Jean-Charles Guichen en a encore sous le pied. Et dans les bras. Au festival interceltique de Lorient, en août 2019, le natif de Quimper s’est illustré corps et âme face à une assistance de plus 4’000 personnes, livrant l’un des concert en fest-noz les plus aboutis pour l’assemblage en live de son cinquième album. “Braz Live” est justement sorti le 6 mars dernier, délivrant l’orne d’un opus aussi inédit que traditionnel. Avec la revisite de plusieurs titres de ses derniers albums “Elipsenn” (2015) et “Breizh an Ankou” (2017), il en a adjoint quelques nouveaux, dont l’impensable Bro Gozh’, l’hymne breton réarrangé version valse. Une belle occasion de voyager – à nouveau – entre le monde celtique et la proche Amérique.
Il y a de l’Amérique dans le nouvel opus personnel de Jean-Charles Guichen. Un peu. De par ses subtilités et ses nuances d’arpèges, le rock celtique de l’artiste renvoie presque à la littérature pensée par José Saramago. Autrement dit, il y a du code, de la mathématique pure dans cette musique de fin artisan. Ce rock teint parfois ainsi à un blues animé des années 1960, né dans les tréfonds de l’Arkansas et du Mississippi, de Muddy Waters à Junior Kimbrough, en passant par R.L. Burnside. Des artistes proches de ses nombreuses influences musicales, pensons-nous. « Sans doute », rappellera l’intéressé, tout en insistant sur l’improfondeur de ses derniers trips aux États-Unis. Il eut effectivement fêté la Saint-Yves à New-York le 19 mai dernier, s’insérant dans un cadre très breton, celui des fest-noz traditionnels. Mais rien qui n’ait réellement eu vent de cette Amérique profonde où le blues des pionniers aurait pu manifestement imprégner sa musique. « J’ai des influences musicales vraiment diverses. Mais quand j’utilise ma guitare country, il se peut en effet, qu’inconsciemment, je plonge dans un univers proche de celui de Robert Johnson. Ce style assez roots, assez raffiné », raconte-t-il alors.
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En réalité, cette impression est d’autant plus renforcée par la tonalité plus ésotérique de ses compositions; pour son cinquième album en solo, Jean-Charles Guichen a quelque peu dévié le sens de sa marche – du moins, nous en offrons une tendre impression personnelle. Du passage à la mer – autrefois avec Dañs Ar Mor –, l’on en vient peut-être à retrouver la chaleur des terres agricoles bretonnes, un retour sur ses propres pas, au sein de la tradition pure des campagnes verdoyantes de la région. Un peu plus loin des plages ensablées: « Il peut y avoir une latitude plus transterrienne dans mes musiques, une façon de jouer un peu plus brute et davantage ressentie au travers des bras et des pieds. » Comme cela est répandu dans le plus abrupt, le plus rustique et le plus primitif des blues du sud des États-Unis: une musique proche et parlante aux seuls initiés.
Aussi, il est vrai qu’au choix de ses quelques réarrangements, il imprègne ce nouveau disque (presque exclusivement instrumental) de références locales reconnues. Le premier titre Dreist Mor Ha Douar n’est nul autre que la devise de Pleumeur-Bodou, sa commune d’habitation au bord de Manche qui abrite, encore aujourd’hui, le Planétarium à avoir établi, le 11 juillet 1962, la première liaison télévisée transocéanique en plein sol trégorois. Tandis que son ultime titre – le neuvième en réalité – n’est nul autre que le réarrangement du Bro Gozh Ma Zadoù, l’hymne breton. Le premier est une revisite nouvelle d’un titre similaire (Dañs Ar Mor), très proche de l’écume des vagues et des remous de l’eau, le second n’est autre que le cantique renommé de cette Bretagne profonde et insondable pour le visiteur novice. C’est donc avaliser, à notre écoute, un entier voyage à la découverte de sonorités familières mais pourtant uniques – à chaque fois. « Je rentre avec un morceau qui rappelle l’esprit de la mer pour, au fil des musiques, entrer peu à peu dans la terre. On peut le voir ainsi, en effet. »
« Ce qui ne change pas, c’est que je reste un homme de terrain, plus à l’aise sur scène qu’ailleurs. Il me plaît de photographier la musique »
Jean-Charles Guichen
Il n’est pourtant pas anodin de noter que l’entière tessiture (à l’US) n’est d’autre origine que par le caractère brut et assumé des musiques enregistrées pour ce nouvel opus “Braz Live”. Live, car cet album n’est de résultante seule que d’un concert réalisé au festival interceltique de Lorient en août 2019, où la folie du moment drosse les puretés et perfections d’un enregistrement studio. Tout est plus frustre, trivial – voire bestial par moments –, à commencer par les sons, les arpèges complexes, longeant ensuite les mouvements organiques des corps: battes de pieds et de bras, comme de coutume dans les plus traditionnels des fest-noz. « Le projet était bien de faire chanter et danser les gens comme dans une fest-noz. J’avais prévu de faire un disque en live depuis longtemps, soit depuis 28 ans et le dernier enregistré dans le cadre de notre groupe Ar Re Yaouank [ndlr, Fest-Noz Still Alive, 1992] », assure l’artiste.
Il s’agissait alors d’un neuf-titres tourné presque exclusivement à Mael-Carhaix et voyait s’inviter à la guitare électrique le Rouennais Pat O’May. Autres temps que celui que nous propose “Braz Live”… quoiqu’il en reste des eñvor. « Ce qui ne change pas, c’est que je reste un homme de terrain, plus à l’aise sur scène qu’ailleurs. Il me plaît de photographier la musique, l’enregistrer en live. Nous avons choisi de le faire à Lorient pour les moyens techniques mis à disposition, avec des micros sur la scène mais aussi sous le plancher pour capter toute l’énergie des pas de danse du public. » Ce qu’il en ressort, de ces instants musicaux éphémères (mais sentimentalement éternels), ne tiennent que dans des mouvements. Bruts, secs et grondants; la joie des improvisations théâtrales, scéniques, rythmiques à l’égal des tumultes des plus grands festivals.
« Il y a, en plus, quelques imperfections dans le disque qui lui rendent justement tout son cachet: en exemple, les essoufflements tenant de la magie du moment face à un public danseur de près de 4’000 personnes. Le résultat est vraiment extraordinaire bien que rien ne soit jamais gagné d’avance, les lives sont, par nature, aussi imprévisibles. »

Ses propres compositions réarrangées
Au vrai, l’entier de la composition du disque n’a rien d’un flagrant inédit, fantaisie de l’artiste à l’œuvre d’une perpétuelle revisite de ses propres titres. « À l’heure actuelle, j’ai un choix entre un répertoire de plus de 500 titres que je prends et reprends à l’occasion, sans compter que je compose tous les jours. Mais tous les nouveaux titres ne sont pas au même stade de maturité; cela prend énormément de temps et aucune musique n’est, en réalité, jamais mûre. C’est quand l’on est capable d’intégrer quelques imperfections aux compositions que l’on arrive finalement à un résultat de premier aboutissement. » Voilà ainsi“Braz Live” en offrir une belle preuve de réalisation; la grande partie du neuf-titres délivré le 6 mars dernier ne révèlent, en réalité, qu’un arrangement nouveau de compositions personnelles qui existaient déjà avec “Le Solo de l’Ankou”, l’ensemble d’un répertoire composant son seul-en-scène au travers de la Bretagne. Des pièces uniques, en solo mais détonantes par leur implexe complexité.
En exemple, le (huitième) titre “The Breton Roots” est directement tiré de son précédant opus (2017) et joué en groupe sur de précédents albums, sans compter que l’ensemble des Plinn eurent déjà été enregistrés – quoiqu’en partie – lors de la sortie du disque “Elipsenn” (2015). « J’ai, en effet, réarrangé mes propres compositions mais la nature de mon travail réside surtout dans l’auto-production de cet album, sans encartement dans une production aux moyens survitaminés. Dans ce genre de projets, chacun doit pouvoir aussi revenir à l’essentiel, avec une méthode qui consiste à ne rien remixer (ou très peu) des enregistrements réalisés en direct à Lorient. » C’est bien là l’œuvre de l’artisanat le plus pur. Le plus réussi également.
« Je n’étais pas fan total de l’air de base du “Bro Gozh’”mais je me suis mis à imaginer faire danser les Bretons sur leur propre hymne »
Jean-Charles Guichen
Mais pour insister sur chaque particularisme, il en est un incontournable de ce nouvel album solo; Jean-Charles Guichen s’attaque – et à sa manière – à l’hymne des Bretons. Le “Bro Gozh Ma Zadoù” est revisité sous l’air d’une valse et c’est nul autre que sa femme Claire Mocquard qui l’habille de fins doigtés au violon. Une remise à nu d’un air si commun qu’il en ressort grandi par ses arpèges appuyés, dans un rythme inhabituel. « C’est la première fois que je m’attaque à l’hymne breton. Je n’étais pas fan total de l’air de base du “Bro Gozh’” mais je me suis facilement mis à imaginer faire danser les Bretons sur leur propre hymne. C’est un réarrangement que j’ai pensé et mis en boîte en une journée et qui s’est greffé en tout dernier sur l’album, juste avant le dernier mix. » Une mise en abîme également réussie par les talents – gravés sur marbre et sur mesure – adjoints par sa femme Claire Mocquard, au violon mais aussi à la voix.
« [Claire] m’a accompagné sur quatre des cinq derniers albums que j’ai réalisés. Cela fait vingt ans maintenant que je la connais et j’ai évolué à ses côtés avec un entier travail technique qu’elle a entrepris dans les domaines du jazz et du classique. Elle a une voix incroyable qui mérite d’être mise en avant, sans compter que nous continuons d’apprendre tous les deux le breton, nous qui y sommes installés depuis 1970. »
En somme, ce qu’il serait commun de retenir de ce nouvel opus ne sied que dans de fins mots-clefs. Des nouveautés perpétuelles; d’ambiance et d’intensité, Jean-Charles Guichen joue toujours autant avec les particularismes fins de la musique celtique, avec – ici – une dose d’improvisation supplémentaire. « On prend parfois le risque avec l’impro de partir dans une toute autre direction que celle que nous avions envisagée au départ. Mais c’est aussi pour cela que l’on continue de se donner à la musique. Je voulais réellement mettre en image la musicalité des fest-noz, dans son tranchant vivant et rock’n’roll. » C’est abouti. À Pleumeur-Bodou, d’ailleurs, outre la sortie du nouvel album, Jean-Charles Guichen a aussi – et surtout – délivré en première la voix de sa femme en concert. En attendant, les festivals de cet été. En attendant, la préparation déjà actée d’un prochain album.