Après Jet Set, Camping, Disco et Turf, Fabien Onteniente ravive l’ensemble des symboles caractéristiques qui font ses films depuis le début des années 2000 dans sa nouvelle comédie de premier plan: All Inclusive. Parallèle alléchant, à première vue: la participation de deux grands noms des Bronzés, Thierry Lhermitte et Josiane Balasko qui donnent la réplique, 92 minutes durant, au duo nouvellement composé entre Franck Dubosc (Jean-Paul Cisse) et François-Xavier Demaison (Bruno). L’histoire reste cocasse et intelligente, mais le gentil “beauf” du cinéma d’Onteniente semble avoir fait son chemin…
Du bourgeois Gérard Lanvin, atterri par coup de malchance et de grasse déveine dans un camping du Pyla-sur-Mer, au citadin étriqué en visite surprise à la Guadeloupe des plages ensablées et des allées bondées d’hôtels all inclusive, Fabien Onteniente n’a sans doute plus connu l’excès d’imagination qui le fit autrefois réaliser les populaires pellicules de Jet Set (2000), Camping (2006) ou encore Disco (2008). Ce qui semblait avoir fait le succès du cinéma d’il y a de cela déjà dix ans fait remonter aujourd’hui toute l’âpreté de la copie sans minime part d’innovation. Pourtant Onteniente avait réussi à dessiner et traduire la comédie française dans ce qu’elle savait faire de mieux au début du nouveau millénaire; avec le premier opus de Camping, il avait su reproduire – non sans un humour réfléchi – la dissonance d’une cohabitation entre un, deux, plusieurs habitués d’un camping du bassin d’Arcachon et un notable parisien, les faisant partager une intimité aussi provocante que cocasse, si irritante autant que significative du message que l’entier film souhaitait transparaître. La tente de Patrick Chirac (Franck Dubosc) allait penser ce monde si petit qu’il était obligé de faire cabaner les deux représentants des extrêmes sociaux, du richard ploutocrate au chômeur naturellement généreux.
« Nous sommes tous de la même famille, celle du bon sens, des petites fragilités humaines, et c’est bien ce qui permet qu’un enfant circule indifféremment de la tribu Le Quesnoy à la tribu Groseille »
François Bégaudeau, écrivain et scénariste français
C’est qu’au-delà de la comédie, le scénario portait en lui l’ensemble du dessin d’une société divisée mais amenée à évoluer dans une réalité commune; le formaliste distingué convié à apprendre la simplicité de la vie auprès d’un énergumène dont il rejette l’ensemble des rituels de cul-terreux et dont il n’avait nullement envie – ni le besoin – de s’en imprégner. Avec All Inclusive, on est reparti pour un tour. Mais l’on peine franchement à y déceler la grande nécessité de ressasser l’entier des rouages déjà testés avec Camping, car mis à part le décor remanié – d’un camping au bord d’océan au bungalow luxueux d’un gîte caribéen –, la physiologie sociale du script ne se démarque pas d’une grande originalité. Alors, certes, le message qui transparaît, bien qu’il soit calqué à son précédent, reste singulièrement symbolique. François Bégaudeau écrivait à propos de Camping: « Se faire peur, diviser son peuple pour à la fin le ressouder sous un blason unique. […] [Le personnage en immersion, socialement distancié de la condition de ses hôtes, à l’image de Gérard Lanvin dans le personnage de Michel Saint-Josse et, dès lors, François-Xavier Demaison dans le rôle qui nous intéresse, ici, de Bruno] mérite-t-il qu’on le reconnaisse comme un des nôtres malgré l’évidente altérité sociale qu’il trimballe avec lui ? Oui, puisqu’il fait montre de cœur. Nous sommes tous de la même famille, celle du bon sens, des petites fragilités humaines, et c’est bien ce qui permet qu’un enfant circule indifféremment de la tribu Le Quesnoy à la tribu Groseille, pour reprendre l’exemple canonique. »
Bruno, le personnage par qui débute toute l’intrigue comique, vit un désespoir au début de l’histoire – une séparation de sa femme, alors qu’ils s’apprêtaient les deux à revivre une lune de miel – qui lui donne cet air blasé, insensible, indifférent, désenchanté face à l’excentricité de Jean-Paul Cisse (Franck Dubosc), qu’il déconsidère pleinement dès les premiers instants de leur rencontre, à l’aéroport de Roissy jusqu’à son arrivée en Guadeloupe. Et pourtant, dans la veine des précédents films d’Onteniente, c’est au contact de ce célibataire de toujours que Bruno va apprendre à reconquérir sa femme. Absurde ? Pas tant que ça, tant que Jean-Paul Cisse lui fait montre d’une ouverture d’esprit qui laisse porte ouverte à toute tolérance envers l’autre. Car entre Bruno et Jean-Paul, tout laisse penser qu’ils vivent à l’opposé sur le plan social, mais aussi économique. À vrai dire, de l’existence humaine, ces deux énergumènes ne partagent rien, ni la vie de couple, ni la prospérité familiale et encore moins sentimentale. Mais ce sont leurs expériences personnelles et si particulières qui vont finalement les regrouper dans ce qu’ils sont de plus simple, et surtout le plus évident: un être humain, doté de sensibilité et de défauts. Le premier – Cisse – le sait déjà, le second – Bruno – ne va tarder à s’en rendre compte, au final. Autant le dire: le script n’est pas mauvais en soi, seulement il tombe trop à plat par rapport à l’antécédence qu’on lui connaît. Et c’est (trop) dommage pour que l’on s’en contente pleinement…
Quand le spectateur reste sur sa fin…
Bruno (FX Demaison, donc) est désormais celui qui donne la réplique à l’inimitable Franck Dubosc. L’on ne va, en toute objectivité, pas palabrer sur la forme du duo; les deux acteurs se connaissent bien et la réplique entre les deux est divertissante. Cela reste à mettre au crédit d’un scénario coécrit par Onteniente et Dubosc lui-même. Mais existera-t-il enfin un film où l’humoriste du Petit-Quevilly ne montrera pas ses blanches fesses à l’écran ? Même dans son apparition réussie dans le film Incognito (2008), où il donnait la réplique à Bénabar, il ne s’était privé d’apparaître sans culotte dans une scène de vie commune entre garçons, à chaque fois. L’on sait Franck Dubosc attaché au personnage qui est le sien – dans sa simplicité et, surtout, dans son plus simple appareil – sur scène comme à l’écran; ce bonhomme à tendance mythomane, manipulateur, sans-gêne, à la limite du perfide, le tout non sans un sentiment de tendresse envers ses partenaires de scène qu’il exacerbe depuis ses débuts. C’est ce qui fait sa réussite, et c’est sans doute ce qui amènera – toujours – un bon public à son cinéma. Et c’est ce qui, à vrai dire, fonctionne parfaitement dans son humour. Mais est-il seulement capable de sortir de ce carcan, une fois ? Certains en attisent la curiosité, le soussigné en premier.
« Ils ont oublié toutes les humiliations, l’ingratitude, le mépris dont a fait preuve leur visiteur. Tout est pardonné… et chacun reste à sa place »
Carole Desbarats, critique et historienne du cinéma
Aussi, pour ne rien arranger à la déception, le spectateur reste tout de même sur sa fin. Là, où Camping semblait jouer sur une émotion particulière, celle d’une lointaine compassion, All Inclusive assure manquer, ici, cruellement sa sortie. L’on est loin du pittoresque final de son ancêtre de 2006, où Carole Desbarats écrivait de la séparation finale entre Saint-Josse et les pensionnaires du camping girondin: « [L]’ensemble des campeurs regarde le bourgeois partir, dans le ravissement muet de qui a vu une apparition : ils ont côtoyé la bourgeoisie. Ils ont oublié toutes les humiliations, l’ingratitude, le mépris dont a fait preuve leur visiteur. Tout est pardonné… et chacun reste à sa place. »
Tout ceci: la fantaisie truculente des séparations, le salut photographique entre deux amis d’un jour, d’un week-end, le semblant d’amitié entre deux phratries, cette pleine image de bon sens que l’on attendait entre Franck Dubosc et François-Xavier Demaison n’est pas arrivé. Et à la place, l’on a connu un vide; le scénario souhaitait décrire une circularité dans l’expérience de M. Cisse, lorsqu’il se confronte dans la scène finale à Kev’ Adams, un jeune homosexuel en pleine rupture, censé – lui-aussi – partir au soleil dans le tourment d’une relation difficile. En refusant de signer la fin de la relation amicale entre Bruno et Jean-Paul Cisse, et en renouvelant cette dernière avec le jeune Caméo (Kev’), Dubosc et Onteniente ont machinalisé l’ensemble du processus de compassion entre les deux personnages principaux, comme si M. Cisse pouvait s’émouvoir sur commande et non par simple empathie. L’attendrissement des débuts est finalement tombé dans l’apitoiement. Et cela a beaucoup dérangé.
Bientôt: Camping 4
Fabien Onteniente reste pourtant sur le qui-vive; en 2018, au-delà de “All Inclusive”, plusieurs autres films étaient en préparation, et non des moindres. Parmi ceux-ci, l’on attend notamment “Coup de Chapeau”, avec Jean-Paul Belmondo et Benjamin Biolay – qui a notamment signé la bande originale du présent film –, “100% Bio”, avec Christian Clavier, Josiane Balasko et le chanteur Jérémy Frérot et surtout le quatrième opus de… “Camping”, dans lequel il fut un temps imaginé une rencontre entre Jeff Tuche et Patrick Chirac. Mais Onteniente avait désamorcé la bombe en évoquant une simple idée trottante dans son esprit. N’en reste que Patrick Chirac deviendra grand-père dans une comédie où l’on devrait retrouver son fidèle ami Paulo (Antoine Duléry). La “beauf-attitude” a encore de beaux jours devant elle dans le cinéma de Fabien Onteniente avec à sa pointe… Franck Dubosc, toujours !