Le Montreux Comedy Festival a 30 ans et la fête fut intense durant dix jours et douze galas à l’Auditorium Stravinski; avec une centaine d’artistes de tous bords, de toutes provenances et de tous styles, le public – aussi varié que possible – a validé – par voie de billetterie qui compte une progression de 80% sur l’ensemble de la manifestation – les choix onéreux et risqués de la direction du festival. Car si la marque Montreux Comedy s’exporte depuis quelques années également sur d’autres continents, entre l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Asie et bientôt l’Amérique, « tout est fait pour que le public montreusien puisse vivre en plein l’expérience Montreux », assure le Président fondateur Grégoire Furrer. En effet, si les artistes ont plusieurs publics, le Montreux Comedy Festival en compte surtout un de prestige: « Il n’y a pas de publics plus important que d’autres. » Mais celui de Montreux est particulier car il est surtout fidèle depuis plusieurs décennies.
C’est peut-être le maître mot. Maintenant que la trentième du plus grand festival d’humour francophone d’Europe vient de battre en retraite, il a été appiécé sur le tissu en cachemire de Grégoire Furrer – battant à coups de haut-le-corps répétés durant la dizaine, à la vue du standard affolé à la billetterie – le rappel des obligations. Par un mot, on aura alors tout dit: révolution.
Enfin presque; parce qu’il faudrait encore y adjoindre les vocables de l’innovation et celui du numérique (pluriel celui-ci). Et encore… bien qu’avec ces trois termes à la tendance iconoclaste, on est déjà bien parti pour narrer ce qu’il est fait du cours de l’évolution d’un festival qui aura connu – en 30 édition, depuis 1989 – énormément de hauts que de petits (mais périlleux) bas. Et si l’on veut encore corser le tout, on démentira que le Président fondateur du festival détient, en réalité, un tissu en cachemire de chez PKZ (cela s’appelle effectivement embellir de détails farfelus une histoire de portée réelle). Mais si l’on s’en tient à ce que prononçait le tycoon William Randolph Hearst – et reproposé par le journaliste Serge July dans son dictionnaire des plus amoureux de sa profession – « Surtout ne sacrifiez jamais une belle histoire à la vérité » –, l’on dira qu’on est dans le juste le plus plein. Bref.
Le Montreux Comedy Festival est, dès ce mois de décembre 2019, un heureux trentenaire; que des paillettes à souffler à la bise faiblarde montreusienne qui manquait de neige cette année. Et que des premières à fêter dans la foulée: celle du format – une première étalée sur dix jours –, celle du casting avec la venue exceptionnelle d’artistes de belle renommée – Kev’ Adams, accompagné de Stan Wawrinka entre autres, dont le journaliste sportif tout aussi légendaire Nelson Monfort –, celle de la diffusion – une première sur Amazon Prime Video le 25 décembre prochain et en Prime Time sur France 2 (au-delà de France 4, Comédie+ et bien entendu la RTS) – et enfin celle des gouttes de sueur préservées par la clique impressionnante de bénévoles engagée.
Du lourd, à tous les étages. Et derrière – même si l’inédit est déjà passé –, l’on se complait également à profiter de ce qui fait la recette du rire dans nos régions auprès de nos restas locales (on repassera sur ce thème trop ring’ à rendre fous les plus littéraires); Marina Rollmann et Thomas Wiesel étaient – comme chaque année depuis leurs tendres débuts – au Strav’ (on repassera également sur l’utilisation de l’apostrophe). Mais – exclusif –, il se sont retrouvés ensemble sur scène; réchauffé, minimaliste – certes – mais bon, leur Gala Stand-Up de mi-parcours, ça passe crème (et ça, c’était déjà bramé l’an passé avec Roman Frayssinet). Le seul problème apparent auprès de ces humoristes de notoriété construite sous la houle des réseaux sociaux, c’est qu’on en perd notre beau langage. Merde! mais c’est comme ça, on prend.
« Pour chaque artiste, il y a au moins une vidéo au Montreux Comedy Festival, ce qui porte notre rayonnement au niveau mondial »
Grégoire Furrer, Président, fondateur du Montreux Comedy Festival
Plus factuel, ils furent pas loin de 120 à fouler les planches du 2M2C cette semaine dernière; un triple chiffre d’autant plus alertant qu’ils marque aussi la dixième année de la création de la chaîne YouTube Montreux Comedy, autant que son millionième abonné qui se fait toujours attendre, dans les faits (976’000 cumulés depuis lors, soit +20’000 depuis le 28 novembre).
Mais malgré ce détail superflu, la marque s’enrichit d’édition en édition, à une allure des plus régulières. Avec ses 35 millions de vues par mois, le festival vit même en dehors de ses clous – hors de Suisse, à Dubaï (Émirats Arabes Unis), Johannesburg (Afrique du Sud) et ailleurs dans le monde entier – et toute l’année durant. Il en va plus qu’une “simple” et coquette identification à la Riviera, la marque est mondiale: internationalisée. « Si le festival est ancré dans la ville de Montreux, la marque dépasse de beaucoup ses frontières », commente alors Grégoire Furrer, assis – tasse de café noir en main.
Nous, en face, contemplons le trait recherché de son bon discours. « À Dubaï et Johannesburg, on me demande souvent pourquoi Montreux ? Certains, bien sûr, ne connaissent pas la ville mais reconnaissent que la marque fait son chemin dans les pays que nous traversons. De plus, quand on accumule des millions de vues sur internet en un mois, cela prouve que notre public ne peut pas résider qu’en Suisse. Pour chaque artiste, il y a au moins une vidéo au Montreux Comedy Festival, ce qui porte notre rayonnement au niveau mondial. »
Sans compter que désormais, avec la tenue d’un gala international en anglais dans la plage hebdomadaire du festival – regroupant les plus grandes étoiles montante de l’humour anglophone, à l’aune de Paul Taylor (Grande-Bretagne), Sébastien Marx (États-Unis), Arzoo Malhottra (Dubaï), Conrad Koch et Mpho Popps (Afrique du Sud), Ken Cheng (Angleterre), Noman Hosni (France), Thomas Wiesel et Charles Nouveau (Suisse) –, la notoriété s’articule vastement au-delà de l’impensable national. « Du point de vue des artistes, j’ai toujours trouvé dommage de les réunir pour ne faire profiter que le public montreusien sur place. Il faut certes que celui-ci se complaise suffisamment pour revenir l’année suivante mais il faut aussi que l’offre circule plus amplement, au-delà du Stravinski », poursuit l’entrepreneur de 51 ans et ancien conseiller communal qui annonce également, par voie de communiqué de presse, avoir enregistré une augmentation d’audience de plus de 50% en une année sur les différents réseaux sociaux.

À la conquête du Québec, également
Pour dire vrai, cela fait plus d’une décennie que Grégoire Furrer avait en tête d’étaler toute la superbe de son festival sur les différentes plateformes numériques à disposition du plus curieux quidam. Mais il a parfois fallu faire preuve de réserve, pour ne pas se brûler. Tout comme la tenue des galas internationaux: « Cela date depuis 1997 quand j’étais en compagnie des Frères Taloche sur l’émission “Couleurs locales” de la RTS. J’y expliquais en quoi consistait l’organisation d’un gala d’humour et je m’aventurais déjà à évoquer l’humour international. Je n’étais pourtant pas encore prêt à organiser des galas anglophones et internationaux et probablement les marchés non plus », nous assure le Président du Montreux Comedy en citant l’une des réalités les plus vraies – autrefois énoncée par l’essayiste belge et australien Pierre Ryckmans (de son nom d’auteur Simon Leys): « La pire manière d’avoir tort est d’avoir raison trop tôt. »
« Nous sommes actuellement plus forts que Juste Pour Rire sur les réseaux sociaux mais eux ont une capacité de production phénoménale »
Grégoire Furrer, Président, fondateur du Montreux Comedy Festival
C’est lundi dernier que le pas de loup est devenu pas de paon; l’humour international, dans le monde de la francophonie, ne claudique plus après l’annonce d’un rapprochement exclusif entre le Montreux Comedy Festival – plus grand festival d’humour de son continent – et son homologue survitaminé Juste Pour Rire. « Aujourd’hui, en Suisse, deux grands géants de l’humour ont annoncé un important partenariat afin d’assurer la place de la créativité humoristique francophone dans le marché de la mondialisation du contenu », annonce d’emblée le communiqué de presse.
« L’union de leurs forces respectives permettra la réalisation de projets d’envergure destinés à la scène, ainsi qu’aux nombreux écrans et plateformes de diffusion qui se partagent actuellement les contenus originaux d’humour francophone », poursuit-il. L’accord, comme tous ceux qui fleurissent dans les business les plus rentables (et pas seulement économiquement), est fondé sur un partage de qualités et d’opportunités réciproques. « Aujourd’hui, à moins d’être déconnectés de l’univers, on ne m’enlèvera pas de la tête que Montreux Comedy deviendra marque planétaire. Mais pour y parvenir, il faut trouver les bonnes connexions et ne pas perdre son temps à regarder derrière les épaules », assure le fondateur du festival de Montreux qui, assurément, garde le cap sur l’avenir de notre société.
« Nous sommes actuellement plus forts que Juste Pour Rire sur les réseaux sociaux mais eux ont une capacité de production phénoménale. » En somme, il s’agit d’un partage de savoir-faire entre les deux cadors de l’humour francophone, sur deux temporalités différentes – l’un se produisant l’été au Québec, l’autre en hiver à Montreux –, sur deux marchés diamétralement différents (force continentale oblige) et des investissements groupés pour la création d’une plateforme digitale mondiale en faveur de cette discipline artistique encore en plein essor. « Pour ce faire, nous ne serons jamais de trop à deux pour y parvenir », statue dès lors Grégoire Furrer. Il a déjà été évoqué un éventuel rapprochement, dans le futur, avec les principales plateforme de streaming pionnières et mondialement connues (Netflix, Amazon et Apple), mais pas que – l’Asie constitue le prochain marché à séduire.
« Nous avons été récompensés des paris que nous avons faits. Mais nous continuons à favoriser l’essor de l’humour dans le monde. Et en cela, nous avons acté des gestes forts cette année »
Grégoire Furrer, Président, fondateur du Montreux Comedy Festival
De la réussite de son édition anniversaire, le Montreux Comedy a réalisé des avancées majeures dans l’échange commercial et le contact de nouveaux “clients” de l’humour, notamment en Corée du Sud. « En 2019, nous avons été récompensés des paris artistiques et financiers que nous avons pris pour notre 30e édition. Mais les anniversaires ne constituent pas une finalité en soi; on la fête, on la démarque mais elle sert aussi de tremplin. Nous continuons à favoriser l’essor de l’humour dans le monde. Et en cela, nous avons acté des gestes forts. » Car, en effet, au-delà du deal avec les festival planétaire Juste Pour Rire, la marque Montreux Comedy s’est aussi rapprochée du Busan International Comedy Festival, né en 2013 dans cette ville du sud-est de la Corée du Sud, la deuxième plus grande du pays. « Il nous viendrait à l’esprit de réaliser des galas français-anglais-coréens dans une configuration qui laisserait entrevoir des possibilités, peut-être. Peut-être pas. Mais on essaie à chaque fois d’innover vers l’international », se défend le Montreusien.
Plateforme tremplin autant que scène confirmée
Le Stravinski – sans être tout est n’importe quoi – est forte d’une mue aussi rapide que prometteuse; scène tremplin pour les six lauréats de “Mon premier Montreux”, issus de trois continents différents, elle est aussi théâtre de prestige pour les artistes de grande renommée. Bien Suisses, Bruno Peki et Thibaud Agoston – tout autant que leurs homologues François Guédon (France), Clentelex et Mareshal Zongo (Côte d’Ivoire), ainsi que William Bernaquez (Canada) – ont eu la faveur des avant-scènes à l’occasion des douze galas présentés lors de cette 30e volée du Montreux Comedy Festival, preuve que la marque s’engage aussi pour le développement des humoristes en herbe de toutes provenance.
Tous ont également eu le privilège de suivre une formation en résidence à Montreux, dispensée par l’École Nationale de l’humour (ÉNH) de Montréal, ce qui constitue une avancée remarquable depuis la création du projet en 2018. Sans compter que la présence du jeune Clentelex, 23 ans et originaire d’Abobo, bidonville en périphérie d’Abidjan, marque aussi le caractère prometteur de la création nouvelle du festival d’humour Africa Comedy, monté ce printemps par Montreux Comedy en Côte d’Ivoire, troisième pays après les Émirats Arabes Unis et l’Afrique du Sud à bénéficier du parapluie de soutien du festival montreusien. « Et on parle déjà du Liban », nous confiait également à l’été 2018 le comédien Rachid Badouri. Soit.
« Nous ne sommes jamais sûrs du rendu artistique, c’est le propre de l’art. Mais comme la chance se provoque, nous provoquons, de fait, également notre réussite »
Grégoire Furrer, Président, fondateur du Montreux Comedy Festival
Mais les innovations touchent aussi le festival à Montreux; pour sa première édition sur dix jours, l’expérience sera reconduite. « L’organisation sur deux week-end n’est pas une mauvaise formule », entonne Grégoire Furrer qui se satisfait également de la qualité démontrée sur l’ensemble des galas présentés. « Tous les plus grands artistes francophones de l’humour étaient à Montreux ces deux dernières semaines; c’est que forcément l’attente était belle et forte. » Et en cela, à tout conter, l’apparition de Kev’ Adams et sa passe d’arme avec Stan Wawrinka ont vraiment eu raison de fêter les 30 printemps du festival; pourtant rien n’est jamais gagne d’avance, même avec les meilleurs sur scène.
« Nous ne sommes jamais sûrs du rendu artistique, c’est le propre de l’art. Mais comme la chance se provoque, nous provoquons, de fait, également notre réussite. Je suis allé chercher Kev’ Adams, je l’ai toujours trouvé talentueux et nous avons toujours fait en sorte, avec lui, qu’il vienne, un jour, se produire dans le cadre du festival à Montreux. Les occasions ne s’étaient pas présentées avant – notamment parce qu’il tournait dans différents films – mais 2019 était la bonne. Mais cela ne doit pas occulter la double réalité qui marque la réussite de ce gala; certaines personnalités sont venues expressément pour Kev’ [ndlr, Stan Wawrinka], d’autres expressément pour la renommée du festival, comme Michaël Gregorio ou encore Éric Antoine. »
Enfin, l’autre pan de la réussite planétaire de la marque Montreux Comedy passe par l’ensemble des partenaires de rediffusion, tant en Suisse qu’en France, mais aussi – désormais – sur les plateformes mondiales de streaming. Il y aura – cela a déjà été précisé – la première transmission sur Amazon Prime Video mais d’autres partenaires sont déjà approchés pour étendre l’arc de retransmission. « Le Montreux Comedy Festival attire des personnalités, notamment auprès de représentants d’Amazon ou Nestlé qui étaient à Montreux durant le festival », précise le boss du festival qui était également vu auprès des autorités communales, cantonales mais aussi fédérales durant la dizaine, à l’aune notamment de la Présidente du Conseil d’État vaudois Nuria Gorrite ou encore le syndic de Montreux Laurent Wehrli.
« Tous les événements ont un besoin capital de rayonner auprès des instances ministérielles, politiques et économiques de la région. Mais il est vrai de noter que cela est plus facile aujourd’hui qu’il y a quinze ans. C’est une grande évolution de ce point de vue-ci. » Et cela nécessite du temps et du métier. « Beaucoup de personnes pensent qu’organiser un festival est une activité bénévole ou accessoire, or c’est effectivement un métier. Il est impossible d’en arriver là où on est si nous l’avions fait de façon amateure depuis le début. » Une évidence pour une manifestation qui fait parler d’elle 365 jours par an, au travers des artistes eux-mêmes – auprès de leur public si divers –, autant que par les captations télévisées de la RTS, transmises également à France Télévisions.
« Les artistes doivent faire attention à ne pas trop faire passer la télévision devant le public sur place lors de leurs sketches, mais ils ne doivent pas l’oublier non plus. Car eux-mêmes ont beaucoup à gagner de leur image instantanément (ou en rediffusion) traduite sur les écrans », précise toujours Grégoire Furrer. C’est qu’il n’est plus fait place au hasard dans l’organisation et l’économie générale du Montreux Comedy Festival; tout est esquissé dans sa plus fine précision, la recette de la réussite sans doute.