Après avoir connu six promotions de rang dans le courant de ces six dernières années, le club Grenat vient d’en valider une septième dans la foulée, sur décision étudiée de la Fédération Française de Rugby. Leader de Fédérale 3 depuis le début du renouveau, Servette apprêtait sa résistance à l’approche des phases finales de cet été. La crise sanitaire aura balayé toute éventualité. Stabilité dans le jeu, discipline dans les affrontements lourds et soutien continu à la relève Grenat, les chantiers sont encore nombreux mais laissent entrevoir les rayons d’une lumineuse réussite. La Fédérale 2, de ce point de vue-ci, n’en sera qu’un défi plus haletant pour l’entière communauté servettienne.
Marc Bouchet: « Jouer contre des clubs centenaires du rugby français, une belle récompense pour le travail accompli depuis 2014 »
C’est une (demi-)surprise tombée mardi dans la soirée; le Servette Rugby Club est officiellement promu en Fédérale 2, une année seulement après avoir rejoint les divisions Fédérales. Il s’agit de la septième promotion en seulement six années d’existence; une performance de relief pour un staff versé dans la création et la pérennité d’un projet sportif de haut niveau. « Nous n’aurions jamais pensé à ça en 2014, c’est assurément une belle progression. Jouer contre des clubs centenaires du rugby français qui n’ont, pour plus, jamais joué à un niveau inférieur à la Fédérale 2 est une belle récompense pour le travail accompli depuis lors », assure dans une joie palpable le Président du club Grenat.
Servette rejoint donc dans cette antichambre du monde professionnel, des clubs de belle renommée. Les US Annecy et Nantua y jouent leur pain quotidien depuis plusieurs décennies. Et à la comparaison, l’on en prend quelques vertiges. « Comme toutes les promotions, elles se révèlent, par la force des choses, méritées. Être parmi les 12 meilleures équipes de notre division sur les 168 engagées sur tout le territoire français est une performance qui nous anime. » Selon nos informations, Servette ferait même partie des six meilleures équipes de la division, parmi lesquelles certaines auraient – même – refusé la promotion. Car assurément, l’accepter, c’est aussi se prémunir d’une confiance assurée pour rivaliser au niveau supérieur. « Nous ne nous sommes, de toute évidence, jamais considérés comme de purs favoris mais les situations d’inconnu, nous les connaissons bien. Je salue justement cette capacité que les joueurs et le staff de Servette ont à s’adapter à une nouvelle situation. Je salue aussi le travail de courage porté par Frédéric Dubrana qui découvrait, sur le vif, un groupe et une division de jeu élevée. Sans compter que l’arrivée de jeunes joueurs qui forcent les portes de l’équipe première était un défi auquel nous étions préparés mais qui laissent toujours entrouverte une lueur d’incertitude, en même temps que d’espoir. »
C’est bien la preuve que l’on peut avoir, au sein du groupe servettien, une attitude professionnelle sans pour autant évoluer au sommet de la hiérarchie du rugby français. Quoique, Servette commence à sérieusement s’en approcher. En Fédérale 2, l’esprit restera le même, assurément. « L’attitude professionnelle, nos joueurs l’ont toujours eue. Parce que la performance n’est par relative et dépendante d’une rémunération pécuniaire. C’est avant tout le bonheur de faire partie d’un collectif et d’une histoire. Alors, certes, nous avons commencé à récompenser les joueurs par des primes de match, nous nous l’étions promis si nous accédions à un plus haut niveau. Mais elles ne restent que des primes de victoire et si, un jour, nous avions la chance d’évoluer en Fédérale 1, cette réalité restera inchangée. »
« Le temps de la Promotion Honneur est fini. Désormais nous sommes amenés à affronter des clubs centenaires qui ont assurément l’habitude de jouer à ce niveau-ci »
Jonathan Torossian, demi d’ouverture et responsable de l’Académie du Servette Rugby Club
Finalement, ils l’ont eu, ce point de bonus offensif. Ce samedi-là, le Servette Rugby Club affrontait dans son enceinte de la Praille l’équipe de Givors Deux Vallées à l’occasion de la seizième journée du championnat de Fédérale 3, la cinquième division dans la hiérarchie du rugby français. Et autant dire que le spectacle – au gré d’un bon match de rugby – était autrement plus contenu que d’accoutumée. Provenant des divisions régionales où ils dominaient la plupart de leurs adversaires à parfois plus de cinquante points d’écart, les Grenat connaissent, depuis le renouveau de la saison en septembre dernier, un challenge autrement plus coriace. Les victoires se révèlent plus coutes et le XV de la Praille a même goûté, par deux fois (pour l’heure), à la défaite ; à Saint-Savin le 16 février dernier (30-27) après un essai concédé dans les ultimes instants de la rencontre et – plus surprenant encore, de par son ampleur – à Saint-Marcel-Bel-Accueil (44-20, la plus lourde défaite du club servettien depuis sa naissance en 2014). À ces occasions, leur promesse de victoire les aura tristement et amèrement confinés à l’acte de contrition.



Mais revenons-en au match contre Givors. Vainqueur “limite” 29-17 – en galvaudant pas moins de dix-huit points au pied –, le SRC s’en est bien sorti. Cinq essais contre trois, le bonus offensif est même validé. Mais la mine reste basse chez la plupart des joueurs ; ils se savent perfectionnistes mais ont trop peu l’occasion de le démontrer sur le terrain cette année, au vu d’une résistance, à tous les coups, inédite. Mais il fallait bien s’y attendre après plusieurs années d’insolente – façon de dire – facilité. « Le temps de la Promotion Honneur [ndlr, la division régionale inférieure à la Fédérale 3] est fini. Désormais nous sommes amenés à affronter des clubs centenaires qui ont assurément l’habitude de jouer à ce niveau-ci », aiguillonne dès lors Jonathan Torossian, demi d’ouverture des premières heures du Servette RC. « Notre jeu se révèle parfois, même souvent, un peu décomposé mais cela ne nous empêche jamais d’aller vers l’avant. » C’est bien là retrouver l’ADN du club, n’allaient y changer quelque chose les défaites subies en phase régulière. Trouver patience est désormais marque de succès pour les joueurs de la Praille, laquelle précipitation à certains moments les dispute à un jeu de moins bonne facture. Mais n’en reste qu’ils occupent tout de même la première place du championnat. Et souverainement, dirons-nous. « Servette est premier, oui. Mais nous ne sommes jamais sereins sur nos matches que nous n’arrivons jamais à gérer de bout en bout. Nous jouons toujours en réaction et par à-coups. Cela [nous] irrite parfois », commente alors à chaud le Président Marc Bouchet.
« C’est dommage de perdre des points de bonus ou des rencontres pour des détails de jeu que nous sommes censés maîtriser en tout temps. » On l’aura compris : Servette domine mais les performances manquent de sainteté, de précellence – marque inaltérable d’un besoin continu d’apprentissage. « Notre situation actuelle au classement est très satisfaisante mais cela ne suffit pas. Nous devons absolument arriver à jouer chaque match quatre-vingts minutes et ne pas se délester par à-coups comme c’est le cas actuellement. Si l’on veut s’augurer de figurer plus haut [ndlr, en Fédérale 2 donc, mais sans le mentionner textuellement] la saison prochaine, il y a encore des défauts majeurs à gommer. Nous nous attendions, en début de saison, à un exercice difficile. Certes. Mais raison de plus de figurer disciplinés et concernés par l’enjeu. » Le ton présidentiel claque bien, ici – franc parler, bon parler.
Frédéric Dubrana, un franc connaisseur à la barre du SRC
Dès lors, le Servette Rugby Club, premier de son championnat – bien que bousculé par les meilleures équipes de sa région (comprenez la géographie française) – frappait déjà fort des poings aux portes de la Fédérale 2. Mais, en réalité, l’idée d’une promotion ne produisait pas plus de verbe que cela au Stade de Genève, bien que tout le monde y pensait (peut-être un peu trop bas, au vrai). « Nous sommes capables d’aller le plus loin possible. Aujourd’hui, nous sommes un bon club de Fédérale 3 mais tout le monde sait que l’appétit vient en mangeant et que l’on en veut toujours plus », se contenait alors Marc Bouchet. « Quand on monte d’une division inférieure, l’objectif premier que l’on se fixe reste le maintien. Aujourd’hui, on peut viser plus haut, croquer des points jusqu’aux phases finales, mais il nous faut surtout assurer une meilleure sécurité sur l’ensemble de nos matches », assure, de même concert, Frédéric Dubrana. Entraîneur des Grenat depuis septembre 2019, en remplacement de l’ancien international espagnol Gabriel Lignières, Dubrana connaît, de fait, bien ce niveau de jeu. Ancien joueur de Fédérale 1 pendant dix ans (de 1992 à 2002) à Fleurance et Lannemezan, il a longtemps été mis au parfum de l’exigence du rugby français. Sa carrière, par ailleurs, il l’a terminée dans plusieurs clubs historiques de Fédérale 3, avant de rejoindre la Suisse (principalement) pour y parfaire son expérience d’entraîneur et de spécialiste du sport de haut niveau. Le tout dans une transversalité qui ne tient nullement du factice.
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Depuis sa première expérience à la barre du RC Thonon Chablais Léman en 2010, il a ensuite rejoint le LUC [ndlr, Lausanne Université Club] en tant que consultant, tout en empilant au poste de responsable technique au sein de l’Association Vaudoise de Rugby (AVR) dès 2012. Dans la foulée, en 2013, il devient sélectionneur de l’équipe de Suisse espoirs (Suisse A), dont la plupart des joueurs ont connu leur première cape internationale dans le courant des deux dernières saisons en Europe Trophy, la deuxième division européenne de rugby (hors Six-Nations). Dubrana s’est aussi longtemps occupé des animations et des initiations des plus jeunes au sein des catégories U8, U10 et U12 à Hermance, avant d’y occuper le poste d’entraîneur principal dès juillet 2014. Finalement, en mars 2016, après une licence à l’Université Claude Bernard à Lyon, il entame un certificat en politique et management du sport à l’Université de Lausanne et intègre le staff élargi du Servette FC (l’équipe de football donc) à la préparation physique et à la réathlétisation des joueurs revenant de blessure. Et comme du football au rugby, il n’y a qu’un pas, au Stade de Genève, il en vient désormais également à (re)dresser, avec grand brio (si l’on n’en vient pas à tordre la réalité), également la barre du Servette RC en Fédérale 3. Notez qu’il n’en tire aucun orgueil, sinon une connaissance très approfondie de son sport et du sport, si bien qu’il est notamment, aujourd’hui, réputé en tant qu’expert Jeunesse et Sport à Macolin.
« Servette en tant qu’institution – donc pas seulement son équipe de rugby – ne m’est de loin pas inconnue. Je sais très bien qu’ici, on va vous demander toujours plus qu’ailleurs »
Frédéric Dubrana, entraîneur du Servette Rugby Club
« Le rugby que j’ai connu de mon temps était sans doute moins rapide que celui que l’on vit de nos jours. Mais le combat reste le combat, la seule réalité qui vaille est toujours celle du terrain. » L’homme d’expérience est aussi homme de précision ; perfectionniste à souhait, il connaît l’exigence des grandes institutions. Servette n’est pas un club de rugby historique à l’échelon fédéral français – il n’a, de fait, que six ans d’âge – mais la détermination de ses dirigeants et les moyens mis en œuvre pour parvenir au plus haut niveau lui soulignent une grande et respectable réputation. Si bien que son passage, cet été, du LUC (et la réalité du championnat de LNA suisse) à Genève marque le pas d’une promotion personnelle reconnue. « Je dois dire que depuis le temps, le LUC est un club de cœur pour moi. J’y ai commencé en tant qu’intervenant il y a longtemps », introduit alors Frédéric Dubrana avant de poursuivre : « Il est vrai qu’arriver à Servette représente une marche de rigueur supplémentaire. Mais le rugby reste le rugby, sans compter que Servette en tant qu’institution – donc pas seulement son équipe de rugby – ne m’est de loin pas inconnue. Je sais très bien qu’ici, on va vous demander toujours plus qu’ailleurs. C’est une mission que j’ai naturellement acceptée. » Sans le dévoiler – nous le savons désormais –, l’entraîneur d’expérience s’apprête à vivre une fin d’année 2020 très prometteuse en Fédérale 2 ; Servette a fort bien vécu bien en Fédérale 3 et sa promotion relève d’un mérite qui lui est dû. De ce point de vue-ci, le club ne fait que révéler toujours plus ses pleines garanties.

La richesse d’un collectif nourri par la propre Académie
« Nous conservons notre volonté de faire place aux jeunes formés dans notre Académie. » Marc Bouchet y avait tenu belle promesse à la création du club en 2014 ; le projet n’est pas uniquement de créer une équipe de rugby performante au plus haut niveau mais surtout de permettre un renouvellement constant et prospère du rugby auprès des jeunes. C’est pourquoi, dès le début, le projet ventilait autour de la création d’une école (officiellement labellisée par la Fédération Française de Rugby depuis l’été 2019), dans le but que les jeunes pousses qui y développent leur jeu finissent un jour par intégrer l’équipe première au sein d’un championnat de grande envergure. Ce jour tant espéré est presque arrivé ; si tout se passe bien, les premiers jeunes joueurs pleinement formés par l’Académie du Servette Rugby Club auront l’âge d’intégrer l’équipe A dès la saison 2020-2021. Ce moment se révèlera dès lors historique pour l’entière institution.
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En attendant, dès cette nouvelle saison, le club a freiné sur les mouvements de recrutement auprès des meilleures équipes de l’Hexagone (des Fédérale 2 et 1, voire de Pro D2). Pour preuve, en septembre dernier, le club comptait davantage de départs que d’arrivées, une première – là aussi – dans son histoire récente. Cinq joueurs ont changé de club (comptant notamment Fahd Rguibi Idrissi qui a rejoint Bellegarde, autre équipe de Fédérale 3 figurant dans la même poule que Servette) alors que cinq autres ont pris leur retraite sportive (à l’aune de l’international algérien Jilali Aïb). Six en revanche – et seulement, au regard des dix-sept recensés en 2017 et des dix-neuf en 2018 – ont rejoint le club Grenat en provenance d’équipes voisines (principalement de Rumilly, Grenoble, Florac, Annecy et Genève Plan-les-Ouates). Le reste des mouvements ne concerne que des promotions de grade à l’interne ; si bien que neuf individualités de la formation U19 – championne de sa ligue la saison passée – ont été promus avec l’équipe première en 2020. Une belle énormité, à vrai dire. « C’est la preuve par le fait que les jeunes, à Servette, ont leur opportunité de jouer. La motivation n’en est que grandie ; les anciens ont longtemps montré la voie à suivre, désormais ce sont aux nouveaux de ramener des résultats », assure donc Jonathan Torossian qui est également responsable de l’Académie à la Praille.
« Cette année, ils ont déjà été quarante-huit à avoir eu leur opportunité de jouer en Fédérale 3. C’est un réel groupe impliqué qui dépasse de beaucoup les simples équipes première et d’Excellence B. Tout le contingent aura sa chance à un moment donné. » Une réalité que confirme le Président Marc Bouchet : « Ce tournus collectif est à la fois souhaité mais, malheureusement, aussi rendu nécessaire. Sur notre contingent de soixante-neuf joueurs que nous avons à notre disposition, vingt-quatre sont [aujourd’hui] indisponibles, entre les impératifs professionnels, les blessures, les suspensions ou encore les cartons bleus [ndlr, une solution facilitée pour l’arbitre de suspendre un joueur en cas de suspicion de commotion cérébrale afin de favoriser une meilleure sécurité]. C’est ce qui fait que, cette année, nous n’avons pas vu deux week-end de suite les mêmes vingt-deux joueurs sur la feuille de match, sans compter que quatre d’entre eux jouent régulièrement à la fois le match des espoirs en Excellence B et le match séniors quelques minutes plus tard. »
« Nous avons actuellement beaucoup de sollicitations de jeunes qui témoignent leur réelle envie de jouer au rugby. Accéder à leur souhait est déjà une très belle réussite à mettre à notre crédit»
Marc Bouchet, Président du Servette Rugby Club

Ainsi, si l’on veut, l’effectif du SRC se révèle désormais stable entre la puissance de ses fortes individualités d’expérience – qui ont progressivement rejoint Genève ces trois, quatre, voire cinq dernières années et qui ont clairement fait le choix de rester – et la relève de qualité que le club dispense semaine après semaine, tour après tour. Arrivés à ce stade, le recrutement de nouvelles têtes ne constitue logiquement plus une priorité de circonstance pour la dirigeance servettienne. « Tout comme en 2020, la saison prochaine ne sera pas chargée en nombre de transferts », confirme Marc Bouchet. Cela prouve bien que l’heure est à la stabilité. « Nous avons actuellement beaucoup de sollicitations de jeunes qui témoignent leur réelle envie de jouer au rugby. Accéder à leur souhait est déjà une très belle réussite à mettre à notre crédit. C’est pourquoi, pour ces raisons-ci, l’ensemble de l’encadrement de l’équipe première – et ses joueurs – doivent tenir un niveau élevé d’exigence. » Un niveau élevé d’exigence qui se révèle partagé entre la direction, les éducateurs mais aussi – on ne le mentionne jamais assez – les formateurs d’arbitres, corps d’importance pour la bonne tenue d’un club de haut niveau. « Assurément, nous souhaitons exceller à tous les niveaux. Nous ne pouvons pas nous permettre la demi-mesure. Nous continuons sans cesse d’avancer sans ne jamais nous arrêter », tonne toujours le Président.