Vincent Bossel : « Les scènes où j’ai l’impression de développer un style, c’est lorsque je peux juxtaposer une image avec une musique que j’ai sélectionnée »

Vincent Bossel est prêt. Sa websérie « Bip » est sur le point de voir le jour sur les plateformes digitales de la RTS. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

Lauréat d’un appel d’offre de la RTS, la websérie « Bip » sera diffusée ce mois de novembre sur la toile. Avec un format de 3 minutes par épisode, la série retrace les moments d’évasion de Marie (Marie Fontannaz), caissière d’un supermarché qui imagine la vie de ses clients, selon le contenu de leur caddie. Avec son réalisateur Vincent Bossel, nous avons évoqué dans les locaux d’ImaJack, producteur de « Bip », la genèse du projet qu’il a porté du haut de ses 22 ans, l’impact de la musique dans ses productions cinématographiques ainsi que son avenir.

On les reconnaît, ces bruits qui façonnent nos rituels journaliers. Ces sonorités aiguës et perçantes qui nous conditionnent et dictent des instants précis de notre quotidien à tel point que nous les intériorisons. Noyées dans notre subconscient, elles sont pourtant des indices, des traces de notre rythme de vie et sont évocatrices de notre société. Pour s’en rendre compte, il faut s’extraire de sa routine, poser son regard sur ce qui nous entoure. La position d’observateur, Vincent Bossel l’expérimente de différentes manières : à travers sa caméra, il est déjà l’auteur de quatre courts-métrages. Au poker aussi, où la main ne fait pas tout; déceler la faille, le moindre tressautement de l’adversaire requiert un œil vif et avisé. Alors, on comprendra que pour le jeune homme serein et posé de 22 ans, la récurrente onomatopée « Bip » qu’entend la caissière durant sa journée se transforme en seuil vers un champ des possibles, un imaginaire à explorer. À paraître en novembre sur le site de la RTS, la websérie « Bip » se propose d’ouvrir une fenêtre, celle de Marie qui projette, au fil des aliments qu’elle scanne en caisse, la vie de ces centaines d’inconnus dont elle croise le regard. Nous avons rencontré ce jeune cinéaste ambitieux et prometteur, à deux pas de ceux de Heliumfilms (Ma vie de Courgette, 2016) : le hasard n’y est sans nul doute pour rien.

« Si la RTS produit des web-séries maintenant, c’est qu’elle a aussi envie d’une forme de fraîcheur. On a le profil pour présenter une websérie, je crois »

La diffusion de « Bip » sur la toile est imminente. Comment tu te sens ?

Je me sens bien. Je suis content d’arriver au bout parce que c’est quand même une année de travail qui s’est très bien passée. Ce sont toujours des aventures humaines, beaucoup de différentes relations qu’on développe entre un réalisateur et un producteur, le réalisateur et ses acteurs et toutes ces étapes qu’on a traversées. Il y a aussi l’excitation de montrer le projet au public et on s’en réjouit !

Tu as terminé le tournage depuis plusieurs mois. Comment est-ce que tu as gérer ton temps de sa fin jusqu’à maintenant ?

Pour moi, c’est la partie la plus agréable parce que j’ai l’impression que le plus dur est fait. Le montage, c’est aussi quelque chose que j’aime beaucoup. J’appelle cela un laboratoire: j’aime bien m’y retrouver une fois que toutes les images sont là, essayer plein de choses car à ce stade, la série existe déjà, il faut juste monter le puzzle. C’est beaucoup moins de pression que le tournage ou même l’écriture qui peut être parfois stressante.

Et qu’est-ce qui t’a donné envie de réaliser des courts métrages ?

L’amour du cinéma… et de la musique. Les musiques de films m’ont marqué avant les films. Ensuite, je dirais plus spécifiquement des making-of comme celui du Seigneur des anneaux qui a été une aventure incroyable en Nouvelle-Zélande. Je me souviens avoir regardé ces gens tout donner dans une bulle pour créer un film et j’ai trouvé ça magique. Après être passé sur des tournages en tant que stagiaire ou même comme figurant, aussi. Reconnaître cette même magie humaine, ce groupe qui se retrouve. Qu’il pleuve, qu’il neige et même si les gens sont fatigués et parfois pas payés, c’est une ambiance de rêveur un peu hors du temps. Un truc qui est très important pour moi c’est de ne pas avoir un chemin tracé, un horaire qui soit tous les jours le même. Travailler dans un bureau, c’est une prison pour moi.

Dans les musiques de films, qu’est-ce qui t’a marqué ?

Le lien entre l’image et la musique que j’essaie d’ailleurs de traiter dans tout ce que je fais. Les scènes où j’ai l’impression de développer un style, c’est lorsque je peux juxtaposer une image avec une musique que j’ai sélectionnée. J’adore faire ça. À l’écriture, j’essaie aussi de me rendre des services dans le sens où j’écris une histoire et je sais qu’à un moment donné je veux amener les personnages à une scène qui va pouvoir être magnifiée par la musique. C’est vraiment ce lien entre la musique et le cinéma qui m’intéresse. Au stade de l’écriture, je considère les dialogues comme de la musique aussi, comme du rythme. Dans ma chambre quand j’écris tout seul, je les dis à voix haute, je les enregistre et je les écoute. Je choisis un mot plutôt qu’un autre, pas forcément parce que c’est le plus juste mais parce que c’est le mot le plus musical. Je suis musicien et ayant fait beaucoup de piano avant de me consacrer au cinéma, cela me permet de garder ce contact avec la musique et d’en faire quelque chose. Indéniablement, je pense que la musique est le vecteur d’émotion le plus direct et le plus universel. Le cinéma c’est un mélange de diverses formes d’art qui sont toutes très puissantes individuellement. Mises ensemble avec le bon dosage et une forme de justesse. Il faut vraiment trouver la bonne combinaison. Encore une fois il y a quelque chose de magique.

Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ta collaboration avec ton producteur Imajack sur ce projet ? Comment est né votre partenariat ?

Très facilement. On se connaissait sans se connaître, on s’est très vite lancé dans le travail. J’avais cette idée d’une caissière de supermarché qui imaginait la vie de ses clients et je leur ai proposé cette idée dans ce même local, autour de cette table et je crois qu’une heure après on était déjà en train de monter un dossier. C’est aussi parce que de leur côté ils étaient disponibles et prêts à accueillir une idée comme la mienne. Cela ne t’a pas échappé on a tous un peu près le même âge et on fait une websérie. Il y a quelque chose de juste là aussi. Je pense que c’est pour cela que cela a marché. Si la RTS produit des web-séries maintenant, c’est qu’elle a aussi envie d’une forme de fraîcheur. On a le profil pour présenter une websérie, je crois. Imajack fait beaucoup de projets web aussi et pas forcément toujours de la fiction. C’est une boîte qui correspondait vraiment au projet.

Ton projet est sorti lauréat d’un appel d’offre de la RTS, parmi une soixantaine d’autres dossiers. Comment est-ce que tu as vécu ce concours ?

C’est horrible ! C’est ultra stressant. Attendre une réponse, je crois que c’est la pire torture dans notre petit cocon qu’est l’Europe où l’on vit des drames très minimes [Rires]. Après, je suis aussi très compétitif – je joue au poker – et je crois qu’il faut l’être un peu aussi. C’est un métier où il y a des rivalités et il faut faire sa place. Je n’ai pas de problèmes avec la compétition mais c’est stressant. Il faut être au rendez-vous. Je me souviens du moment juste avant d’aller pitcher. La deuxième étape, après avoir été sélectionné sur dossier, c’était de défendre le projet avec un oral d’une quinzaine de minutes. On était avec Johan [ndlr, Faggion, producteur exécutif et coordinateur marketing chez Imajack] et Éric [ndlr, Bouduban, producteur de la série] dans la pièce d’à côté. On savait que c’était notre tour de défendre le projet dans une minute et il y avait un silence dans la pièce. [Il s’adresse a Johan] Je ne sais pas si tu te rappelles, on a tous regardé nos pompes [Rires]. Puis il a fallu y aller et on était préparé. De toute façon, c’est toujours la même chose. Avant un tournage, avant un pitching, si tu es prêt et que tu as confiance en ton projet, il n’y a pas de raison que cela se passe mal. Cette fois, ça marché pour nous, on était là au bon moment avec un projet très solide et une année plus tard, on est prêt à le présenter.

Ton sujet semble s’inscrire dans un prisme sociologique : une caissière imagine la vie de ses clients à partir des articles qu’elle scanne. Comment t’es venue cette idée ?

Je pense que je n’aurais pas pu avoir cette idée et la réaliser de cette manière et en écrire huit épisodes il y a deux ans. Il faut apprendre à regarder, à observer les gens. Ma copine fait des études en sciences sociales et elle a aussi une famille très différente de la mienne. La relation que j’entretiens avec elle a été une ouverture, une richesse. J’ai pu développer ce regard sur les gens et au moment de me poser la question d’un concept pour une websérie. J’essaie toujours d’avoir une stratégie au moment de réfléchir à un projet : est-ce que c’est pertinent par rapport à un public ? Par rapport à un marché ? Évidemment la part artistique prime mais si l’on veut obtenir des financements, trouver des producteurs, il faut quand même se mettre à la place du public et de l’air du temps en plus du format. Une websérie, c’est plusieurs épisodes rapides et dynamiques. Je voulais avoir quelque chose d’original et qui puisse présenter une richesse, un éventail de personnages. Avec le supermarché qui est un endroit où tout le monde se rend, je me suis dit qu’il s’agissait d’un univers qui est visuellement très intéressant, très coloré et où se croisent plein de gens de la vie de tous les jours. Il suffisait d’avoir ensuite le personnage clé qui allait raconter ces histoires et c’est la caissière, Marie.

Il pourrait y avoir quelque chose de tragique dans ce projet. Mais l’humour en fera partie ?

Je traite vraiment de l’humour, de la poésie et des éléments dramatiques, parce que cela fait partie de la vie. C’est clair que si on avait fait un documentaire sur une caissière, on se serait intéressé aux salaires, aux caissières remplacées par les caisses automatiques mais on n’est pas du tout là-dedans. On est dans quelque chose de divertissant et de poétique. À travers le personnage de Marie, il y a un univers imaginaire, du rêve et on se balade dans la vie de personnages très différents. Forcément, il y a de l’humour de la légèreté mais aussi des moments plus durs et plus intenses, toujours dans une volonté de divertir avec cette dimension poétique.

La question du regard semble être au centre de ton dispositif : c’est dans la tête du personnage, dans ce qu’il peut imaginer que le spectateur sera transporté. Planter le décor initial entre les quatre murs d’un supermarché cela te permet d’entrer dans la conscience d’un personnage et de démultiplier les lieux de l’action ?

Le concept général était intéressant puis après il fallait voir comment cela pouvait fonctionner. Je voulais vraiment réussir à créer une forme solide qui me permettrait ensuite de m’amuser avec des histoires, de prendre des libertés et de prendre des risques. C’est la première chose que j’ai essayée de capter et d’assurer. Ces allers-retours entre le supermarché et les scènes de vie de ces personnages que la caissière imagine. Après, ça devient des gestes, des plans puis des enchaînements de montage. C’est au stade de l’écriture où je me suis demandé comment cela pouvait marcher. Au final, c’est par les ingrédients, les aliments ou parfois même les objets qu’achètent les personnages. Je me suis dit: voilà le déclencheur. Cela devient visuel. Dans la série, on voit la caissière scanner un produit et ensuite le faire passer sur le tapis de caisse, c’est ce mouvement qui lance la petite séquence de 20 ou 30 secondes qui met en scène le personnage et l’objet en question ou l’aliment, c’est ce qui me permet de rythmer les épisodes. C’est comme cela que je les ai construits au moment de les écrire.

Comment s’est déroulé le tournage ? Quels sont les défis auxquels tu as dû te confronter ?

Les défis étaient surtout dans le fait de caser autant de scènes dans autant de lieux différents. Forcément, chaque personnage qui incarne un client est différent pour chaque épisode. Du coup, chacun a sa maison, son environnement. Cela nous a donné des maux de tête parfois [Rires]. On avait des journées chargées. C’était un parmi les beaux challenges qu’on a su gravir. Passer d’un lieu à l’autre rapidement et s’adapter, tourner autant d’épisodes en si peu de temps. Sinon, diriger autant de comédiens incroyables et intéressants. J’ai eu beaucoup de plaisir à le faire, je me suis vraiment bien entendu avec tous les comédiens. Cela a été un travail très intéressant. Tu dois t’adapter à chaque comédien et en même temps avec une cohérence dans ta direction. C’était un beau challenge aussi parce qu’il y avait autant de comédiens. Mon dernier court-métrage qui avait bénéficié d’un budget assez conséquent et qui était financé par une fondation avait un casting entièrement professionnel.

La série ne sera pas diffusée sur les antennes de la RTS mais comme il s’agit d’une websérie, elle le sera en ligne. À l’instar des plateformes de téléchargement, tu penses que c’est l’avenir des séries ? Un horizon pour les jeunes réalisateurs ?

Je ne pense pas que ce soit forcément l’avenir, ni même le présent. C’est une forme parmi d’autres. Je pense qu’il y en aura plus, il y a un intérêt. Le public se déplace de la télévision au web. Après, sur internet on peut diffuser aussi bien des web-séries que des films ou des séries et je pense qu’au final, ce qui retiendra toujours plus l’attention du public, ce sera les longs métrages et les séries… mais le challenge est là aussi, c’est-à-dire qu’on a un format très court. Les gens sont prêts à mettre trois minutes de leur temps. Par contre, il ne faut pas se rater. On ne peut pas développer des personnages et se dire que dans trois épisodes, cela va commencer à payer. C’est simplement des données différentes. Il y a plein de formes, de réalisateurs et d’auteurs différents et chacun doit trouver ses projets, sa place et je suis très content d’être passé par cette case-là. Ce n’était pas forcément mon objectif de faire une websérie, c’était une opportunité. Je l’ai saisie et c’est ce que je ferai aussi à l’avenir. Je ne sais pas exactement quelle forme j’adopterai pour la suite mais c’est une belle étape. Au final, la série dure une vingtaine de minutes, cela s’apparente à un long court-métrage. C’est clairement plus qu’un petit projet mais cela ne s’apparente pas non plus à une série long format ou un long métrage. Pour le format de la série, je n’ai pas eu besoin de négocier et ce n’était pas un sujet « bloqué » ou avec un format spécifique. C’était un appel à projet pour une websérie et après je crois que le plus important pour les producteurs et la RTS c’est que l’histoire ait le temps d’être racontée. Cela aurait été la même chose si le scénario avait nécessité six minutes.

D’autres projets pour la suite ?

J’ai plein de projets ! Mais maintenant, je veux profiter aussi de bien finir celui-ci. Me confronter au regard du public. C’est un exercice très intéressant. Et puis, comme toujours, je pense que la clé d’une réussite c’est de bien s’entourer. Pour les prochains projets ce sera la même question : trouver les bons partenaires pour enchaîner.