Louis-Julien Petit sort en cette nouvelle année une poignante adaptation de l’ouvrage de la documentaliste, productrice et réalisatrice Claire Lajeunie “Sur la Route des Invisibles” (paru en 2015). Plus qu’inspirée de faits réels, la réalisation a investi devant ses objectifs des personnes, des personnalités, des identités qui ont véritablement vécu le bagne, le sans-domicile-fixe, la dure réalité de la rue. Le tout en élevant avec élégance et art la grande résilience de ces artistes en herbe. Le passage de l’indigence à la scène, ces bouts de femme l’ont fait. À découvrir ce mercredi en salles.
On y reconnaît la sensibilité d’Audrey. Dévoilée par les spots humoristiques de “Scènes de Ménages” des coproductions Noon et M6 Studio dans un personnage hyperactif et dans le caprice de l’âge, la cadette des sœurs Lamy a toujours su trouver meilleur équilibre dans la plupart des comédies dramatiques dans lesquelles elle a trouvé réplique. Déjà à l’affiche de “Polisse” (2011), “Ce soir je vais tuer l’assassin de mon fils” (2014) et – plus récemment – Simon et Théodore (2017), l’Alésienne prépare déjà une rentrée printanière chargée avec la sortie le 13 mars 2019 de “Rebelles” aux côtés de Cécile de France et Yolande Moreau. Son tact, son caractère enjoué tout autant que son air résolu en imposent. Pour “Les Invisibles”, fort d’un casting de plusieurs mois auprès de femmes ayant véritablement connu les complexités et les tiraillements soutenus de la rue, Audrey Lamy raconte une prise de conscience certaine auprès de ces déclassées ayant souffert la paupérisation et la déchéance, parfois. Dans son stricte – souvent trop élastique par ailleurs – rôle de travailleur social (elle est alors plus qu’une assistance sociale pour ces femmes), l’actrice témoigne – aux côtés des très populaires Corinne Masiero et Noémie Lvovsky – de l’entier prisme sociologique qui est indéniablement celui du projet “Les Invisibles”. Il y a définitivement un mouvement d’artistes dans l’écriture et le jeu des personnages, un engagement réel au travers de la fiction. C’est ce qui amenait justement le réalisateur Louis-Julien Petit avouer succinctement: « On en oubliait les caméras, on oubliait que l’on tournait un film. »
Pourtant, dans l’action de sensibilisation que trait l’ensemble de l’œuvre, il y a été intelligemment porté une fine et délicate touche d’autodérision. Le récit serpente, sinue sans cesse entre le drame et la farce, la rivalité et le partage, l’urgence et la dispense. Louis-Julien Petit la résumait simplement dans un triptyque d’amour, d’humain et d’humour. Cette constante bancale est bien ce qui assoit le récit, l’immerge dans le restant de joie et d’euphorie qui reste dans un sentiment perpétuel de cause perdue. L’autodérision de ces femmes troublées n’est que l’unique (ou le dernier) porteur d’espoir d’une vie brouillée.
“Louis-Julien Petit a traduit cette expérience dans un soupçon grotesque de naïveté […] Naïf oui, mais pas pour autant inutile”
Ceci car le film, en réalité, finit mal; l’histoire de ces femmes invisibles ne se termine pas sur une réussite, la fermeture du centre d’accueil de jour étant définitivement actée. Cependant, le message final en ressort limpide; si la plupart des ces requérantes n’ont véritablement pu s’extraire de leur condition de précarité, elles en ressortent fières, la tête haute, dignes, rebelles et volontaires… On en rappellera alors que l’aide sociale n’a pas besoin de cette bureaucratie-ci, de cet engrenage infernal et presque teinté d’injustice. On en rappellera que l’aide humaine et humanitaire n’a besoin que du courage de travailleurs et assistants valeureux. La réinsertion n’est pas un pourcentage, c’est un contact humain viable et durable. Louis-Julien Petit l’a rappelé; Louis-Julien Petit a traduit cette expérience dans un soupçon grotesque de naïveté – à l’image de la sortie sur tapis rouge de ces femmes invisibles du centre d’accueil, habillée par la musique du duo Eurythmics “Sisters Are Doin’ It For Themselves”, symbole de la lutte pour la place des femmes pour la société. Naïf, oui, mais pas pour autant inutile. Il y a une mise en échec constante au sein du film. Mais la fragilité des protagonistes n’empêche pas d’en balayer la fatalité. Le film raconte cela-même: le combat, la résistance, le courage de sortir de sa propre condition (parfois même sans le choisir). La résilience, en soi.
Chantal, une superbe authenticité
Audrey Lamy, Corinne Masiero, Noémie Lvovsky, Déborah Lukumuena, Brigitte Sy tout comme Sarah Suco ont été pleinement investies dans le tournage, notamment face à des (et aux côtés de) femmes qui ont connu la représentation quotidienne. Il n’est en effet jamais facile de jouer son propre rôle dans la difficulté de la rue. Et toutes, pour la plupart pas même actrices, ont accepté de prêter leur expérience au récit. C’est notamment le cas d’Adolpha Van Meerhaeghe, le charismatique et central personnage de Chantal, condamnée à la prison pour avoir abattu son mari qui la battait. La vedette du film, c’est certainement elle, couverte de sa sincérité déconcertante et de son authentique superbe. Condamnée à 11 mois de prison en 1987, Adoplha Van Meerhaeghe a sorti un livre sur sa vie, entre l’alcool et les coups, subitement lu, joué et interprété au théâtre en duo aux côtés – déjà – de Corinne Masiero. “Une vie bien rEnger d’Adolpha” lui vaut alors la reconnaissance qu’elle a sans aucun doute espéré depuis lors. Membre alors de la SACD (société des auteurs et compositeurs dramatiques), Adolpha vient encore plus d’éveiller – cette fois au cinéma – l’ensemble de son talent pour la narration et la comédie. Il n’y a pas à douter, sa lecture-spectacle, agrégée à son rôle dans “Les Invisibles” témoigne pleinement du renouveau moral et fondamental de cette « sans-dents » tout à fait charmante à l’écran et sur scène. Rien que pour sa sensibilité, le chef d’œuvre cinématographique de Monsieur Petit (filmé intégralement en focale courte) en vaut le détour. Les ravages de la précarité restent bien visibles mais qu’importe… toutes gardent le sourire de l’espoir. Incontournable en cette nouvelle année.