Chez les Thiébaud, le rugby est une affaire de famille

Bien que l’expérience ne soit pas la même entre Arnaud et Anne – le garçon ayant déjà huit ans de rugby derrière lui, la fille ne l’ayant réellement commencé qu’en 2016, après bien 14 ans d’athlétisme –, ils en finissent quand même par vivre les mêmes expériences sur les terrains et dans les vestiaires. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

Ils sont frère et sœur, partagent la même passion pour le rugby et sont tous deux capitaines de leurs clubs respectifs. Arnaud (20 ans) et Anne Thiébaud (25 ans) vivent une saison à destin croisé entre Stade Lausanne et l’Albaladejo. Quid du plus expérimenté, de la mieux préparée, de leur évolution respective dans les cadres variés de l’équipe nationale suisse ou de leurs ressentis sur les terrains de rugby, leur histoire (de famille et d’amitié) est racontée par ceux qui l’ont côtoyée au plus près… et par eux-mêmes.

Les histoires de famille – celles qui valent surtout la peine d’être racontées – sont probablement celles qui passionnent le plus, dans n’importe quel domaine. Sur un carré vert de rugby, le mystique de la relation entre une sœur et son frère – même si souvent à distance – en ressort d’autant plus relevé, surtout quand ils plongent ensemble dans leur passion qui les rapproche du tout au tout. Ils se retrouvent souvent le dimanche soir, parfois après un match, parfois par plaisir de la rencontre ; ils se racontent leurs expériences, leurs craintes, leurs doutes mais aussi leurs certitudes, leurs convictions, pousses de leurs inéluctables responsabilités de capitaine à tous les deux. « On débriefe généralement de nos matches, c’est vrai. Mais on essaie aussi de ne pas trop en parler », précise le plus jeune des deux. Le garçon et la fille se ressemblent en tous points ; il n’est pas fait figure de valeur physique, leurs connivences, leurs similitudes sont avant tout intrinsèques. Les traits sont évidents ; sur un terrain de rugby – quand ils n’y jouent pas –, ils se montrent relativement peu démonstratifs. Ils se soutiennent mutuellement, bien sûr, mais ils n’exhortent pas non plus leur tifo le plus virulent. « Quand je vais voir les matches d’Arnaud, je le regarde moins lui que mon poste », lime alors Anne.

Il y a, dans la transparence de leur état d’esprit, la connaissance parfaite du sport collectif. Et tout le monde, dans la lignée des Thiébaud, en respecte le sens moral. « Quand il arrive que notre mère et/ou notre père viennent nous soutenir, ils crient davantage à la faveur de Stade Lausanne, plutôt qu’Arnaud et davantage à la faveur de l’Albaladejo, plutôt que moi-même », raconte la jeune femme, fraîchement diplômée en sciences du sport et du mouvement à l’Université de Lausanne. « Il faut que le rugby reste un sport d’équipe, chacun regarde toujours le collectif », poursuit-elle dès lors.

« Bien que nous soyons tous deux capitaines, nous n’avons pas la même approche de notre rôle »

Anne Thiébaud, capitaine de l’Albaladejo Rugby Club et ailière de l’Équipe de Suisse

Dans la famille, ils sont d’ailleurs cinq ; pas tous pratiquants du rugby – un frère est par ailleurs plutôt engagé dans le football – mais tous s’adonnent au sport. Le papa fut aussi inséré dans le monde du ballon ovale il y a de cela plusieurs années. « Mais de rugby, nous en parlons surtout quand nous sommes tous les deux avec Anne », précise dès lors Arnaud. Car c’est entre eux que s’écrit – et s’édicte – le petit précis du parfait capitanat. Bien que l’expérience ne soit pas la même entre Arnaud et Anne – le garçon ayant déjà huit ans de rugby derrière lui, la fille ne l’ayant réellement commencé qu’en 2016, après bien 14 ans d’athlétisme –, ils en finissent quand même par vivre les mêmes expériences sur les terrains et dans les vestiaires. « Le fait que nous soyons tous deux capitaines ne signifie pas que nous ayons la même approche de notre rôle », débute alors Anne. « Arnaud a toujours les bons mots à mon égard, quand je lui demande des conseils. D’ailleurs, j’apprends plus auprès de lui que lui auprès de moi. »

Ça, on l’a dit : c’est l’expérience qui parle. Mais il y sied une différence notoire dans la relation qu’Arnaud entretient avec ses coéquipiers du Stade Lausanne, que celle qu’Anne dispose auprès des filles de l’Alba. « Ceci est certainement dû aux rapports différents que les garçons entretiennent entre eux et les filles entre elles. Chez eux, il est surtout besoin de crier pour régler un problème. Chez nous, il est davantage besoin de calme pour discuter et prendre le temps de résoudre ce qui ne va pas », précise alors Anne.

Les filles de l’Albaladejo pointent à une difficile septième et dernière place au classement de la LNF-A. Sans avoir inscrit le moindre point en cette première partie de saison, les Lausannoises font moins bien que les néo-promues bâloises. Une situation que la jeune capitaine – depuis un an et demi – tend à prendre pour elle. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Meyrin]

Le bon vent de Stade Lausanne, la mauvaise passe de l’Alba

Il faut dire que la situation comptable des deux équipes dans leur championnat respectif n’est – à proprement parler – que trop peu comparable. En LNA, Stade Lausanne réalise une belle passe ; cinquième du championnat (13 points) à une unité des champions en titre Grasshopper et à deux des Chevaliers de Plan-les-Ouates, ils peuvent s’autoriser d’espérer intégrer les demi-finales cette année, quelques mois seulement après avoir échoué en finale de Coupe de Suisse en juin dernier à Vidy (9-13).

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Mieux, Stade Lausanne sort d’une victoire 15-28 sur le terrain de l’Entente Yverdon-Neuchâtel le 2 novembre dernier et d’un match nul remarquable 26-26 sur leur terrain de Chavannes une semaine plus tard face aux Pirates du RC Nyon. Tout le contraire des filles de l’Albaladejo qui pointent à une difficile septième et dernière place au classement de la LNF-A. Sans avoir inscrit le moindre point en cette première partie de saison – seuls 12 points inscrits en match pour deux essais –, les Lausannoises font moins bien que les néo-promues bâloises (2pts). Une situation que la jeune capitaine – depuis un an et demi – tend à prendre pour elle. « En tant que capitaine, je me suis remise en question plus d’une fois. Je voulais écrire un mot à mes coéquipières pour relater notre situation mais Arnaud m’a déconseillée de le faire. Et il a raison ; c’est sur le terrain qu’il faut que je sois présente. C’est dans ces instants-ci que l’on se rend compte qu’il y a trop d’états d’âme chez nous, les filles », confie alors Anne.

« Je suis, à titre personnel, un peu mauvaise perdante mais je ne l’exprime jamais en plein jeu. Nous nous rendons compte toutefois qu’en changeant quelque peu nos objectifs durant les matches, nous pouvons recommencer à nous satisfaire de certaines de nos prestations, malgré la défaite. Par exemple, face à Lucerne [ndlr, revers 41-7 le 16 novembre dernier à Allmend], notre essai (transformé) et notre envie nous a rendues fières de notre performance. Nos objectifs, en ce sens, ont changé ; nous visons, à chaque fois, d’inscrire un essai et d’encaisser le moins de points possibles », poursuit la jeune femme avant de lâcher, quelques secondes plus tard : « Même si je dois tout de même avouer que je ne le vis pas très bien actuellement. » C’est cela, avoir le sens du jeu et de la responsabilité ; une preuve certaine de maturité.

« À l’ERL, nous étions entre jeunes joueurs qui aspiraient au plus haut niveau. Désormais, je suis inséré dans un groupe qui comprend aussi des individualités plus expérimentées »

Arnaud Thiébaud, capitaine du Stade Lausanne Rugby Club

Pour Arnaud, la pression des résultats est, somme toute, (un peu) moindre. À sa troisième saison avec l’équipe première de Stade Lausanne, il a réalisé toute sa formation rugbystique à l’ERL (École de Rugby de Lausanne) jusqu’à ses 18 ans. Il y côtoyait déjà ses coéquipiers de maintenant : les jeunes Henry (et Louis) Pharaony, les frères Axel et Oscar Goudet ou encore le demi d’ouverture Kieran Collis, tous âgés de 21 ans ou moins. Son capitanat, il le détient depuis le mois de septembre – soit depuis la reprise du championnat de LNA. Soit – encore – trois ans après l’avoir porté avec les U18 de l’ERL. Et le saut n’est pas anodin : « À l’ERL, nous étions entre jeunes joueurs qui aspiraient au plus haut niveau. Désormais, je suis inséré dans un groupe qui comprend aussi des individualités plus expérimentées de 30 ans, voire plus », explique-t-il.

Le vétéran André Pharaony – en réalité – a 53 ans et il a décidé de rempiler, pour sa dernière saison, jusqu’au terme de l’été 2020. Mais cela n’y fait rien ; Arnaud est un jeune homme qui sait garder son calme en toutes circonstances. Son histoire au sein du club lui témoigne aussi le sens de résilience dont il a su s’imprégner ces dernières trois années. « À l’ERL, nous avions pris l’habitude de gagner (pratiquement) tous nos matches. À notre arrivée au Stade Lausanne, nous [ndlr, avec tous les jeunes de sa génération] avons pris une petite claque quand nous avons commencé à perdre et que cela devenait une généralité », explique-t-il alors.

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« C’est une situation compliquée au début, surtout quand l’on a une place à se faire au sein d’un groupe plus expérimenté. Mais cela l’est paradoxalement moins au sein d’une équipe qui s’est habituée à perdre au fil des mois. » Et là aussi, tout est devenu une question d’objectifs : « Nous étions heureux quand nous parvenions à nous sauver de la relégation. Seulement, maintenant, il nous faut savoir évoluer dans l’autre sens », assure Capitaine Arnaud.

« En tant que jeunes, timides, nous ne croyons pas toujours en nos capacités. Mais il existe plusieurs exemples qui démontrent que nous en avons »

Arnaud Thiébaud, capitaine du Stade Lausanne Rugby Club

C’est un euphémisme mais cela est constamment rappelé. Parfois par indulgence mais jamais en guise de dérobade : l’équipe stadiste est une équipe (trop ?) jeune, « trop gentille avec les adversaires qui savent en tirer profit », entend-t-on souvent en cœur au sein du club. Les quelques joueurs plus en âge de raison servent bien sûr de support, parfois remarquable mais jamais de façon automatique : c’est le propre du sport de compétition.

Au vrai, le salut de l’équipe provient de la bravoure et de l’agressivité toute relative de ses plus jeunes individualités : « En tant que jeunes, timides, nous ne croyons pas toujours en nos capacités. Mais il existe plusieurs exemples qui démontrent que nous en avons », débute alors Arnaud avant d’illustrer ses propos. « Face à Nyon (26-26), nous étions clairement en-dessous en première mi-temps et nous nous sommes rendus compte que cela ne marchait pas si nous restions trop timorés face à leur jeu. Il fallait de la hargne, il fallait être méchant. Il nous faut vraiment avoir un état d’esprit conquérant et nous l’avions eu par la suite. Nous commençons désormais à reprendre goût à la victoire. » Si bien que « perdre des matches ne va pas me dégoûter du rugby. Mais cela dépend aussi de la manière par laquelle nous les abordons », conclut-il alors.

Arnaud, du haut de ses 20 ans, sort à peine des sélections espoirs (U16, U17, U18 et U20) qui ont constitué la grande partie de sa carrière nationale avec le maillot de l’Équipe de Suisse. Les étapes de progression, il les a – en réalité – toutes traversées. Il est, depuis septembre, capitaine de Stade Lausanne. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Chens-sur-Léman]

Arnaud en Équipe de Suisse ? une (simple) question de temps

Arnaud, du haut de ses 20 ans, sort à peine des sélections espoirs (U16, U17, U18 et U20) qui ont constitué la grande partie de sa carrière nationale avec le maillot de l’Équipe de Suisse. Les étapes de progression, il les a – en réalité – toutes traversées ; détecté en 2013 par l’ancien international de l’Équipe d’Espagne Gabriel Lignières et sélectionné pour la première fois en 2014 avec les U16 suisses, Arnaud s’est forgé, d’année en année, de sélection en sélection, pour toquer aujourd’hui à la porte de la première. Le garçon a tout pour être précoce au sein du contingent national élite ; dans son club, à Lausanne, il s’y est fait une belle renommée – musclé physiquement et psychologiquement. « Je me souviens de lui comme un garçon timide, prometteur mais un peu réservé. Je sais qu’aujourd’hui, pourtant, il s’est affirmé comme un véritable athlète », précise l’actuel et frais sélectionneur U20 de l’Équipe de Suisse, Gabriel Lignières.

L’ancien entraîneur du Servette Rugby Club – avec lequel il a connu une promotion en Fédérale 3 française et un titre de champion de France en 2018 – n’a plus vraiment gardé le contact avec le jeune homme mais avoue le suivre du coin de l’œil. « En quatre ans, un jeune joueur évolue forcément. Mais cela ne veut pas toujours dire qu’ils évoluent dans le bon sens. D’après ce que je vois, Arnaud a entrepris une bonne route », poursuit-il. « Je pense qu’il est encore un peu juste pour prétendre à un poste au sein de l’équipe nationale maintenant. Toutefois, s’il continue à travailler comme il l’a fait ces quatre dernières années, il devrait pouvoir intégrer le groupe d’ici deux ou trois ans. »

« Il faut étudier l’évolution du niveau de la LNA en Suisse, y compris le niveau de compétition dont ces jeunes bénéficient au sein de celle-ci »

Sébastien Dupoux, Directeur Technique National

La version est la même quand l’on interroge son entraîneur à Stade Lausanne, Mario Bucciarelli : « J’ai proposé, à plusieurs reprises, Arnaud au DTN [ndlr, Directeur Technique National, Sébastien Dupoux] qui l’a toujours refusé pour des raisons de tonnage. Néanmoins, selon mon humble avis, l’Équipe de Suisse aurait tout intérêt à intégrer Arnaud dans le groupe. Je crois fermement à son talent et à son potentiel. » C’est que parfois, il suffit de prendre son mal en patience. Sébastien Dupoux, justement, précise : « Arnaud a fait de grands progrès auprès de certains joueurs de LNA. Il a intégré Suisse A [ndlr, le groupe réserve de l’équipe nationale], y a réalisé deux stages à l’heure actuelle et est – par la logique d’un contingent soumis aux blessures et aux défections récurrentes – apte à participer aux matches test qui auront lieu en février à Plan-les-Ouates. »

« C’est un joueur complètement dans la filière, intégré dans le processus. Mais gardons à l’esprit que le passage entre les sélections U20 et la grande équipe est marqué par un gap non négligeable », soutiendra alors le DTN, esquissant – plus précisément – les écarts de niveau actuellement présentés entre la première division suisse et l’équipe nationale. « Arnaud est un joueur de troisième ligne, poste pour lequel il y a une concurrence féroce », continue dès lors Sébastien Dupoux, nommant notamment en exemple le capitaine Cyril Lin.  « Cyril est certes un joueur de LNA [ndlr, également capitaine du RC Nyon] mais il a une grande expérience de jeu en France, tout comme la plupart des candidats aux mêmes postes. La seule chose que je peux transmettre en ce moment est qu’il faille étudier l’évolution du niveau de la LNA en Suisse, y compris le niveau de compétition dont ces jeunes bénéficient dans celle-ci. »

« Je n’ai pas encore eu la chance de côtoyer Arnaud en équipe première, mais nous le convoquerons probablement pour le match amical contre la Côte d’Ivoire en février »

Olivier Nier, sélectionneur du XV de l’Edelweiss

Mario Bucciarelli est bien sûr, de son côté, un grand connaisseur du garçon. En tant qu’entraîneur de la première équipe lausannoise – sans doute la plus jeune du premier championnat de Suisse –, il sait mettre la jeunesse dans les meilleures conditions pour évoluer. « L’apport de Mario a sans doute remis Arnaud en confiance », précise alors Gabriel Lignières, également expert Jeunesse+Sport avec l’entraîneur italien. « Il a le don de conditionner les jeunes dans la juste mentalité pour réussir. Et dans un effectif peu expérimenté mais qui présente des résultats concrets en LNA, Arnaud a certainement énormément évolué grâce à son manager. »

Tout comme Axel Goudet, Nicolas Lugeon ou encore Geoffrey Pelletier (LUC) – qui eurent leur chance sur le tard lors du dernier match de l’Europe Trophy 2018-2019 à Schaffhouse contre la Lituanie (victoire 34-24) –, il semble certain qu’Arnaud Thiébaud puisse goûter, lui aussi, au parfum du maillot national. Le sélectionneur Olivier Nier, par ailleurs, semble également s’avancer : « Je n’ai pas encore eu la chance de côtoyer Arnaud en équipe première, mais nous le convoquerons probablement pour le match amical contre la Côte d’Ivoire en février. » Un rituel hivernal face aux Éléphants d’Edgar Babou qui ne manque jamais d’apporter son lot de nouveautés dans les rangs du XV de l’Edelweiss.

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De son côté, Arnaud sait le travail qui lui reste à entreprendre. Il sait aussi le travail qu’il a déjà entrepris et qui lui vaut des retours sensés. « Quand Arnaud a commencé le rugby, il était plus timide », aiguillonne sa sœur Anne. « Mais depuis, il a gagné en confiance, notamment en se musclant et en prenant plus de place sur le terrain. » Assis à côté, Arnaud rempile : « Je sais que pour un troisième ligne, il est besoin d’avoir du lourd. Et cela est d’autant plus marqué quand on passe de sélection en sélection. En U16, U17 et U18, nous vivons et progressons pas bonne ambiance mais plus haut, il faut aussi faire montre de robustesse physique. Quelque chose change dès lors que l’on intègre la première équipe ; l’on rencontre des joueurs différents, de tous bords et il n’est pas toujours évident de s’y faire une place quand les rassemblements n’y sont pas fréquents non plus. » Une réalité que le jeune homme connaît dans un contexte différent, lui qui a également été repéré auprès de l’équipe nationale de rugby à 7 ; joueur en U18 puis en séniors. Un point commun – parmi tant d’autres – qu’il détient avec sa sœur.

Arnaud sait le travail qui lui reste à entreprendre. Il sait aussi le travail qu’il a déjà entrepris et qui lui vaut des retours sensés. « Quand Arnaud a commencé le rugby, il était plus timide », aiguillonne sa sœur Anne. « Mais depuis, il a gagné en confiance, notamment en se musclant et en prenant plus de place sur le terrain. » © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

De la danse classique à la Women’s Rugby Europe Trophy

L’histoire d’Anne Thiébaud, dans le monde du sport, est d’autant plus protéiforme. Petite, elle avait entrepris ses premiers pas dans la danse classique, « mais c’était trop calme », rigole-t-elle, avant de narrer – en quelques secondes seulement – une entière “vie” dans l’athlétisme. Spécialiste des lancers – on l’entrevoit sur les réseaux sociaux un javelot en main –, c’est avec le poids (la discipline) qu’elle se démène jusqu’à la médaille de bronze en championnats suisses U23 en 2015, une année seulement avant de se reconvertir dans le rugby, auprès de la seule équipe féminine présente à Lausanne à l’époque : l’Albaladejo. « J’ai choisi de changer de voie pour deux raisons », explique-t-elle. « La première est en fonction du sport d’équipe, la seconde au regard de la vision différente que l’on a, au rugby, de la compétition. L’on est moins dans une perspective élitiste et individuelle et cela me plaît. »

Le planning y est aussi nettement plus léger ; d’un entraînement par jour dans la voie de l’athlétisme, elle a diminué ses séances à deux par semaine lorsqu’elle est entrée dans le giron du ballon ovale. « Et on peut difficilement en avoir plus, même si nous le voulions. » Il n’empêche que son entier parcours poursuit un sens logique ; étudiante en sport études au gymnase Auguste Piccard – rendu possible par sa médaille nationale –, elle s’est ensuite diplômée à l’Université de Lausanne, ainsi qu’à la Haute École Pédagogique (HEP), avec le dessein d’y enseigner le sport aux plus jeunes, « ce que j’ai toujours souhaité faire depuis toute petite. »

« Chez les filles, il y a certes un rapport plus réservé dans les contacts. Mais aucune n’est timide sur le terrain ; les filles, au rugby, ont toutes quelque chose à exprimer ou affirmer »

Anne Thiébaud, capitaine de l’Albaladejo Rugby Club et ailière de l’Équipe de Suisse

L’approche au rugby est tant moins compétitrice que plus ouverte, affirmera donc la jeune femme. « J’ai tout de suite aimé ce sport, d’autant plus que j’ai connu un peu tous les postes ». Ayant débuté à l’avant, elle fut ensuite replacée à l’arrière avant de connaître notamment une titularisation en tant qu’ailière avec l’Équipe de Suisse le 23 novembre dernier face à la Finlande à Yverdon-les-Bains (victoire 32-0). Comme toujours, néanmoins, au début, tout ne coule pas de source ; toute novice au tournant de l’année 2016, Anne a dû s’acclimater au mieux dans un collectif – lui aussi – des plus néophytes. « Au tout début, je suivais surtout les matches d’Arnaud depuis la maison. Puis, je lui demandais des retours sur mes matches car j’étais un peu perdue. Mais, au fil du temps, j’ai surtout appris à progresser en même temps que mon équipe, auprès d’entraîneurs toujours plus qualifiés. »

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« C’est une histoire de jeunes filles dont certaines jouaient déjà dans différents clubs de la région et voulaient perpétuer le rugby. Elles trouvaient assez curieux qu’il n’existe aucun club à Lausanne, sachant que l’Albaladejo est le premier club de rugby en Suisse. Il aura donc fallu attendre pas moins de 55 ans avant de pouvoir créer cette excision féminine », assurait alors il y a tout juste trois ans l’alors Président de l’Albaladejo Xavier Mirabaud. C’est la preuve qu’au rugby – chez les garçons, comme chez les filles –, tout part d’une volonté saine, une conviction. Le jeu est certes divers, au passage du masculin au féminin, mais la détermination reste toujours la même. « Chez les filles, il y a certes un rapport plus réservé dans les contacts mais nous avons appris à ne jamais nous montrer timides sur un terrain ; les filles, au rugby, ont toutes quelque chose à exprimer ou à affirmer », explique alors Anne.

« Anne a un rôle important dans le squad national ; en bonne vivante, elle sait créer une cohésion et des liens naturels entre les filles »

Emmanuel Revert, co-sélectionneur de l’Équipe de Suisse féminine et entraîneur des trois-quarts

Aujourd’hui, la plupart de ces filles se retrouvent tant en séances avec leur club qu’aux rassemblements divers de leurs équipes nationales, à 7 ou à XV. Seulement, les mentalités et les réalités évoluent – tant mieux. Il fut un temps où chaque rassemblement équivalait à son précédent. Or, les équilibres se meuvent et la réalité du club n’est plus tout-à-fait la même qu’en sélection. « On ressent des différences d’entre tous les cadres ; entre les sélections à 7 ou à XV, les ambiances changent. Elles changent aussi entre l’Alba et l’Équipe de Suisse. En club, nous sommes un groupe de potes qui jouons alors qu’en sélection, nous sommes un groupe de potes qui nous entraînons… mais avec plus de compétition entre nous », lâche alors la jeune capitaine de l’Alba. Et c’est bien dans ce contexte qu’apparaissent les nouveaux défis de l’ailière nationale.

Pas sélectionnée sur les ailes lors de la rencontre face à la République Tchèque en novembre 2018 (défaite 5-10) mais présente lors du rassemblement à Schaffhouse face à la sélection de France Gendarmerie (défaite sur le fil 22-32), la jeune femme a dû élever son niveau de jeu tout au long de l’année 2019 pour retrouver une place de titulaire. « Anne est une fille, comme tant d’autres dans la sélection, qui ont su s’imposer, elle s’est remise en question et s’est construite telle qu’elle est aujourd’hui », précise son sélectionneur Emmanuel Revert. « Contre la République Tchèque à Yverdon en 2018, il a été noté un déclin général auprès d’une bonne partie des joueuses. Et beaucoup ont su se renforcer les mois passant. Et c’est exactement ce que nous cherchons aujourd’hui avec Nick [ndlr, Blackwell, entraîneur des avants]. Il ne suffit plus d’être présente, il faut aussi donner. Avec la concurrence montante actuelle, c’est l’ensemble de l’équipe qui en tire bénéfice. »

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« À mon retour lors du match face à la République Tchèque [ndlr, le 9 novembre dernier, défaite 15-5 à Brno], cela ne s’était pas bien passé du tout », relate à son tour Anne. Une impression que confirmera aussi Emmanuel Revert. « J’ai eu besoin d’une remise en condition, notamment sur les plaquages. » La jeune femme a alors pris le temps de comprendre ses erreurs, ses errances parfois et – auprès de son frère Arnaud, justement – a su identifier ses manquements dans le jeu. « Anne m’a appelé pour discuter de sa performance en République Tchèque. Mais c’est elle qui a le plus parlé ; ses points forts et faibles, elle les a mentionnés par elle-même. Je n’ai eu juste qu’à acquiescer. C’est aussi la preuve par l’exemple que sa relation avec son frère lui permet de progresser de manière concrète », précisera alors le sélectionneur français, en notant la force de caractère de son ailière.

Cette puissance de feu, c’est par ailleurs ce qui lui a valu la redite le 23 novembre face à la Finlande à Yverdon-les-Bains, toujours sur l’aile. Et le sourire y est revenu ; une éclaircie dans le ciel brumeux et pluvieux du nord-vaudois. « Notre victoire à Yverdon (32-0) m’a pleinement remise en selle », exprime-t-elle alors, son visage gardant le plein radieux. « Nous étions six ou sept filles de l’Albaladejo. Et j’ai savouré la partie [ndlr, de laquelle elle a notamment inscrit le premier essai à la 4e minute]. » Comme un écran de renouveau dans un groupe relevé par le succès et les perspectives de victoire finale dans le Trophy, la deuxième division du rugby européen.

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Il faut dire que le groupe n’est pas seulement uni par les liens rugueux du rugby ; c’est avant tout une histoire d’amitié, comme on dit. « Avec les filles, nous essayons de ne pas toujours parler de rugby quand nous nous rencontrons, parce qu’au bout d’un moment, il peut y avoir overdose », sourit-elle. « En réalité, j’en parle surtout avec Julie Gaudin qui est ma vice-capitaine à l’Alba. On forme une sorte de binôme ; on se raconte notre rapport à la compétition et c’est à peu près la seule avec qui je pousse la discussion aussi loin. » Il y a assurément, en cela, la qualité première d’Anne qui s’exprime – aussi naturellement que par la prise en considération d’un besoin commun à l’équipe. Une sorte de perfectionnisme qui la tire à penser au bien du collectif, toujours, tant en club qu’au sein de l’encadrement national. « Il y a toujours un besoin d’accompagnement auprès de chacune des filles », tente d’expliquer Emmanuel Revert.

« En cela, Anne a un rôle important dans le squad national ; en bonne vivante, elle est capable de créer une cohésion et des liens naturels de bonne relation entre les filles. Et cela passe souvent par la déconne, elle aime blaguer et détendre l’atmosphère. C’est bien évidemment ce qui est nécessaire dans un groupe. Pour arriver à de bonnes performances sur le terrain, il ne suffit pas de travailler sur le vert, encore faut-il que tout se passe bien en dehors du terrain, et en dehors du rugby », conclura dès lors le sélectionneur national. Curieuse et intéressée de nature, Anne Thiébaud est, dès lors, avant tout une bosseuse, autant qu’une parfaite coéquipière. Autant dire qu’elle fait du bien autour d’elle, et cela n’est pas donné à tout le monde. « C’est un rôle qui la fera évoluer avec le temps. Elle sait devoir aller de l’avant et se donne toujours les moyens d’y parvenir de par ses qualités athlétiques reconnues mais aussi mentales. » C’est que la jeune femme fait de l’effet…