazz et on a tendance à mettre beaucoup de force dans les morceaux. C’est aussi un besoin de terminer le disque avec des éléments transcendants, comme les cris que l’on entend dans le titre “Élodie”. Il y a aussi ces expressions d’euphories qui marquent – heureusement – ces ruptures de rythme avec le reste du disque. » Le (sixième) morceau From Hush To Fear est aussi illustre; il appartient de ces musiques qui décontenancent par leur turbulente rythmique. D’une douceur initiale, l’on tombe soudain dans une franche extraction cabalistique. Adriano Koch joue aussi avec nos oreilles, c’est là son talent.

Comparer le titre “Metanoia” d’Adriano Koch dans ses deux versions proposées:

Metanoia” (piano solo) dans un clip promotionnel (réal. Anne Gerzat/2017)

Metanoia” (version électronique) dans l’album “Lone” (2020)

D’ailleurs, quitte à jouer avec le rythme, Adriano Koch réserve des musiques aux influences émotionnelles bien diverses, quitte à revisiter quelques unes de ses précédentes créations. Le premier titre Metanoia n’a rien de l’anodin habituel des plus communes ouvertures d’albums; il revient en force avec un réarrangement qui prédéfinit l’entière tonalité de son disque. D’un piano (en plus pure acoustique délivrée en 2017), la plage musicale est devenue, trois ans plus tard, une pure production électronique qui ne renie pourtant rien de sa version précédente: « “Metanoia” est l’une de mes premières vidéos que j’ai présentée au public, à une époque où je n’avais pas enregistré le moindre album. J’ai donc choisi de faire un petit pas en arrière vers de précédentes créations, comme une forme de rappel à mes premières sorties musicales. J’ai revisité le titre mais sans lui enlever son allure acoustique d’origine. »

Adriano Koch réserve des musiques aux influences émotionnelles bien diverses, quitte à revisiter quelques unes de ses précédentes créations. Le premier titre Metanoia n’a rien de l’anodin habituel des plus communes ouvertures d’albums; il revient en force avec un réarrangement qui prédéfinit l’entière tonalité de son disque. D’un piano (en plus pure acoustique délivrée en 2017), la plage musicale est devenue, trois ans plus tard, une pure production électronique qui ne renie pourtant rien de sa version précédente. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

L’imperfection originale des autoproductions

« Aussi, il y a des répétitions de phases, des harmonies de rythmes, de la polyrythmie dans le but de créer un état de transe. C’est peut-être le propre de l’électronique, d’ailleurs. » Autrement dit, Adriano Koch s’est aussi enjoué de superposer plusieurs rythmes musicaux analogues les uns sur les autres, permettant – de même – de créer des cycles, les mêmes que l’on entend tout du long des cinq minutes du titre… Cycle, justement. Assurément, certains titres de musique ne sont pas choisis par pur hasard; ils témoignent tous d’une méthode ou d’une technique de composition bien précises. « Pour celui-ci [ndlr, “Cycle” est le huitième morceau de l’album], tout est parti de percussions régulières mais décalées et c’est justement ce par quoi est entendu la notion de polyrythmie. »

« J’ai, de même, besoin de la chaleur de ces productions qui ne sont pas très clean, même si cela n’est pas essentiellement pro. Les accidents minimes sont aussi ceux qui font la part belle aux morceaux »

Adriano Koch

C’est là une volonté certaine de l’artiste de proposer un faisceau de sonorités désarçonnantes, de ses arpèges au piano qui – par changement d’octaves successives – s’abouche à un semblant d’électronique plus vrai que nature. Et en quelques sortes, il y a là des influences jazz de par cette nécessité vitale d’improvisation. « Il y a beaucoup de théories harmoniques pointues – et en quelque sorte assez élitistes. Il faut s’y connaître; les grands artistes s’y connaissent et savent traiter avec celles-ci et les rendent finalement assez simples d’écoute. Personnellement, j’ai tendance à renier un peu ce qui paraît simple bien que, paradoxalement, j’adore ce qui est simple. Mais je ne suis pas simple. C’est pourquoi, je pars souvent du jazz pour mieux m’en éloigner dans ma musique », assure Adriano.

Finalement, le son pur et simple n’est pas dans les cordes du jeune homme; il adhère davantage à un prototype musical beaucoup plus imparfait, voire informe. Et il tire cela de l’inspiration d’un autre artiste contemporain: Jon Hopkins, très organique dans la musique qu’il dispose, réservant une place prépondérante au bruit émis par les machines, leur souffle, le sien aussi. « Les imperfections exogènes relatives à sa musique font finalement partie intégrante de celle-ci. J’ai, de même, besoin de la chaleur de ces productions qui ne sont pas très clean, même si cela n’est pas essentiellement pro. Les accidents minimes sont aussi ceux qui font la part belle aux morceaux. »

Adriano Koch se révèle hautement cohérent dans sa posture de musicien. Cela est d’autant plus éluctable dans son chant; dans le titre I Don’t Know Yet, le pianiste lausannois fait aussi entendre – même si timidement – sa voix. Elle aussi imparfaite mais parfaitement connectée à la tessiture de sa musique. Rien n’est détonant, bien qu’il eut toujours eu recours à des chœurs et à une chanteuse lors de l’enregistrement de son précédent album Leap. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

Cela ne signifie pas, par opposition, que les enregistrements en studio se révèlent froids et impersonnels. Loin de là, « mais la chaleur d’un disque est un concept et un phénomène que je ne pourrais expliquer. Il est improuvable. Il est surtout question d’une oreille attentive sur les diverses pistes; sans défaut apparent sur le piano, il manquerait sans doute de la vie. Parfois, je préfère jouer avec un piano droit et pas toujours très bien accordé qu’avec un long piano à queue de concert. Cette vision me connecte sans doute, et ceux qui m’écoutent, à une facette beaucoup plus humaine de la musique. » Autrement dit, la perfection du propos n’est pas toujours nécessaire. En revanche, sa cohérence oui. Et Adriano Koch se révèle hautement cohérent dans sa posture de musicien. Cela est d’autant plus éluctable dans son chant; dans le titre I Don’t Know Yet, le pianiste lausannois fait aussi entendre – même si timidement – sa voix. Elle aussi imparfaite mais parfaitement connectée à la tessiture de sa musique.

Rien n’est détonant, bien qu’il eut toujours eu recours à des chœurs et à une chanteuse lors de l’enregistrement de son précédent album Leap. Cette fois, il s’est mis lui-même (et intégralement) en scène, vocals compris, dans le titre qui est aussi le premier single de son nouvel album. Et Adriano l’explique: « Parfois, sur scène, il m’arrivait spontanément de me mettre à chanter des notes et je le faisais de plus en plus fort. Cela me permettait de me m’imprégner encore plus de ma musique. Certes, mon chant est bancal mais cela me convient ainsi. Je ne me prétends pas chanteur et c’est justement cette délicatesse qui rend le titre plus humain. » Parce que, pour une fois – du moins –, on entend aussi ce qu’il y a derrière l’instrument. Derrière le piano et l’ordinateur, il y a Adriano Koch. Et il n’a rien d’un robot.