La nouvelle monoplace GEN2 dope le championnat de Formule E

Sébastien Buemi a offert un aperçu de la nouvelle GEN2 au public bernois en paradant dans la vieille ville de Berne, sur les traces du futur circuit urbain qui sera habilité en vue de la course du 22 juin. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Berne]

Halo de sécurité, batterie améliorée, freins de type by-wire, système de transmission simplifié et châssis redessiné par Spark, la monoplace GEN2 (deuxième génération) a frappé un grand coup dans le monde automobile cette année, pour la cinquième saison de Formule E. Peu silencieuse (80 décibels, 60 de moins qu’une F1) contrairement à la croyance populaire, la série répond toujours plus à d’énormes défis techniques et écologiques, ne serait-ce qu’en termes de récupération d’énergie. À un mois de l’E-Prix de Berne, l’occasion d’en discuter avec le pilote suisse Sébastien Buemi.

Il y a encore peu, la hiérarchie des courses automobiles donnait le tournis. Derrière la Formule 1, entre la Formule 2, GP2, World Series, GP3, Formule 3, Formule Renault et Formule 4, il y avait de quoi s’y perdre. Aujourd’hui, la basique pyramidale, à compter de cette nouvelle saison, a été réaménagée. En réalignant les Formules 2, 3 et 4 de manière à y dessiner les marches évidentes de la progression menant à la F1, la FIA a fait un pas de plus en direction d’un public plus novice.

Plus précisément, la Fédération internationale de l’automobile souhaite également assurer une liaison évidente pour les jeunes pilotes dont l’ambition est de prendre un jour le volant dans une écurie de la catégorie reine. Cette saison, ils sont plusieurs rookies à avoir été promus en Formule 1 directement depuis la F2; parmi eux, le champion George Russell, son dauphin Lando Norris et le numéro trois Alexander Albon, premier Thaïlandais en F1 depuis Prince Bira en 1954. Depuis cinq saisons, pourtant, sans être réellement une intermédiaire de plus entre la Formule 2 et la catégorie mère, la Formule E ouvre la possibilité de suivre une trajectoire décalée vers une promotion en F1.

La Formule E, sans aucun doute, s’impose, depuis quelques années, comme une étape de développement sérieuse dans le parcours de carrière de plusieurs jeunes pilotes. Car, contrairement aux idées reçues, la FE n’est pas une alternative au moteur à cylindres, elle en est plutôt complémentaire. Preuve que la passerelle entre les deux est solide, plusieurs pilotes passés par la première sont aujourd’hui reconvertis chez sa voisine électrique. Alexander Albon (22 ans) avait, à titre d’exemple, déjà obtenu son baquet chez Nissan e.Dams avant de profiter au dernier instant du siège laissé vacant par Brendon Hartley chez Toro Rosso en F1.

« En Formule E, les pilotes sont plus axés sur l’efficacité plutôt que la performance pure, comme c’est le cas en Formule 1 »

Sébastien Buemi

Dix sur les 25 pilotes alignés cette saison en FE sont déjà passés par la F1. Parmi eux, le champion en titre français Jean-Éric Vergne, le Belge Stoffel Vandoorne , l’ex-pilote de l’écurie suisse Sauber Pascal Wehrlein ou encore le vice-champion du monde avec Ferrari Felipe Massa. Sans oublier le Suisse Sébastien Buemi qui concourt en Formule E depuis les tout débuts de la série en décembre 2014, bien qu’il soit toujours attaché à la F1 en tant que pilote réserve chez Red Bull, derrière Pierre Gasly et Max Verstappen.

« Les championnats sont évidemment très différents, entonne le Suisse. En Formule E, l’économie d’énergie est très importante. Nous sommes plus axés sur l’efficacité plutôt que la performance pure. » La puissance de l’accélération et celle du freinage – de manière à maintenir la batterie en vie jusqu’au terme des Grands-Prix – vont être déterminantes. Les modalités de courses et les caractéristiques physiques des deux bolides sont également différentes; l’aérodynamique de la Formule 1 est amplement plus développée que son attenante électrique.

Tandis que l’ingénierie de la F1 simplifie ses normes aérodynamiques au front de la monoplace – au maximum de cinq ailerons pour une largeur maximale de 2 mètres –, de manière à favoriser la vitesse de pointe et les dépassements en pleine ligne droite, la Formule E, quant à elle, n’adopte aucune spécificité aérodynamique complexe. Le DRS n’existe pas. Ainsi aucun aileron amovible ne permet de gagner en vitesse à puissance maximale. Les boosts de puissance, les monoplaces électriques les obtiennent par différentes méthodes: par activation de l’Attack Mode – permettant de gagner 25kW pour une durée de quatre minutes – ou par la voie du Fanboost – un gain supplétif de 50kW actif pendant 5 secondes. Avec une vitesse maximale limitée à 280km/h, la nouvelle GEN2 accuse un gap de plus de 300 chevaux par rapport à la F1 (dont la vitesse de pointe flotte à environ 360km/h). Toutefois, par rapport à la génération précédente, la GEN2 a fortement gagné en vitesse et en compétitivité.

La GEN2 est une révolution en Formule E

La Formule E matérialise, depuis ses débuts, les défis d’une technologie du futur. Disputant tous ses E-Prix dans des parcours urbains, les monoplaces de nouvelles générations relèvent en conditions réelles les défis posés par la mobilité électrique. Ne serait-ce qu’en terme de récupération d’énergie, la Formule E est la seule à pouvoir assurer des transferts de technologie. À ce titre, l’évolution des châssis – construits par Spark – et l’élaboration d’une nouvelle batterie, passant d’une capacité de 28 à 54kWh, a dopé la performance de la nouvelle GEN2. « Les caractéristiques entre la GEN1 et la GEN2 sont techniquement les mêmes, estime Sébastien Buemi, présent à l’hôtel de ville de Berne. En revanche, en termes de puissance, la monoplace est beaucoup plus évolutive que la précédente. La Formule E va de l’avant avec des technologies toujours plus poussées. »

Le défi majeur relevé par la nouvelle GEN2 concerne en premier lieu son autonomie; dotées de nouvelles batteries, les pilotes ont désormais la capacité de couvrir l’entier de la course sans devoir changer de monoplace. En conséquence, les passages par la pit lane se font très rares, sauf problème majeur ou déploiement du drapeau rouge (cas de figure assez fréquent pour des circuits en pleine ville). Sans compter que les régimes de puissance ont été revus à la hausse; des 180kW dégarnis par la GEN1 (qui pesait 20kg de moins, à 365kg), la génération nouvelle bénéficie d’une puissance de 200kW. Celle-ci passe à 225kW sous régime de mode attaque et même à 250kW en qualifications. Ces améliorations permettent une accélération du 0 aux 100km/h en 2,8 secondes.

Plus généralement, cela représente un gain de 55km/h à pleine puissance qui permet d’assurer des courses engagées malgré les déficits aérodynamiques. « Il est sûr que chaque pilote rêve d’une voiture plus rapide. Avoir cette voiture qui a 25% de puissance en plus que l’ancienne est en conséquence particulièrement bien accueilli chez les pilotes, consent Sébastien Buemi. Nous sommes plus rapides sur toutes les pistes: on parle d’une amélioration entre trois et quatre secondes plus vite au tour, c’est énorme à l’échelle du sport automobile. »

« Nous avons eu huit vainqueurs différents en neuf courses. Les courses sont très intenses et les voitures plus proches les unes des autres »

Sébastien Buemi

Jusqu’à présent, le vrai salut de la Formule E provient, en effet, de sa très grande imprévisibilité; à chaque début d’E-Prix, l’ensemble des coureurs engagés est en réalité en posture de pouvoir espérer la victoire. Une fascination à nulle autre pareille dans le sport automobile. En neuf épreuves – avant l’E-Prix de Berne –, huit vainqueurs différents ont été enregistrés, parmi lesquels Edoardo Mortara à Hong Kong. Une situation qui contraste en profondeur avec les cinq doublés en cinq courses des Mercedes en Formule 1. « Nous avons eu tellement de vainqueurs différents que plus rien n’est prévisible dans notre championnat, soutient l’Aiglon. Les courses sont toujours très intenses, les voitures plus proches les unes des autres. Plus qu’une course, l’on assiste dès lors à une véritable régate de catamarans sur route.

Une formule qui attire les constructeurs automobiles

La particularité de la Formule E est d’ailleurs telle qu’il ne suffit pas de passer des sessions de plusieurs heures en simulateur pour appréhender les circuits. À Berne, tout particulièrement, la sinuosité du parcours dans la vieille ville rend la réalité du terrain beaucoup plus difficile à appréhender pour l’ensemble des pilotes. Ayant passé les deux dernières semaines en simulateur en reproduction virtuelle du circuit de Berne, Sébastien Buemi a pu ressentir pour la toute première fois les sensations des passages clefs de la sinueuse, longue et raide descente de l’Aargauerstalden – une particularité encore jamais vue en Formule E. Il a ensuite emprunté les deux virages en épingle près de la fosse au Ours, puis au bout de la Laubeggstrasse qui abrite également une cinglante chicane. L’inertie et la gravité de la pente présente sur le tracé contribuera à la rapidité du circuit.

« La piste est complètement folle », avouait en conférence de presse le directeur du championnat Alberto Longo. « Le tracé sera très exigeant et très technique. Ce sera sans aucun doute l’un des temps forts et l’une des plus belles courses de la saison. » « Chaque piste a des challenges un peu différents, même s’il est vrai qu’ici le saut est assez extrême, assure pour sa part Sébastien Buemi. La descente sera spectaculaire sous tous les points de vue. Nous aurons peu de temps pour nous adapter à notre arrivée sur place. »

« Le comité de la Formule E et ABB font ensemble un bon travail pour trouver les justes lieux pour produire un E-Prix. Et le choix de Berne paraît très intéressant »

Sébastien Buemi

Comme à Rome, où l’esquisse d’une pente similaire a déjà été arpentée, l’E-Prix de Berne joue de ses reliefs pour marquer de son empreinte l’histoire de la discipline. « Le comité de la Formule E et ABB [ndlr, acteur majeur dans l’innovation, les technologies et l’automation] font ensemble un bon travail pour trouver les justes lieux pour produire un E-Prix, assure toujours le pilote Nissan. Et le choix de Berne paraît très intéressant, aussi parce que c’est ici que je m’attends à atteindre la vitesse maximale de la saison avec la GEN2. » Les dépassements y seront donc grandement favorisés au abords de la fosse aux Ours, où les virages 3, 4 et 5 seront également critiques. Comme partout, ambition du pilote oblige, Buemi y voit une opportunité de s’y imposer: « S’il y a une course pour laquelle j’aimerais monter sur le podium, c’est bien à Berne. J’ai toujours eu le rêve de disputer un Grand-Prix en Suisse et je suis très fier de pouvoir le vivre. »

Ces bravades grandeur nature volent d’ailleurs toujours plus la vedette aux circuits. Le défi des courses en ville intéresse d’ailleurs plusieurs manufacturiers automobiles. Certains ont déjà affiché leur volonté de rejoindre le championnat de Formule E. « En ayant doublé la capacité des batteries par rapport à l’année passée, la Formule E a attiré de nouveaux manufacturiers désireux de la rejoindre », affirme Alberto Longo. En effet, en plus des onze déjà enregistrées cette année, plusieurs autres constructeurs ont déjà acté leur arrivée prochaine dans la compétition à partir de 2020. Après Jaguar, Audi et BMW, deux autres grandes marques ont déjà reçu leur livrée de la nouvelle GEN2 pour la saison prochaine: il s’agit de Mercedes et Porsche, deux constructeurs qui y voient l’opportunité de tester, améliorer et perfectionner la conception de leurs futures utilitaires citadines électriques. « C’est la première fois que l’on a autant de constructeurs annoncés pour une saison, continue le directeur technique de la Formule E. Cette abondance nous est certainement due aux améliorations que nous avons apportées cette année au championnat. »

« D’entre toutes, le challenge du “Mode Attack” a été le point critique ayant convaincu de nombreux ingénieurs à relever les défis de la Formule E »

Alberto Longo, directeur du championnat de Formule E

« D’entre toutes, le challenge du “Mode Attack” a été le point critique ayant convaincu de nombreux ingénieurs à relever les défis de la Formule E », soutient Longo. Ce nouveau paramètre intronisé depuis Abu Dhabi en décembre 2018 a bien sûr modifié la physionomie des courses de Formule E. L’Attack Mode est matérialisé par un couloir hors trajectoire sur la piste, le long duquel les pilotes doivent passer pour charger les 25kW en plus sur leur batterie. Cela implique ainsi de calculer le juste moment pour l’activer au risque de perdre une précieuse position sur la grille. « Je suis content des nouveautés qui sont apparues, même si je me suis montré initialement sceptique concernant l’Attack Mode, avoue Sébastien Buemi. Je pensais que cela n’apporterait rien de très intéressant. Mais je sais que les directeurs de course et les chefs opérateurs de la Formule E sont très dynamiques. Ils n’ont pas peur de changer. » La Formule E n’ayant vu le jour qu’en 2014, les risques sont faibles, pour quelques nouvelles innovations, de dénaturer l’essence même de la série. Le format des courses a d’ailleurs beaucoup évolué en cinq ans; elles sont plus courtes grâce à l’Attack Mode et le Fanboost. L’approche est jugée juste. « Il nous faut vivre avec notre temps », conclue Buemi. À Berne, l’Attack Mode sera placé en contrebas du Schönbergpark, où s’ensuivra une longue ligne droite.

Mercedes, de la DTM à la Formule E

Mercedes est en réalité déjà indirectement engagé dans le championnat actuel. La marque collabore avec la HWA Racelab de Vandoorne et Paffett qui a rejoint la Formule E cette année. Son directeur technique, Toto Wolff a, en réalité, suivi de nombreux E-Prix ces deux dernières saisons, parallèlement aux Grand-Prix de F1. L’écurie, au travers de sa marque EQ, sera la première à disputer à la fois le championnat de Formule 1 ainsi que celui de Formule E. Le géant de Stuttgart domine déjà le sport automobile de première catégorie grâce à Lewis Hamilton et Valtteri Bottas; il ambitionne désormais de s’imposer également en formule électrique. D’autre part, la marque à l’étoile a déjà annoncé mettre un terme à sa participation au programme de course en DTM après trente ans de présence. La place est désormais laissée aux défis futuristes.