Plusieurs fois champion suisse et athlète lors des Jeux Olympiques de Pyeongchang en début d’année, Pat Burgener est également musicien entre deux compétitions. Avant le début de la nouvelle saison, nous avons pu rencontrer cet homme à tout faire, figure montante du snowboard international. À seulement 24 ans, le parrain des Jeux de la Jeunesse 2020 de Lausanne nous explique comment il arrive à concilier ses deux passions, le sport et la musique, sans se sentir surchargé, en tentant même de nouveau projets.
Cela fait maintenant neuf mois que les dernières Olympiades se sont terminées en Corée du Sud, d’où Pat Burgener est revenu avec une 5e place pour ses premiers Jeux. Le Vaudois a également enregistré son premier album cette année, et se prépare à la sortie son deuxième EP en lançant quelques singles sur la toile. Entre compétitions et concerts, Pat ne se repose pas, mais explique que ce rythme de vie lui permet de savourer chaque instant, et lui en apprend sur lui-même. Mature et conscient de là où il veut aller, il reste détendu et jovial. Alors qu’il était de passage au Rolex Learning Center de l’EPFL avant son concert au Bleu Lézard à Lausanne [ndlr, le 14 novembre dernier], il nous a accordé une interview. Le snowboardeur nous raconte son expérience aux Jeux Olympiques, sa relation avec son compatriote Iouri Podladtchikov ou encore les quelques moments difficiles de sa vie.
« Souvent on donne trop d’importance au passé. [Iouri Podladtchikov] était là, en Corée, il a fait les dernières radios et il me dit “je peux pas faire les Jeux, c’est trop dangereux avec ma tête”. On était en train de jouer au ping-pong dans la chambre, et c’est là que j’ai réalisé qu’il fallait savoir passer à autre chose, que c’est impossible de récupérer si on reste bloqué dans le passé »
Pat Burgener, snowboarder finaliste des Jeux Olympiques 2018 de Pyeongchang
La nouvelle saison de snowboard va recommencer, est-ce que tu as des objectifs ? Un point sur lequel tu te serais plus particulièrement préparé ?
Mon objectif, comme celui de tout sportif c’est de faire des podiums, de ramener des médailles et de faire mieux que l’année précédente. L’année passée, c’était vraiment une belle saison pour moi et ça m’a mis en bonne confiance pour cette année. Aux derniers championnats du monde j’ai fait 3e et les championnats reviennent cette année. Mon rêve serait de faire une médaille d’or là-bas [ndlr, à Park City, aux États-Unis du 1er au 10 février 2019]. On me pose souvent la question de connaître mes objectifs, mais j’irais pas à une compétition si c’était pas pour bien faire, donc l’objectif est déjà là. Chaque compétition est une compétition. On a tendance à mettre plus d’importance sur une compétition en particulier, alors qu’elles sont toutes importantes. J’en prends une après l’autre, et je pense que c’est l’attitude à avoir. Si tu veux être performant tu peux pas te concentrer sur les Jeux dans quatre ans [ndlr, à Pékin en 2022]. C’est un objectif, mais il faut prendre chaque évènement comme il vient.
Tu as été aux Jeux de Pyeongchang cette année, après avoir manqué deux fois la compétition, qu’est-ce que tu retiens de cette première expérience aux Jeux Olympiques ?
C’était flippant, surtout les quelques semaines ou mois avant. Tu retombes très rapidement dans des pensées négatives, tu te dis: “faut pas que je fasse ça, ni ça”… En fait, tu te projettes instantanément dans le futur, avec cet évènement qui arrive dans quelques semaines, tu réalises que tu investis tellement de temps pour ça. Tu as même des pensées du genre: “pourquoi je fais ça ? Est-ce qu’il faudrait pas que je laisse tomber ?”. Je me rappelle du dernier entraînement avant les Jeux, où je me suis dit: “ok c’est fini, je me suis pas blessé, maintenant on y va, demain on part en Corée” et ce sentiment était incroyable. Et puis quand t’es aux Jeux, c’est insensé parce que pendant les qualifs, t’es tellement proche de cet objectif dont tu rêves depuis tout ce temps: les finales. C’est d’autant plus intimidant, parce qu’aller aux Jeux sans faire de finale c’est pas la même chose. Puis, plus tard, aux finales je pensais que j’allais paniquer, mais en fait j’étais trop détendu, parce que tu ne t’immobilises plus dans un futur programmé. Il n’y a plus de futur, plus de passé, tout ce qui compte, c’est l’instant présent. Et c’est pour ça que quand tu vois les autres athlètes, c’est le plus haut niveau qu’on n’ait jamais vu en snowboard.
Mon entraîneur filme tous les entraînements, et quand je regarde l’entraînement de l’heure avant les finales, tout le monde ridait très mal, parce que tout le monde attend le dernier moment pour sortir le grand jeu. Moi-même, j’ai pas fait toutes mes figures à l’entraînement. C’est fou, mais tu arrives dans un moment où tu te dis: “ok, je pourrais mourir maintenant, c’est bon”. C’est assez violent comme sentiment. Et quand c’est fini, tu réalises que c’est une leçon de vie, que tu vois que tu donnes beaucoup d’importance à plein d’évènements dans la vie, comme le décès d’un ami, alors qu’en vrai la vie continue. Il faut réussir à vivre sur le moment je pense, c’est comme ça que tu arrives à adorer chaque évènement. Par exemple, il faut pas rester accroché aux Jeux, sinon tu fais une saison inutile. Il faut continuer, aller de l’avant. Les Jeux, ça m’a vraiment ouvert les yeux sur la vie je crois.

Tu as terminé 5e, mais c’était quand même une victoire pour toi, non ?
Je n’avais jamais autant bien ridé, c’était la finale la plus violente sportivement parlant. C’est clair que j’aurais rêvé de faire une médaille, mais ce moment était juste hallucinant, et ceux qui étaient devant moi le méritaient. Moi ça fait quatre ans que je me suis remis à rider du pipe. Shaun White, ça fait 20 ans qu’il fait du pipe; Scott James ça fait 10 ans qu’il ne fait que ça. Je pense que je suis celui qui est revenu le plus de nulle part et qui est arrivé avec un aussi bon résultat. Et mes entraîneurs me l’ont fait réaliser, ils m’ont dit: “t’es dans le top-5 en si peu de temps, si tu continues sur cette lancée, dans quatre ans c’est toi qui sera tout en haut”. Donc il faut que je garde cette mentalité, et si je gagne une médaille dans quatre ans je serais encore plus content. Il faut vivre chaque instant, sans rester accroché au passé.
Quand Iouri Podladtchikov s’est blessé, il me semble que tu as parlé avec lui. Est-ce que ce qu’il t’a dit sur sa philosophie t’est resté imprégné ?
Iouri m’a beaucoup appris mentalement, même si aujourd’hui je prends des trajectoires différentes sur certains points. Mais en même temps c’est normal, on est des êtres humains totalement différents. Mais là où il est incroyable, c’est qu’il sait passer à autre chose. Souvent on donne trop d’importance au passé. Lui il était là, en Corée, il a fait les dernières radios et il me dit: “je peux pas faire les Jeux, c’est trop dangereux avec ma tête”. On était en train de jouer au ping-pong dans la chambre, et c’est là que j’ai réalisé qu’il fallait savoir passer à autre chose, que c’est impossible de récupérer si on reste bloqué dans le passé. Ce qui s’est passé aussi, c’est qu’avec sa blessure je me suis senti un peu comme le teneur du drapeau suisse en snowboard. Tout le monde parlait de Iouri pour faire une médaille, et puis après tout le monde parlait de Pat. Alors j’ai vraiment appréhender mes qualifs, mais au final tout s’est très bien passé.
Quand on a participé aux Jeux Olympiques et réalisé son rêve comme tu l’as fait, quelle est la prochaine étape ?
Grâce à la musique, je me suis livré à une parfaite échappatoire. J’arrive facilement à passer à autre chose. Déjà en Corée, après la compétition, tout mon groupe est venu et on s’est retrouvé à jouer dans la maison suisse, on a eu trois concerts. Ces moments, après les Jeux, étaient vraiment des instants de pure joie, alors que je pensais plutôt prendre du temps pour moi. Mais c’est là que j’ai appris de nouvelles figures, que je suis resté concentré à fond sur l’entraînement. J’ai beaucoup fait la fête aussi, mais j’ai réussi à suivre avec les entraînements. Ce qui m’a aussi permis de faire une belle 5e place à l’US Open pour confirmer ma belle lancée.
Dans la foulée, j’ai aussi sorti mon premier album juste après les Jeux, tout le monde disait que j’étais fou. J’ai même fait un deuxième album qui sort peu à peu en ce moment. Et je pense que si je me suis empressé d’enregistrer cet album c’est que j’avais un message à faire passer, c’était un moment tellement intense dans ma vie que si je le disais pas tout de suite, ces pensées se seraient envolées.
Une autre chose t’es arrivée récemment; tu as été choisi pour être l’un des trois ambassadeurs des Jeux Olympiques de la Jeunesse 2020 à Lausanne. Une marque d’importance pour toi ?
Tout cela m’est très important, d’un point de vue personnel. C’est ce que je véhicule depuis tout petit. Chaque pas en avant pour pousser les jeunes à faire du sport, c’est gagné. Aujourd’hui je donne beaucoup d’interviews, parce que je pense qu’il faut pousser les jeunes à vivre leurs rêves et que le seul moyen pour un jeune d’y croire, c’est d’avoir des exemples.
Ça ne fait pas trop pour toi de combiner sport, musique et ce rôle de parrain, également avec les dates de concert que tu enchaînes ?
D’autant plus que l’on tourne un film cette année, c’est du full time. C’est beaucoup dû à mon grand frère Marc-Antoine [ndlr, son manager] qui coordonne tout et m’aide à organiser tout cela. C’est juste une question d’organisation. On a tellement de concerts, mais tout est en ordre. C’est une énergie positive, même si je n’ai pas de temps pour moi, même si je n’ai pas vraiment de vacances. Cela ne me dérange pas. Si je fais un jour de vacance, je m’ennuie ferme. Les gens ont tendance à travailler dix mois par année, et prennent cinq semaines de vacances pour rien faire. En fait, t’as meilleur temps de faire ce que t’aimes, et le temps que tu as pour toi, c’est pour continuer à bosser.
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Avec tout ce que tu fais, tu travailles à 300%, pourtant tu parais très détendu. Est-ce que ça t’arrive d’avoir le trac ou d’être stressé ?
On stresse souvent, il y a des moments où je suis plus stressé que d’autres. Si tu me vois avant un concert, tu verras que je parle plus vite, mais c’est ça que je recherche aussi. Il faut savoir apprivoiser l’adrénaline, comme toute autre chose d’ailleurs. Le journaliste doute, stresse lors de sa première interview, le photographe doute, stresse avant de réaliser sa toute première photo. Et puis on s’y fait, et moi j’ai de plus en plus de plaisir à faire du snowboard, de la musique ou même des interviews. Il faut se dire qu’il faut être prêt à apprendre et après ça, chaque évènement nous apprend quelque chose. Quand j’étais plus jeune, j’étais plus fermé et je refusais d’apprendre de mes défaites. C’est justement comme cela qu’on passe à côté de tout.
Tu dis souvent dans tes interviews que tu as un parcours assez atypique et que tu as dû te battre pour en arriver là. Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées ?
Les plus grosses difficultés, je les ai rencontrées à l’école, parce que quand tu es petit, tu as très peu de pouvoir sur toi-même. Tu vas où les gens te mènent et c’est le but de l’école de formater les gens pour les amener au même objectif. Ça peut être bien pour certains, mais pour des gens comme moi qui sont soi-disant hyperactifs, soit on leur donne des médicaments et ils se calment ou alors il faut se battre pour suivre son propre chemin. Je trouve aussi scandaleux que cela soit vu négativement. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont été de mon côté et qui m’ont aidé. J’ai dû un peu me battre un peu contre la vie, puis quand j’étais dans ma lancée j’ai reçu une deuxième claque avec les blessures en snowboard, où j’ai réalisé que même en faisant sa passion, il faut savoir être structuré, et maintenant je vois que quand t’es organisé, tout suit, et ce ne sont que des bons évènements qui arrivent.

Tu dis aussi que tu vis un rêve éveillé avec les Jeux et les sorties de tes singles. S’il y a un truc qui te déplaît dans ta vie actuellement, qu’est-ce que c’est ?
C’est une bonne question. Je pense que plus tu en fais, plus tu as des pensées négatives qui arrivent, et il faut se battre contre ça. Mais de nouveau, ce n’est pas forcément négatif puisque j’en apprends sur moi-même, j’apprends à laisser ces pensées de côté. Il y a un très bon livre là-dessus qui s’appelle « The Untethered Soul, The Journey Beyond Yourself » [ndlr, de Michael A. Singer, 2007], qui raconte que les gens s’identifient à ces pensées. Par exemple, quand on marche dehors et qu’il fait froid, on se le dit à soi-même dans notre tête, alors qu’on pourrait juste éteindre ces pensées et vivre le moment, et ça passe beaucoup mieux. Il y a quand même des jours où ces pensées sont nombreuses, ça m’est arrivé plusieurs fois ces derniers mois de passer des journées “full dépression”. C’est aussi dû à toutes les émotions des concerts, c’est comme l’alcool ou les drogues: les gens en prennent pour s’éloigner de la réalité et il y a des moments où cela redescend. Et c’est ce que je fais avec la musique ou le sport, je m’éloigne de la réalité, mais il faut savoir revenir. C’est quand même un peu plus sain, parce que c’est naturel et tu en apprends sur toi-même.
Est-ce que la musique et le sport ont le même effet pour toi ou est-ce que tu fais de la musique dans certains moments et du sport dans d’autres ?
Ça vient assez naturellement, j’ai un plan bien défini, avec des moments de compétition et des concerts. C’est bien organisé et quoi qu’il arrive je me réjouis, je kiffe trop de faire du snowboard, je kiffe trop de faire de la musique. Ce soir on a un concert et je me réjouis trop de faire les soundchecks, de vivre ce moment et cette soirée avec tout le monde [ndlr, le 14 novembre dernier au Bleu Lézard].
Tu en as parlé avant, tu as lancé une série de films sur YouTube avec un premier chapitre qui est sorti ce mois-ci. Peut-on en savoir plus sur le deuxième épisode ?
L’an dernier, l’on faisait des vlogs trois fois par semaine qui montraient toute ma vie pendant la préparation des Jeux. Cette année on en avait un peu marre alors avec mon filmeur, on a décidé de faire des documentaires de 10 minutes pour montrer tout ce qu’il y a de plus profond dans ma vie. Dans le premier épisode, je fais un peu l’acteur en parlant de mes idées en costard et ce genre de conneries. On a eu beaucoup de retours positifs alors on a décidé pour le deuxième épisode de se tourner plus sur le “mindset”, sur l’attitude à avoir. On a écrit tout le script, il y aura beaucoup plus d’acting et presque pas de snowboard, parce que si les gens veulent me voir rider, ils allument la télévision et me voient en compétition. Alors que tout ce que je viens de dire maintenant, pouvoir mettre des images dessus, c’est génial. Ce documentaire c’est comme une thérapie, certains vont voir un psy et moi en me posant pour écrire, je me pose des questions à moi-même et cela me fait du bien.
Tu rides, tu chantes, tu fais des films,… Quel est le prochain projet ?
On est en train de regarder pour faire une marque d’habits, mais là, malgré tous mes projets, ça fait déjà beaucoup. Je regarderai avec Marc-Antoine qui gère tout le reste et grâce à lui on pourra faire beaucoup de choses.
Enfin, est-ce qu’il y a une seule chose dans ta vie que tu veuilles faire pour te dire: « Je peux mourir en paix » ?
Je crois pas, je pense que j’ai encore beaucoup de choses à faire avant de mourir. Je suis pas encore là où je veux, et si c’était le cas ce serait triste, parce que se satisfaire c’est le pire truc dans la vie. J’ai des potes qui me disent: “c’est bon, j’ai un job, je suis tranquille, je peux regarder la télé le dimanche“, mais je me demande comment c’est possible. Il ne faut pas être heureux de soi-même, il faut savoir accepter les trucs négatifs. Quand j’écoute un artiste, je me dis que je veux être comme lui, et cela ne changera jamais. Tous les chanteurs, que ce soit Bowie ou les Beatles étaient tous pareils: ils écoutent leur musique et quand ils entendent une autre musique ils veulent faire pareil. Heureusement que c’est comme ça, parce que ça permet au côté artistique d’évoluer aussi. Surtout.