Les Skins – les “Australiennes” ou familièrement appelées finales par K.O – auraient pu avoir raison de la résistance physique des athlètes. Mais à la Swim Cup de Lausanne, tous ont fini par dûment jouer le jeu, faisant des 50 mètres papillon et nage libre les clous d’un spectacle enjoué deux jours durant à la piscine de Mon Repos. Par-delà les grands noms de la natation mondiale – le Brésilien Nicholas Santos, l’Ukrainien Andriy Govorov, le Belge Pieter Timmers ou encore l’Allemand Philip Heintz –, les jeunes locaux du Lausanne Natation ont réellement pu s’aligner dans un bassin de compétition; le jeune spécialiste du papillon (et crawler) Alex Ogbonna en a notamment profité pour remettre l’ouvrage sur le métier au terme d’une saison – et d’une année 2019 – teintées de réussites… mais aussi de réalisme.
« Ce sera fatigant pour les nageurs, mais spectaculaire. Nous voulions rendre quelque chose au public pour cette quatrième édition. Le but étant de toucher un public plus large et pas seulement spécialiste. » Nicolas Balthasar regardait la finale en skins des 50 mètres papillon vendredi en fin de soirée à la piscine de Mon Repos. Le format n’est guère nouveau mais a fraîchement été introduit cette année à la Lausanne Swim Cup et – faut-il retourner ce qui se doit de l’être – le rendu était spectaculaire. « Avec trois départs toutes les trois minutes [ndlr, en alternance entre les séries des dames et des messieurs], il n’y a pas le temps de s’ennuyer. On vient de sortir l’idée mais je note que les nageurs jouent le jeu; ils restent des compétiteurs nés », sourit dès lors le Président du comité d’organisation. Les Skins – à l’Australienne – c’est ça; à peine remporté sa série, qu’on en dispute une deuxième, puis une troisième dans la foulée. Exigeant, même pour les plus aguerris; ce qui fit dire au vainqueur brésilien Nicholas Santos que le bassin lausannois était « challenging », autant qu’il permettait « une excellente remise en forme pour conclure l’année ». Pour le nageur brésilien – qui affirme pourtant vouloir se concentrer sur les 50m et 100 mètres en nage libre en vue des Jeux Olympiques de Tokyo ce prochain été, « ma discipline de début de carrière » – ses 50 mètres papillon lui marquent une conclusion d’année logique sur une discipline qu’il affectionne particulièrement (et dont il en détient, depuis une année, le record du monde en petit bassin en 21”75). À Lausanne, il a été un tantinet moins rapide – 22”81 en séries le matin et 22”32 en finale le soir – mais suffisamment svelte pour établir, par deux fois, le record du meeting. L’équivalent – rien que ça – de la huitième meilleure performance mondiale de l’année.
Derrière, le nageur du Lausanne Natation Alex Ogbonna (classe 1999, soit 19 ans le cadet du Brésilien), tape de l’œil le – voire les – couloirs qui le précèdent. Il nage bien aux côtés d’un multi-médaillé mondial (argent en grand bassin aux Mondiaux de Doha en 2014 et par sept fois médaillé en championnats du monde sur le petit). Un peu plus loin, l’athlète ukrainien Andriy Govorov n’est pas un néophyte non plus – argent (2010) et bronze (2014) mondiaux sur bassin olympique –, séries et finales relevées au calibre d’un très haut niveau international. Voilà tout ce dont avait besoin le Lausannois, membre du cadre national espoirs depuis 2013, en transition vers l’Élite en cette fin 2019. « On fait un peu plus attention, dans l’eau, à ce que le voisin fait, surtout quand il s’agit du ou des recordmen du monde. On pense forcément à eux et on entre dans une logique totalement différente d’une simple exhibition. L’on se sent devoir faire montre de notre talent vis à vis de ces champions, même s’ils ne prêtent pas nécessairement attention à nos propres performances. C’est mental mais ça forge », explique alors Alex Ogbonna quelques minutes après sa dernière course de la soirée à Mon Repos. Le lieu lui est forcément familier; il s’y entraine sept à huit fois par semaine, une préparation qu’il égrène de quelques séances hebdomadaires en salle. Après ses courses – en compétition qui n’en sont pas nécessairement une –, il retourne plonger dans le bassin. Il brasse une longueur avant de papillonner de nage en nage et ajoute pas loin d’un kilomètre à son mouvement quotidien. D’autant plus en sortant des Australiennes qu’il a disputées vendredi soir, il en vient à soulager ses courbatures, récupère et réduit le lactique dans ses muscles. « Les Skins ? J’en ai déjà fait et j’adore ça. J’en ai même parlé avec un Américain [ndlr, le natif de Porto Rico établi dans l’Ohio Erik Risolvato] et il trouvait cela très bien, ça met de la compétition hors compétition et ça en devient du jeu. Cela nous conditionne aussi à une autre manière de penser les courses: on pense à la place et moins au chrono et, d’une certaine manière, ça libère. »
« Je travaille sur ma nouvelle technique avec prise du coude un peu plus haute. Ça ne me fait pas nager différemment mais cela m’apporte de nouvelles sensations auxquelles je ne suis pas encore habitué »
Alex Ogbonna, spécialiste des nages libre et papillon (Lausanne Natation)
Son sourire, Alex Ogbonna, ne le quitte jamais. Du moins jamais aux abords d’une piscine. Son année 2019, le jeune Lausannois l’a passée sans pression aucune; ses résultats – tant en bassin olympique qu’en petit – progressent. En Suisse comme à l’étranger, il définit ses priorités mais ne rechigne jamais devant l’obstacle, si bien que l’une de ses nages de prédilection – le crawl – fait l’objet de réajustements constants depuis 2018. « Je n’abandonne pas le crawl mais je m’adapte. Je travaille sur ma nouvelle technique avec prise du coude un peu plus haute. Ça ne me fait pas nager différemment mais cela m’apporte de nouvelles sensations auxquelles je ne suis pas encore habitué », explique-t-il alors. Par voie de logique ainsi, en 2019, c’est sur le papillon que le jeune homme s’est davantage distingué avec un titre de vice-champion suisse (sur 50m) en grand bassin en mars dernier et une prometteuse quatrième place aux mêmes championnats suisses sur le petit bassin en novembre. Sans compter qu’en cette saison basse, il n’a cessé d’aligner ses meilleures performances personnelles – sur le sprint court, il s’était établi en 24”20 en début d’année, avant d’améliorer en 24”16 aux championnats suisses en novembre, 24”12 en séries à la Swim Cup, puis 23”88 le soir en finale vendredi 13 décembre. Sur le plan personnel, l’heure est joyeuse, quand bien même l’expérience des grands rendez-vous internationaux se veut (encore) partielle. Mais à 20 ans, cela se comprend aisément.

Les Jeux Olympiques, un rêve objectif pour 2024
Alex Ogbonna n’est pas un novice dans sa catégorie d’âge, précisons-le. Multiple fois champion vaudois et romand depuis 2009 et 2011, champion suisse espoirs trois années consécutives entre 2014 et 2016, demi-finaliste au festival olympique de la jeunesse en 2015 à Tbilissi (Géorgie) et demi-finaliste aux championnats d’Europe juniors en 2017, il détient cette graine de champion. Alors pourquoi ne pas viser les JO de Tokyo cet été ? « C’est objectivement trop tôt », laisse entendre le jeune nageur du Lausanne Natation qui n’était pas aligné aux championnats d’Europe de Glasgow en 2018, ni et cette année au Tollcross International Swimming Centre. « C’est un rêve mais il serait plus réaliste d’attendre encore un peu. Au vue de ma progression ces dernières années, j’ai un peu ralenti, j’ai essayé de changer de vision d’entraînement et de technique de nage. Ce n’est pas très stable en ce moment et par conséquent, il serait plus objectif de viser les championnats d’Europe Élite en mai à Budapest, comme je n’ai pas pu le faire cet hiver. Ensuite, on tentera une qualification pour les championnats du monde en 2021 et enfin les JO en 2024 à Paris. »
« J’ai préféré Lausanne à Amsterdam. Rester chez soi, à la maison, est une solution toujours plus simple. Tout cet automne a été dédié aux entraînements en petit bassin et la transition aurait été un peu rude si je m’étais aligné aux Pays-Bas »
Alex Ogbonna, spécialiste des nages libre et papillon (Lausanne Natation)
C’est par ailleurs, l’une des raisons – parmi d’autres – qui font que le jeune Lausannois soit resté nager à la Swim Cup de Lausanne en ce mois de décembre, plutôt que tenter des temps rapides sur l’une des trois autres Swim Cup sur grand bassin organisées au même instant aux Pays-Bas – à Amsterdam, La Hague puis Eindhoven – comme l’ont fait Maria Ugolkova, Antonio Djakovic, Yannick Käser et Roman Mityukov. Objectivement, il ne cherche pas encore à établir ses temps qualificatifs pour la prochaine saison sur la distance olympique. Il aurait pu s’y mettre mais là aussi, le temps lui sert de bon remède. « J’ai préféré Lausanne à Amsterdam. Rester chez soi, à la maison, est une solution toujours plus simple. Mais il s’agit d’un choix plein tout de même, je n’étais pas prêt pour tenter une qualification pour les championnats d’Europe en grand bassin maintenant. Je la testerai vers février [ndlr, à commencer par le 53e Challenge International de Genève prévu aux Vernets], quand j’aurais repris mes marques et mes temps sur grand bassin. Tout cet automne a été dédié aux entraînements en petit bassin et la transition aurait été un peu rude si je m’étais aligné aux Pays-Bas », explique-t-il dès lors.
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Assurément, la préparation du jeune homme s’annoncera chargée dès la reprise en 2020, notamment en prévision des championnats suisses le 2 avril à Genève et les Européens de Budapest du 11 au 17 mai – pour lesquels, encore, faut-il s’y qualifier. Membre du cadre national depuis 2013, Alex Ogbonna est une valeur – à l’en croire par-delà ses bons résultats – sûre. Mais il est en transition; entre le cadre espoirs et celui des élites, il y sied une phase de mise en progression durant laquelle il est du ressors de l’athlète de progresser de façon régulière. « Je suis actuellement dans ma dernière année de transition avant l’Élite même si, en natation, on est éligible dès l’âge de 18 ans », explique-t-il alors avant de poursuivre: « L’équipe nationale suisse, à juste titre, favorise une transition un peu plus progressive entre les différentes catégories d’âge car il est toujours un peu délicat de mettre sur un même pied d’égalité de jeunes nageurs de 18 ans avec d’autres nettement plus expérimentés qui approcheraient la quarantaine, comme Nicholas Santos (39 ans). Il faut qu’il y ait une adaptation plus légère pour les plus jeunes. » Cette adaptation, Alex Ogbonna la vit de la meilleure des manières; qualifié pour les Universiades 2019 à Naples en juillet dernier, il y fit bonne figuration, ce qui est déjà un signe positif d’acclimatation au plus haut niveau, même s’il a – à chaque fois – été éliminé en séries du 50m (6e en 24”65, à 32 centièmes d’une qualification au temps) et du 100 mètres papillon (3e en 55”55, à presque deux secondes de la demi-finale).
Néanmoins, pour espérer figurer dans la sélection suisse en partance pour Budapest – tenant compte des résultats aux derniers championnats d’Europe de Glasgow en 2018 –, il semblera nécessaire d’abaisser toujours plus les marques chronométriques. La référence, en réalité, n’est jamais une valeur fixiste et pérennisée de saison en saison, mais elle s’adosse volontiers aux temps enregistrés lors de la précédente édition des championnats en question; le temps qualificatif pour un Top 16 faisant régulièrement – et généralement – foi. « L’entrée dans le cadre national élite en Suisse est toujours mesurée dans l’optique des grands championnats à venir. Les temps qualificatifs pour l’Équipe de Suisse sont, en effet, basés sur le Top 16 européen. Le réussir serait une première garantie de pouvoir viser – légitimement – la demi-finale d’un grand championnat international », explique toujours Alex Ogbonna. Ainsi, à Glasgow en 2018, le dernier temps qualificatif pour la demi-finale des 50 mètres papillon était établi à 23”75 (le personnel d’Alex a été amélioré à 24”27 cet été); celui des 100 mètres à 52”83 (alors que le PB d’Alex stagne depuis 2017 à 55”12). Il reste donc du chemin à parcourir mais il n’est pas semé d’embûches; la persévérance d’un jeune talent étant force et garantie de belles réussites. Et le jeune homme semble inséré dans un cadre favorable à sa propre progression.

Odyssée d’Écosse et retour heureux au Lausanne Natation
En preuve d’abnégation, souvent la sortie de sa propre zone de confort se traduit par une admirable évolution. Il y a deux ans, Alex Ogbonna a fait le pari de quitter la Suisse après avoir obtenu son diplôme au gymnase Auguste Piccard. Il y prit une année sabbatique régénératrice pour y perfectionner aussi bien la langue anglaise que le style britannique dans l’eau; en Écosse – de fin 2015 à 2017 –, il y a notamment mis à profit ses qualités auprès de l’équipe de l’Université d’Édimbourg, un haut-lieu de la natation européenne, sinon mondiale. « J’hésitais entre les États-Unis et l’Écosse. Édimbourg était un choix de facilité par la distance et l’accessibilité. Je voulais aller dans un pays anglophone, pas seulement pour y parfaire ma natation mais pour m’ouvrir l’esprit après mes années d’étude », assure-t-il dès lors. Mais c’est le retour qui en est apparu d’autant plus relevant; rentré au bercail du Lausanne Natation, Alex s’en est retourné de pied ferme dans son chez-lui, auprès de ses amis, de son entraîneur de toujours et dans un cadre aussi familier que superbe. Tout comme Jérémy Desplanches à l’Olympic Nice Natation, Alex Ogbonna sait faire le bénéfice d’une cadre de progression des plus favorables.
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« [À Lausanne], il y a une bonne mentalité. Nous avons tous le même âge et nous sommes vraiment amis. L’ambiance à l’entraînement fait beaucoup parce que si l’on n’arrive pas à se satisfaire à l’entraînement pour une raison exogène à la natation, le cadre ne sera jamais optimal pour progresser », soutient dès lors le talent de 20 ans. « L’intégration dans un groupe d’entraînement ouvert et les bonnes relations avec l’entraîneur et les coéquipiers créent les conditions cadre pour l’avancée d’un sportif d’élite. Et il n’est pas nécessaire d’avoir les meilleures infrastructures ou les meilleurs techniciens de la planète pour performer; le bon groupe peut se suffire à lui-même », conclura-t-il, le sourire toujours affiché sur son visage. C’en est rassurant.
