The Mule: On the road again !

Après ses incursions sensationnalistes et voyeuristes sur la guerre (American Sniper, 2014) et le terrorisme (The 15h17 to Paris, 2018), Clint Eastwood sourit de nouveau à son double rôle de réalisateur-acteur avec The Mule. Un retour qui se lit comme l’envers de Gran Torino, du drame à la comédie.

Il nous a eu, le vieux saltimbanque! Les dernières minutes de Gran Torino (2008), dans lequel il incarnait un vétéran de la guerre de Corée aussi acariâtre qu’attachant, mettaient en scène la fin de la carrière de l’acteur: gisant au sol et criblé de balles, la caméra le filmait en surplomb, pieds joints et bras ouverts avant de reposer dans un cercueil dans le plan suivant. C’est aussi ce qu’il avait dit de son propre aveu : fini, la double casquette acteur et réalisateur. Que nenni! Les admirateurs du cinéaste de 88 ans ne sauraient être qu’à moitié surpris par son grand retour: le républicain est à l’image des personnages qu’il incarne, roublard et rayonnant de contradictions. Discrètement revenu d’entre les morts dans Trouble with the Curve en 2012, Eastwood continue de hanter le cinéma – il a notamment produit le blockbuster A Star is Born – histoire que personne ne l’oublie. The Mule est donc un pari risqué: un pied de nez, ce qu’on serait tenté d’appeler son ten years challenge, une dizaine d’années après Gran Torino adulé par la critique comme par le public. Earl Stone (Clint Eastwood) est un futur retraité prolifique: sous son chapeau de paille, il gratte la terre, vaguant à ses variétés de fleurs qu’il expose et offre fièrement lors de séminaires où il est adulé de tous. Puis, cinq ans plus tard, tout s’écroule: la concurrence d’internet le pousse à mettre la clé sous la porte. Il ne lui reste plus qu’à se replier sur son dernier bastion, celui tangent et craquelé de sa famille qu’il a délaissée pendant de nombreuses années. C’est alors qu’on lui propose de jouer les intermédiaires en transportant de la drogue sur de longues distances. Une opportunité qui tombe à pic, la veille du mariage de sa petite-fille.

La vieillesse dans la peau

Comment trouver sa place, sa légitimité une fois que l’âge devient une marque visible de notre rétropédalage social ? L’histoire – par ailleurs tirée d’un fait divers – d’Earl Stone n’est pas tant celle d’un retraité passif au temps libre illimité que celle d’un homme qui recherche la rédemption inéluctable: être considéré et aimé par les siens alors que sa confortable bulle s’est effondrée. Indéniablement, Eastwood filme habilement le regard de la société sur la catégorie des “seniors”: du gang latino qui le surnomme « Tata » au shérif qui s’arrête sur le bord de la route en voyant cette silhouette rêche derrière son pick-up. Et ce dernier n’est pas choisi au hasard: fidèle à Ford, le spectateur aura tout loisir d’admirer le roublard dans son imposante Lincoln Mark LT filmée sous tous les angles: jantes chromées, reflets chatoyants sur le noir laqué de la carrosserie sans oublier l’intérieur spacieux. Le récit est boursouflé par ces chevauchées goudronnées qui se transforment en de perpétuels spots publicitaires, accompagnée de sa B.O. des sorties endimanchées. Beaucoup moins réjouissante, la seconde partie du film joue d’un comique de situation assez faiblard, notamment lorsqu’il concerne les minorités. Il en va de même pour les personnages secondaires; seul l’un des trafiquants bénéficie d’un peu de profondeur rapidement dissipé et complètement absent du dénouement. Face au monstre Eastwood, il ne reste que Bradley Cooper qui subsiste en dépositaire: d’acteur à acteur, le réalisateur passe le flambeau à son disciple. La Lincoln ne surpasse donc pas la Ford Torino, mais soyons espiègle, il s’agit sans doute des adieux du maître.