Se produire sur la scène du Stravinski au MJF sans album et sans site internet, une utopie ? Eux l’ont fait! Le duo formé par Imelda Gabs et Clyde Philipp’s est revenu de cette expérience plus mature que jamais avec un EP en poche et projette également un album studio. Le tandem piano acoustique et batterie a concrétisé des années d’efforts et de joies, bravant les difficultés qui se sont imposées à eux après avoir été propulsés sous les projecteurs de la ville aux palmiers. Nous les avons rencontrés dans la salle Paderewski du casino de Montbenon où ils ont lancé leur première galette Not Alone il y a quelques mois.
Pour retracer la trajectoire particulière de ce duo composé d’Imelda Gabs, digne héritière de son paternel Doctor Gabs et de Clyde Philipp’s, comédien de formation, les lieux semblent être fondamentaux. Ce n’est en effet pas un hasard si nous les rencontrons là où, quelques mois auparavant, ils ont lancé en grande pompe leur premier EP. Not Alone sonne comme un appel, une nécessité d’être mais surtout de dire. La musique certes, mais également un vécu, une expérience humaine et musicale qui naît d’une rencontre entre deux musiciens pour qui tout semble sourire. Mais derrière leur assurance et le goût de Clyde pour le bavardage jovial, les deux musiciens ont dû faire preuve de courage et avoir les épaules solides. S’il fallait leur demander ce qu’il restait à accomplir une fois s’être produit sur la scène de l’Auditorium Stravinski, ils répondraient certainement en cœur que tout restait à faire. Pour appréhender la première partie de ce « tout » dans lequel la question de l’identité est un pilier, nous évoquons avec eux les lieux qui leurs sont chers, des studios londoniens à la Suisse en passant par leurs origines respectives.

Londres: du Metropolis à la scène
Not Alone signe la concrétisation d’une collaboration entre les deux musiciens qui ne s’est pas faite en un jour. Après six mois de vie, l’EP est toujours dans sa phase promotionnelle d’où la complexité pour Imelda de l’évoquer de sang froid : « Quand on est dans un projet, c’est toujours difficile d’en parler avec beaucoup de recul, surtout qu’on est encore en train de le promouvoir. On n’avait pas écouté l’EP depuis un petit moment et on l’a réécouté dernièrement, quand on était à Londres avec des amis qui ne l’avaient pas encore entendu. » Une promotion qui passe par des concerts mais également par plusieurs diffusions à la radio, comme dernièrement leur intégration sur les ondes de Radio Swiss Pop ou encore leur présence dans les médias : « On a fait l’émission géniale “La puce à l’oreille” [ndlr, diffusée le 12 octobre dernier]. En termes de communication et de visibilité, c’est génial pour nous. À chaque fois qu’on nous parle de l’EP j’ai envie de dire que ce n’est que le début », ce que confirme Imelda : « Cet EP a été une petite page qu’on a tournée car il représente le moment où on a trouvé notre identité en tant que duo. C’est pour cela qu’il s’appelle Not Alone, même s’il y a plusieurs significations derrière ce nom. » Une des interprétations du titre concerne sa portée et son engagement auprès des collaborateurs d’Imelda & Clyde, présents en studio comme sur scène et qui ont également fait le déplacement pour l’enregistrement de l’EP: « Nous avions envie que cela soit très authentique. On ne voulait pas faire enregistrer les musiciens en Suisse pendant qu’on enregistrait à Londres. On cherchait une expérience à vivre tous ensemble, persuadé qu’en le vivant, cela allait se retranscrire dans l’enregistrement. Cette énergie, on ne l’aurait pas eue si l’on avait fait l’enregistrement séparément. Il n’y aurait pas eu ce lien. » Mais les musiciens ne se contenteront pas de figurer sur l’EP puisque pour certains, ils participeront également aux concerts : « Au vernissage, nous étions déjà avec tous les musiciens qui étaient sur l’EP. Actuellement, nous avons des concerts prévus avec Dimitri Cochard [ndlr, bassiste sur Not Alone] et Arnaud Paolini, guitariste, qui nous a rejoint après l’enregistrement. Pour nous, c’est important de partager ce qu’on fait avec d’autres musiciens car cela nous permet d’apprendre des choses et de se remettre en question, c’est important. Décortiquer notre travail pour l’expliquer aux autres c’est assez enrichissant. »
« Londres était notre première destination hors de la Suisse pour nos visites. On est tout de suite tombé sous le charme de cette ville où la musique fait vraiment partie intégrante de la culture. Il y a des concerts à toutes les heures de la journée et une dynamique intéressante et créative »
Clyde Philipp’s du duo Imelda & Clyde
Une manière de marquer d’une première pierre leur entrée dans le monde professionnel qui a su faire preuve d’exigence et d’inventivité, puisque c’est à Londres qu’Imelda & Clyde ont décidé d’enregistrer: « Clyde avait un très bon ami à Londres. Quelques mois après le Stravinski, on s’est dit qu’il fallait qu’on enregistre. On a visité des studios en Suisse puis ailleurs. On avait envie d’avoir une vision la plus objective possible par rapport aux possibilités qu’on avait. » Même si leur quête devait également les mener dans la région parisienne, c’est Londres qui a retenu leur attention : « C’était notre première destination hors de la Suisse pour nos visites. On est tout de suite tombé sous le charme de cette ville où la musique fait vraiment partie intégrante de la culture. Il y a des concerts à toutes les heures de la journée et une dynamique intéressante et créative. » Suivant leur instinct, le charme britannique opère rapidement, d’autant plus que la visite d’un studio, celui du Metropolis fréquenté par un certain Mickael Jackson ou encore Queen, a définitivement convaincu les jeunes Lausannois : « C’est un endroit assez fermé normalement, on était déjà très content de pouvoir y entrer. On a eu tellement un coup de cœur pour cet endroit qu’on s’est dit qu’il fallait enregistrer ici. » Un émerveillement qui se traduit par un coup de cœur dont l’enthousiasme de Clyde ne fait aucun doute : « Dans les autres studios, c’est l’ingénieur son qui t’accueille, au Metropolis, c’est une secrétaire. C’est un endroit énorme ! On était comme des enfants dans un magasin de jouets. »
Une réalité difficile à affronter: le Stravinski
En 2017, alors qu’Imelda & Clyde prévoient un concert dans la partie gratuite du Montreux Jazz Festival, ils sont à mille lieues d’imaginer ce qui se trame dans les coulisses du festival. Un coup de théâtre se joue au sein de la programmation du Stravinski: Emeli Sandé qui devait assurer un set avant Lianne La Havas doit renoncer à jouer. Alors qu’il leur avait déjà été proposé de jouer avant la chanteuse, Imelda & Clyde doivent désormais assurer une grande première partie, afin d’assurer la plage horaire de l’artiste britannique: « Ils nous ont appelé deux jours avant. On aurait pu venir avec notre groupe et faire quelque chose de grand mais le temps nous a manqué et du coup on a vraiment décidé de se concentrer sur l’essentiel. On avait un concert prévu la même semaine au off du Montreux Jazz du coup on était déjà plus au moins prêt. Je pense qu’on a réalisé le fait qu’on était au Stravinski seulement quelques jours plus tard. »
Lire également : Imelda Gabs et Lianne La Havas musent tout leur soul au Stravinski
Une opportunité exceptionnelle, ne serait-ce rêvée pour les deux complices, comme tombée du ciel : « Cela nous a apporté énormément de bonheur et beaucoup de joie. Un moment d’émotion, de difficulté malgré tout au niveau du temps et des jours pour se préparer. Beaucoup de stress mais surtout la possibilité d’être visible. À ce niveau-là, c’est très bien pour nous. C’était un boost qui nous a permis de rajouter la dernière pièce de notre puzzle. Cela a lancé notre carrière, c’est évident. » Le public est au rendez-vous, malgré le changement inopiné du programme de la soirée. Mais une fois le matériel rangé, les projecteurs éteints, c’est une sensation de vide et de frustration qui envahit nos deux artistes. Un revers qui s’explique une fois l’euphorie retombée, l’adrénaline dissipée. À l’époque, ils n’ont en effet que très peu de moyens promotionnels et donc peu de possibilités de se rendre visibles auprès d’un public qui s’ajoute à une couverture médiatique assez pauvre. Avec, cette fois-ci, suffisamment de recul, l’analyse de cette période est limpide pour Clyde: « Un EP, c’est ce qui nous a manqué. Quand tu sors du Stravinski sans album et sans rien à présenter, que les gens viennent te demander où acheter ton CD et que tu n’en as pas, c’est dur. C’est très dur pour un artiste. Il faut un album, il faut avoir des traces de ce qu’on fait. C’est une très grande scène, très tôt. La question qui s’est posée après, c’est comment rebondir ? »
« C’était une période un peu difficile. Maintenant, cela nous permet d’être plus libres mais l’année 2017 était à la fois géniale parce que le Stravinski était dans notre CV mais il s’est aussi avéré être un petit frein parce que tu as envie de conserver le prestige qu’il t’a apporté »
Imelda Gabs du duo Imelda & Clyde
Une prise de conscience pour Imelda qui passe par la nécessité de se lancer, de montrer leur savoir-faire: « Cela nous a surtout permis de développer notre identité car quand nous avons eu cette opportunité, aux yeux du grand public, nous n’étions personne. C’était un coup de poing car à la fin du concert, quand tu as des centaines de gens qui viennent te voir pour te demander un CD ou un site internet et que tu ne l’as pas, tu te dis qu’il y a peut-être quelque chose à faire. C’est à partir de ce moment-là qu’on a justement développé tout le reste. Quelques mois après, on enregistrait l’EP. » Une sorte de cadeau empoisonné qui a cependant le mérite d’avoir permis à leur carrière de décoller mais également d’apprendre, d’anticiper davantage les aboutissants de ce genre d’événement pour Imelda: « Il faut passer de cette scène-là, se rendre compte qu’on l’a faite mais que nous ne sommes pas les personnes qui y sont bookées d’habitude. Nous n’avions pas l’équipe derrière. Finalement, nous étions un peu partagés par le fait que nous étions émergents – tout jeunes avec presque rien – mais qu’au final, nous avions quand même fait quelque chose qui était complètement à l’opposé. C’était une période un peu difficile. Maintenant, cela nous permet d’être plus libres mais cette année-là [ndlr, 2017] était à la fois géniale parce que le Stravinski était dans notre CV mais il s’est aussi avéré être un petit frein parce que tu as envie de conserver le prestige qu’il t’a apporté. »

Un lieu universel: la musique
Plus qu’une collaboration artistique, Imelda & Clyde c’est aussi un jeune couple dont la complicité se fait telle qu’il n’est pas rare qu’on les prenne pour frère et sœur. Nos faux White Stripes s’en amusent: « Ce n’est pas quelque chose que l’on met en avant. Les gens le savent… ou pas ! [Rires]. Pour moi, cela me permet simplement d’avoir une symbiose artistique complète. On se comprend extrêmement bien, ce qui n’était pas forcément gagné. Ce n’est pas parce qu’on est en couple qu’on arrive forcément à travailler ensemble. Disons qu’on arrive à dissocier les deux. Jusqu’à maintenant, c’est la meilleure collaboration que j’ai eue et je pense que je n’en aurais pas de meilleure. » Une complicité qui s’affiche désormais dans le chant puisque Clyde Philipp’s mêle sa voix à celle d’Imelda Gabs, un choix qui n’était pas une évidence pour le jeune homme: « C’est une idée d’Imelda ! [Rires] Je chantais des fois à la maison et elle me disait que je chantais très bien. Je sais que j’ai une voix juste mais je ne pensais pas que je chantais bien. Elle m’a dit qu’elle aimerait bien qu’on essaie mais je n’avais pas du tout confiance en moi à ce niveau-là. Cependant, j’avais assez confiance pour lui faire confiance! C’est compliqué mais on a finalement décidé de chanter ensemble. Cela se passe très bien et j’en suis très content. » Ce que confirme Imelda: « Je pense que la voix c’est peut-être l’instrument le plus personnel. Même pour moi, quand j’ai commencé à me dire qu’il fallait que je chante c’est lorsque mon prof de musique m’a dit que je chantais bien… Je ne sais pas si c’est le cas pour tout le monde mais pour Clyde et moi, c’est toujours venu de quelqu’un d’autre qui disait: « ta voix est superbe ! » cela donne confiance et tu oses peut-être franchir ce pas pour chanter, pour faire entendre ta voix. » La pluralité des voix et des voies, voilà une autre piste pour interpréter le nom donné à ce premier EP composé de cinq titres d’une très grande variété de styles. Si Imelda & Clyde se préparent pour un nouvel album qui, ils le promettent, aura évolué par rapport à Not Alone, pour leurs auditeurs, le mystère restera entier, tant chaque piste de l’EP est un indice, une orientation sur ce que le duo pourrait advenir. “Blue Wine” et sa longue intro au piano sonne très jazz avant de s’évader vers une envolée épique, le titre éponyme renferme une intuition très cinématographique avec ces deux voix qui se répondent, parfaitement adéquat dans une scène dramatique. Quant à “Heartbeat” il se veut très brut, avec son retour de percutions puis cette cassure vers la fin du morceau qui emmène le titre vers un côté impro jazz et hip-hop. Une hétérogénéité voulue par le duo: « On s’est posé la question de savoir si l’on voulait se positionner par rapport à un certain style ou pas. En fait, on s’est dit qu’on voulait juste faire ce qui nous vient. En particulier pour l’EP, il est très varié parce qu’on avait envie que l’EP puisse représenter plus ou moins tout notre univers. Chaque morceau pour nous a une petite histoire, un univers qu’il lui est propre. » Monde ouvert qui prime également lors de la composition mais pas forcément dans une écriture narrative : « Quand on compose, c’est un échange. C’est-à-dire que souvent on va se retrouver dans notre local et on va commencer à improviser quelque chose, à enregistrer. Ou alors, je vais avoir une idée que je vais envoyer à Clyde et il va travailler dessus avant de me renvoyer le tout. Petit à petit, cela se construit et cela crée quelque chose. Finalement, on est nous-même surpris du résultat. On part rarement avec une idée extrêmement précise d’un morceau. Parfois on part du texte, parfois d’une mélodie, d’un rythme. »
“Do you really really know where you come from?”
(paroles du titre The Guide)
Mais la composition est aussi un mouvement intrinsèque, elle doit sortir des tripes. Le premier titre “The Guide” s’ouvre sur les paroles suivantes: “Do you really really know where you come from?” Bien qu’ils aient grandis en Suisse, Clyde a des origines indiennes et Imelda congolaises. Des pays centraux dans leur quête identitaire qu’ils aimeraient également davantage étudier, sonder pour peut-être répondre à ce titre inaugural de leur EP: « Il faut savoir que quand on a commencé à réfléchir à Not Alone, on est justement retourné à tout cela. On s’est demandé comment on allait savoir qui on était vraiment en tant qu’artiste, et du coup il fallait qu’on regarde en arrière, quel parcours on avait chacun. On a écouté de la musique ethnique, du jazz aussi parce que nous en venons tous les deux, beaucoup de pop… On a écouté plein de trucs pour finalement se dire ok, on part dans cette direction. Puis on fait un mélange de tout cela. D’où le morceau “The Guide” qui est la première question qu’on se pose. » Une question qui touche également Clyde: « On vient de pays où la musique est très importante. L’Inde et l’Afrique sont des territoires où l’on danse tout le temps. Il faut honorer cela. Moi je pense à “Heartbeat” par exemple. C’est une musique qui passerait très bien en Inde et en Afrique aussi. C’est le morceau dans lequel on a voulu inscrire le plus nos origines. »
« Nous allons essayer de toujours rester nous mêmes dans notre musique. Nous sommes authentiques, jamais nous ne ferons ce que les autres veulent que nous fassions. Je ne peux pas transmettre d’émotion si je ne fais pas ce que j’aime. Nous allons garder nos racines »
Clyde Philipp’s du duo Imelda & Clyde
En attendant leur premier album studio, le duo continue de tourner avec son EP sur diverses scènes et sera également présent à Genève pour une masterclass le 21 novembre à l’École des musiques actuelles et des Technologies Musicales (ETM, aux Acacias) avant de retourner en studio. Une joie que peine à dissimuler Clyde, plus confiant que jamais sur une carrière professionnelle qui a tout pour partir du bon pied: « Ça repart! Ce qui est bien, c’est qu’on a travaillé seul et qu’on apprend de nos erreurs. Personne ne va les pointer, c’est nous qui les assumons. On en a fait, on en est conscient mais on va rebondir sur cela. » Une détermination qui ne saurait éluder l’essentiel, le plaisir et l’envie de transmettre une sensibilité musicale avec le moins de contraintes possibles: « Surtout, nous allons essayer de toujours rester nous mêmes dans notre musique. Nous sommes authentiques, jamais nous ne ferons ce que les autres veulent que nous fassions. Je ne peux pas transmettre d’émotion si je ne fais pas ce que j’aime. Nous allons garder nos racines que nous avons eues dans cet EP. Nous n’allons pas tout changer mais cela va être différent », promet alors Clyde. Du Stravinski au Metropolis, de la Suisse au Congo et à l’Inde, il n’y a qu’un pas. On leur souhaite de revenir, dans quelques temps, au Stravinski. Cette fois en tête d’affiche.