Antoine Raimbault se lance dans son premier long métrage avec l’affaire “Jacques Viguiez”. Bien loin d’une banale reconstitution, ce fait divers du début de siècle est réinvesti par le cinéaste grâce à Nora (Marina Foïs), personnage fictif et double du spectateur. Un film d’une extrême intelligence où l’appareil judiciaire, faisant parade au désir insatiable de savoir, fait office de garde-fous.
Gaston Dominici, Jean-Claude Roman, Omar Radda. Trois individus, que l’on soit contemporain de leurs actes ou non, dont les noms résonnent avec une familiarité morbide. Trois destins qui seront portés à l’écran par un trio de star: Jean Gabin, Daniel Auteuil, Sami Bouajila. Une fictionnalisation de l’incompréhensible et du mystère de ces grandes affaires juridico-médiatiques qui ont secoué la France. Le fait divers est comme un aimant: il attire et répulse car l’horreur fait place au besoin de savoir. Et c’est justement en questionnant la curiosité que Raimbault innove avec un thème inlassablement rebattu en littérature comme au cinéma. Chronologiquement, le film prend pour cadre le second procès de Jacques Viguiez, jugé en appel pour coups et blessures ayant entraînés la mort sur sa femme, après avoir été une première fois acquitté. Un crime hypothétique puisque le corps n’a jamais été retrouvé et qu’aucune preuve ne permet de privilégier un homicide plutôt qu’une disparition délibérée. Seulement, certains faits induisent le doute quant à l’innocence du mari: il attend trois jours pour signaler la disparition de sa femme, brûle le matelas conjugal et signale la disparition de son épouse seulement trois jours après l’avoir vue pour la dernière fois. À cela, il faut ajouter les allégations d’Olivier Durandet qui se présente comme l’amant de Madame Viguiez. Tous les ingrédients sont donc réunis pour monter un documentaire digne des plus grands numéros d’Enquêtes criminelles. Pourtant, Raimbault donne de la hauteur à ce procès ultra-médiatisé en se détachant d’une simple reconstitution documentaliste et cela, grâce à la fiction.
Mon père plutôt que la justice
Cuisinière et mère monoparentale, Nora se passionne pour ce procès, et pour le sort de ce père de famille aux airs de Meursault dont la fille est répétitrice pour son propre enfant. Elle devient l’adjudant de maître Dupond-Moretti (Olivier Gourmet) et prend en charge les écoutes téléphoniques que ce dernier lui transmet. Tout comme Nora, le spectateur est alors plongé dans les tréfonds de l’affaire par ces bandes d’enregistrement écoutées au casque, dans le calme de la nuit. Personnage fictif, Nora est le pivot du film. Elle permet non seulement un nouvel éclairage sur l’affaire mais surtout, sa propre curiosité fait écho à celle du spectateur; ce dernier traverse le miroir et assouvit son désir glouton de messe basse, de détails qui lui permettent de fonder son propre jugement. De fil en aiguille, la femme tisse, à l’aide de ses recherches sur internet, de nouvelles connexions. Comme une véritable enquêtrice, elle construit, sur le mur de son salon, un réseau de photos, de post-it et de flèches, autant d’hypothèses que de présuppositions. Une recherche en roue libre, à la source du clivage entre l’avocat et son associée. La quête de Nora, comme celle de l’opinion publique, est une quête d’absolution – celle du mari – qui va de pair avec le fait d’ériger un coupable. Réceptacle de l’opinion public, Marina Foïs se base sur une conviction dénouée de preuves juridiquement acceptables, une recherche éperdue de faire le coupable, comme elle défait celui des médias. La boucle est bouclée. C’est Dupond-Moretti, qui ramène la femme à la raison: le procès concerne la personne de Jacques Viguiez et le pouvoir judiciaire ne peut se fonder sur un autre élément que des preuves. Raimbault désamorce la fascination du fait divers pour la ramener dans la réalité d’un tribunal de manière très juste. Une belle entrée pour son début de carrière, sans oublier la prestation magistrale de la coqueluche des frères Dardennes, impitoyable lors de sa plaidoirie.