La candidature sur dossier à laquelle s’est prêtée en 2018 l’artiste auprès de la production Picture My Music de Mei Fa Tan – laquelle projette depuis six ans d’illustrer une musique choisie, parmi 140 projets, par la réalisation d’un clip vidéo – ne reflète en réalité que le versant actuel de la progression artistique de Yael Miller. Mais celui-ci n’a pas été le plus anodin non plus. Pour s’en rendre compte, en revanche, il convient de repartir un peu plus loin dans la vie – et la carrière – musicale de cette artiste aux racines israéliennes.
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Yaël a six ans en 1990 quand elle entreprend de suivre des cours de piano à Tel Aviv. Elle y entre au conservatoire Yigal Alon quelques années plus tard, ce qui équivaut à une école professionnelle en Israël. Mais au-delà de sa formation de pianiste classique, elle est également rapidement attirée par le chant, par lequel elle se révèle à elle-même au travers du jazz. Bientôt celui-ci surplombera même le piano; en discutant avec le directeur de son école, lui faisant part de s’éloigner du piano pour le chant, il s’avérera qu’il la conduira brièvement à suivre quelques cours – ironie et loufoquerie s’entremêlant – de trombone. « Une expérience comme une autre, disons », raconte-t-elle le sourire aux lèvres. Une expérience qui en précèdera une autre, d’un autre genre, pourtant. En fin d’adolescence, elle entre dans l’armée. Pas par choix mais par obligation (les femmes devant également servir pour le pays même si moins longtemps que leurs homologues masculins). Seulement, le temps passé sous l’uniforme, explique-t-elle, « détruit la seule sensibilité que l’artiste dispose pour son art, sans compter que l’on est confrontés, à Gaza, à des scènes d’injustice dingues. » Elle finira tout de même par sortir du circuit militaire sur note psychiatrique (volontairement provoquée) avant de s’envoler vers de nouveaux horizons, outre-Atlantique.
« Cela fait 13 ans que je parle français et seulement maintenant j’essaie d’écrire mes chanson dans cette langue »
Yael Miller, auteure-compositrice-interprète israélo-suisse
C’est à New-York qu’elle atterrit, comme beaucoup d’Israéliens quittant leur pays à la même époque. La vingtaine dans les rues de Manhattan, du Queens ou encore de Brooklyn pendant une année, les temps sont pourtant assez durs, manquant principalement de ressources financières. « J’étais fauchée, à dire vrai », illustre-t-elle alors. Conditionnée ainsi, elle choisit dès lors de retraverser l’océan, faisant machine arrière vers l’Europe, où elle accoste, dans sa fringance certaine, en France. Le temps d’y passer quelques auditions jusqu’au jour où, par les voies du cœur, elle suit un garçon à Genève. « Ça n’aura finalement pas marché avec lui, mais cela ne m’a pas empêchée de rester et d’apprécier Genève. » Car c’est justement sur le bout du Léman qu’elle crée son premier projet musical à succès avec la formation du groupe jazz Orioxy, au sein duquel elle collabore déjà avec son actuel batteur Roland Merlinc. Trois albums plus tard (le dernier sorti en février 2015) et une riche tournée européenne, passés également par le tremplin jazz d’Avignon – duquel ils remportent le prix du jury –, l’artiste décide de se lancer, en 2017, dans un projet solo. Celui-ci, justement, ne fait que débuter. Il est actuellement déjà crédité d’un premier EP sorti la même année, en septembre, et précédant allègrement l’album avec lequel elle tourne actuellement, délivré en novembre dernier. Aujourd’hui, elle habite à Paris mais elle enseigne également au conservatoire populaire de Genève.
Son dossier de candidature à Picture My Music
En 2018, c’est aussi le moment choisi pour se présenter – une année de plus – à la production Picture My Music. Son dossier passe l’écueil d’une première sélection pour se retrouver parmi les 10 finalistes. Lui est alors demandé de rédiger une lettre de motivation, sur laquelle elle planche pas moins de 48 heures avant de l’envoyer aux équipes de Mei Fa Tan. « J’avais vraiment envie que ça marche », explique-t-elle alors. « Je sais que le clip vidéo est une vitrine nécessaire pour un artiste. Toute mon énergie ces derniers mois m’a conduit à vivement espérer ce clip. » Et pour ce faire, elle savait devoir raconter une histoire, son histoire. Car le projet d’illustration d’un morceau passe avant tout, auprès de la production, par la garantie d’un projet artistique viable: « Ce que je recherche avant tout, ce sont des collaborations artistiques et pas seulement un artiste qui attend tranquillement qu’on illustre son clip », détaille alors la réalisatrice Mei Fa Tan.
« On ne choisit pas ses origines, l’hébreu est ma langue maternelle et elle me vient automatiquement quand j’écris des chansons »
Yael Miller, auteure-compositrice-interprète israélo-suisse
Ainsi sélectionnée, tournage achevé et dévoilement actuel du clip en ce vendredi 8 mars, Yael Miller s’est révélée toujours plus auprès d’un public qui la connaissait sans doute déjà avant. Ou peut-être pas. Il n’en reste que son disque et la désormais couverture médiatique qui lui est consacrée, conséquente à la sortie de son clip Angry, détaillent l’artiste aux racines israéliennes sous une nouvelle facette. À commencer par sa belle voix teintée lorsqu’elle interprète ses chansons dans la langue de ses origines, en hébreu. Une évidence pour l’interprète: « On ne choisit pas ses origines, l’hébreu est ma langue maternelle et elle me vient automatiquement quand j’écris des chansons », explique-t-elle, tirant sans doute le trait pour l’écriture de son père, alors écrivain. Il n’empêche qu’au-delà des quatre titres écrits et chantés en hébreu, cinq le sont pourtant également en anglais – dont notamment Anywhere On This Road, écrit par la chanteuse américano-mexicaine Lhasa de Sela. Un équilibre certain entre les deux langues qu’elle maîtrise le mieux, plume à la main. Et le 10e titre ? Il est en français, sa langue d’adoption dirons-nous. Et même si le morceau La Place a été écrit par le rappeur suisse Jonas, il n’empêche que Yael Miller s’essaie ces derniers temps à écrire des chansons en français. « Cela fait 13 ans que je parle français et seulement maintenant j’essaie d’écrire mes chanson dans cette langue. C’est un challenge, je dois dire », aiguillonne-t-elle alors, se sentant encore inconfortable avec les rimes particulières de la langue de Molière. Mais, assure-t-elle, en parallèle: « Le public ne se pose pas forcément la question de la langue de l’interprétation, le plus important restant la confiance que l’artiste porte sur scène face à son public. » Même si… « il y a toujours une appréhension certaine de défendre l’hébreu » pour les raisons géopolitiques actuelles que l’on connaît. Mais comme toujours, et tout au long de son parcours, le plus important restera toujours de s’assumer pleinement.