Billie Bird: « Ce n’est pas toujours évident d’affronter ses peurs »

« C’était tellement intense que du coup je ne peux dire que ce que j’ai ressenti en jouant. Dans les jours qui vont suivre, je sais que tout va se décanter et j’aurai accès au reste. » © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Nyon]

Première artiste à se présenter pour la 44e édition du Paléo, la Lausannoise Billie Bird s’est élancée sous la tente du Club Tent mardi après-midi. Associées à la canicule, ses nappes sonores évoquant les marées ont, pour une heure, embarqué les festivaliers au large là où les recoins intimes et lancinants surgissent. À l’issue de ce voyage en mer, notre reine de l’azur s’est confiée sur son premier passage à la plaine de l’Asse ainsi que sur son parcours.

Avec un set débutant en milieu d’après-midi qui plus est sous tente en période de canicule, on ne s’attendait pas forcément à voir un public aussi présent. Et pourtant, sous l’épaisse bâche du Club Tent, Élodie Romain de son vrai nom, était attendue. Un peu éparpillés, les festivaliers se disciplinent rapidement à l’annonce de l’entrée de l’artiste. Choix peut-être révélateur de son état d’esprit avant de se lancer dans un tel Festival, elle débute par son titre « La Nuit », issu de son second EP. Celle que l’on a pu voir dans l’adaptation de Passion Simple d’Annie Ernaux au théâtre de Vidy en 2017 arrive sur scène vêtue de noir, accompagnée de ses musiciens. Pendant une heure, Billie Bird enchaîne les titres de ses trois EP sortis entre 2013 et 2018, et fait également profiter son public de ses compositions qui restent encore inédites. C’est que la Lausannoise entretient le mystère : ces titres sortent, au fil de ses EP, au compte-goutte. Les Déferlantes, son dernier EP en date, se compose de deux titres. Un choix qui, s’il s’avère frustrant pour ceux qui aimeraient en découvrir plus, se comprend dans le travail d’orfèvre et effréné de l’artiste : pas de mensonge ni d’imposture. Billie Bird ne ment pas. Ne pas se mentir à soi-même, c’est aussi la quête qu’elle poursuit. Ce n’est pas par hasard qu’elle emprunte son nom de scène à une exploratrice britannique du XIXe siècle. Une figure de femme qui véhicule l’indépendance, la force d’esprit. Un horizon désormais dépassable, tant l’identité musicale de la Lausannoise a évolué. Son timbre de voix, proche de celui de Clara Luciani et ses textes, flirtant avec ceux d’un Benjamin Biolay annoncent un succès qui saura certainement surpasser sa tournée estivale.

Comment as-tu vécu cette première expérience sur la scène du Paléo ?

C’est encore assez difficile à dire. C’était tellement intense que du coup je ne peux dire que ce que j’ai ressenti en jouant. Dans les jours qui vont suivre, je sais que tout va se décanter et j’aurai accès au reste. C’est le rêve de tous les romands de jouer à Paléo, pour moi c’était vraiment fort symboliquement. J’ai eu énormément de plaisir à être sur scène et je suis contente de ma performance, de ce que j’ai joué, de comment j’ai bougé. J’ai vraiment eu du plaisir. J’ai trouvé que le public était vraiment chouette, les gens étaient présents et étaient réactifs. Dans ces instants, tu donnes beaucoup et tu reçois énormément en retour.

Dans le cadre de ta tournée estivale, tu as joué au Festival de la Cité il y a deux semaines. La préparation était différente pour Paléo ?

J’ai pris un peu plus de risques ce soir. Chaque concert est pour moi une étape. J’essaie de progresser. Par exemple, ce soir j’ai fait un solo sur un morceau que je n’avais pas fait à la Cité parce que je ne me sentais pas forcément super à l’aise. La scène de la Cité était intéressante car c’était l’un des premiers Festival open-air cet été. J’ai réécouté le live, fait des corrections… Je pense également avoir pris plus de risques au niveau vocal et aussi de mon attitude, dans des relâchements vocaux ou des cris que j’aime bien faire. J’avais envie de prendre plus de risques aujourd’hui à Paléo pour marquer le coup.

« Les moments où je peux voyager me donnent une forme de calme. Il y a vraiment une symbolique de la mer. De la mère, aussi… On peut faire des jeux autour de cela. La mer est un élément qui me calme et qui m’inspire dans son imprévisibilité, dans les livres que je lis. » © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Nyon]

Depuis 2013, tu as sorti trois EP qui sont assez courts puisqu’ils ne dépassent pas les quatre titres. Pourquoi ce choix ?

Le premier EP était un guitare-voix. Je pense que cela venait d’une forme de timidité. C’est une assise que je construits au niveau émotionnel, artistique et vocal. L’année dernière, j’ai fait des expérimentations en travaillant avec des gens différents. Cela me permet de multiplier les collaborations… mais j’ai envie d’aller vers un format plus long et j’y travaille en ce moment !

Je trouve que tes textes sont assez personnels et beaucoup travaillés. Notamment les images. Par exemple, sur les titres « Le Ressac » ou « Les Déferlantes », le thème de la mer est très présent. C’est une source d’inspiration ?

Les moments où je peux voyager me donnent une forme de calme. Il y a vraiment une symbolique de la mer. De la mère, aussi… On peut faire des jeux autour de cela. La mer est un élément qui me calme et qui m’inspire dans son imprévisibilité, dans les livres que je lis. Entre « Le Ressac » et « Les Déferlantes », il y a également ce titre qui s’appelle « Fou ». La mer est un lieu qui me fait rêver et vibrer. J’aime prendre le bateau, j’aime voyager. J’ai vécu des expériences très fortes en lien avec la mer, et aussi en lien avec ma mère…

Dans ton “ancienne vie”, tu étais enseignante. Pour ton titre « Les Déferlantes », tu t’es inspirée du roman éponyme de Claudie Galley. Est-ce que la littérature t’a également soufflé d’autres titres ?

Dans tous les livres que je lis, je prends des notes, je souligne. Je récupère des mots, des phrases qui me touchent. Par exemple, je peux décider d’un thème puis aller chercher des sources littéraires. Cela peut se diriger vers la poésie aussi. Par exemple pour « La Nuit », beaucoup d’auteurs ont écrit sur ce thème comme Baudelaire. Quand j’écris une chanson, elle peut sortir de manière très spontanée, avec quelque chose de très intime et parfois j’ai envie de trouver d’abord des images. Ces images, je les trouve dans la littérature qui fonctionne comme de la documentation. Pour « Les Déferlantes », j’ai travaillé d’un point de vue scientifique tout comme pour « La Nuit ». Qu’est-ce que la nuit ? Tout cela constitue des sources qui permettent de placer le thème en perspective et de l’explorer.

Lorsque l’on écoute tes trois EP successivement, outre le passage de l’anglais au français, on a l’impression que tu as beaucoup évolué. Pas seulement au niveau de la musique mais également au niveau de ta propre signature, de ton emprunte artistique. Est-ce que tu partages cette analyse ?

Avoir eu la possibilité de faire toutes ces expérimentations avec ces EP m’a permis de voir ce qui me plaît. Une chanson peut avoir mille vies. Tu peux la voir sous forme guitare-voix comme dans mon premier EP. Avec le second, j’ai fait quelque chose de très musical, d’organique avec un son et des ambiances. Pour le dernier c’était tendu vers un jeu de production, beaucoup plus synthétique et moderne en sortant du côté funk. J’aime ces détours, je n’ai pas envie de me mettre de limite. Je constate également qu’au niveau de mon écriture je suis beaucoup plus exigeante. Le fait d’avoir collaboré avec des gens permet de se confronter à leurs regards. C’est une sorte d’empowerment. J’ai l’impression que je serai toujours en progression, en mutation. Mon cerveau fonctionne à huit-mille kilomètres à l’heure !

« Plus je suis ancrée dans mon travail d’artiste, plus ce que je suis peut éclore. Depuis que j’ai délaissé mon premier métier, que je suis investie à 100% dans la musique, je vois toutes ces questions récurrentes, toutes ces problématiques de discrimination et d’inégalité. Cela me fait du bien d’être engagée. » © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Nyon]

Tes textes ne sont pas vraiment engagés mais sur les réseaux sociaux tu es assez active et tu n’hésites pas à afficher ton soutien à la communauté homosexuelle ou encore à signaler la faible présence des femmes dans l’industrie de la musique. En tant qu’artiste, c’est important d’avoir un rôle public pour toi ?

Plus je suis ancrée dans mon travail d’artiste, plus ce que je suis peut éclore. Depuis que j’ai délaissé mon premier métier, que je suis investie à 100% dans la musique, je vois toutes ces questions récurrentes, toutes ces problématiques de discrimination et d’inégalité. Cela me fait du bien d’être engagée. D’une part cela permet de donner davantage l’accès à qui je suis en tant que personne et d’autre part cela pointe ce qui constitue mes luttes comme artiste. D’une manière générale, j’assume plus ce que je suis qu’il s’agisse de ma vie personnelle ou de Billie Bird. À une époque, j’avais beaucoup de pudeur. Quand je parlais de timidité tout à l’heure, cela vient aussi de cette pudeur. Je ne voulais pas en faire trop et aujourd’hui je veux juste être qui je suis et en être fière. Si tu n’adhères pas, il y a assez d’autres propositions ailleurs. J’essaie de donner accès à moi au travers de ces démarches. Dans les différents artistes que je suis, j’aime savoir ce qu’ils pensent. Après il est vrai que moi-même, il y a certaines choses que je ne dévoilerais pas. Je suis aussi sollicitée par des gens qui défendent des causes et j’en suis très honorée. Si je peux les aider, je le fais toujours volontiers.

Plusieurs fois, tu as évoqué le fait que ton nom de scène Billie Bird était un moyen de construire un personnage, mettre une sorte de distance avec ta personne. Au fil du temps, est-ce que tu as l’impression que cet écart se rétrécit ?

Complètement. Je me sens en accord avec moi-même. J’ai fait tout un travail pour en être là et cela n’était pas gagné d’avance. J’ai trouvé une sérénité, le moyen de gommer l’anxiété que j’avais aussi dans mon travail d’artiste. J’arrive à trouver ce plaisir, à aller vers ce qui me plaît et tout prend sens : ce que je défends, ce que je suis, ce que je crée. C’est un chemin et j’essaie de m’autoriser ce temps. J’ai entendu Chris(tine and the Queens) qui disait qu’elle avait toujours l’impression qu’il fallait du temps pour que les gens puissent comprendre. Cela m’a touché parce que je me suis retrouvée dans cette phrase. On n’est pas toujours compris, l’industrie du disque, les injonctions sociales, ce qui marche ou pas. Ce n’est pas évident de faire son chemin, de rester fort tout en faisant des compromis. J’ai toujours été quelqu’un avec qui on peut discuter, mais cela change. On m’a toujours dit que plus j’irai vers qui je suis, plus j’irai vers ce que j’ai envie de faire et mieux cela ira pour moi. Ce n’est pas aussi évident d’oser le faire, d’affronter ses peurs mais cela va de mieux en mieux et avec l’âge, cela aide aussi.